Afleveringen

  • Au pied-bleu de la lettre

    Bookmakers #16 - L'écrivain du mois : Claude PontiClaude Ponti est né en 1948 à Lunéville (Lorraine). C’est l’un des souverains pontifes de la littérature jeunesse, avec 8,6 millions de livres vendus en France depuis 1986, parfois traduits en italien, en roumain, en japonais ou en chinois. Un dessinateur-auteur culte, occasionnellement dramaturge et romancier, avec plus de 80 ouvrages publiés pour l’essentiel à L’École des Loisirs, dont les incontournables « Okilélé », « Pétronille et ses 120 petits » ou encore « Blaise et le château d’Anne Hiversère ».Chéri par deux générations de lectrices et lecteurs de toutes tailles, l’art poétique de Claude Ponti fait le pont entre deux rives. D’un côté, le pays du dessin merveilleux – via ses flaques magiques, ses îles touffues et ses arbres sans fin, peuplés de monstres et de petites créatures angoissées mais intrépides. De l’autre, la contrée du langage réinventé, dans la lignée de Lewis Carroll, avec des bagages entiers de mots-valises ou de néologismes éclapatouillants.
    En partenariat avec Babelio.
    (3/3) Au pied-bleu de la lettreEn 2016, pour l’album « Le Mystère des Nigmes », Claude Ponti met en scène « la kastatroffe » d’une tribu de Souris Archivistes : toutes les lettres de leurs livres ont été remplacées par des pattes de mouches ! Qui a bien pu commettre ce crime linguistique ? Les mouches ? Pourquoi cette violence contre les mots ? Comment retrouver les pages perdues ? Et l’auteur, maître du sous-texte symbolique, de s’interroger avec nous : « Sans la mémoire de ce qui est arrivé, comment savoir ce qu’on a détesté et le refuser ? »Onze ans plus tôt, en 1995, Claude Ponti publie aux éditions de l’Olivier un premier roman dont nous déconseillons la lecture aux enfants. Dans « Les pieds-bleus », le dessinateur se dévoile sous les traits d’Hercule, ado d’un village des Vosges au début des années 60. Il évoque frontalement les sévices d’un père qui « signe » son gosse à coups de rallonge électrique, les ravages de l’alcoolisme, la démission d’une mère, le racisme ordinaire et les abus d’un grand-père à la « vieille peau de linge sale pourri » qui menace de le tuer. Sans oublier quelques histoires lugubres liées à l’Occupation découvertes par Hercule et ses copains, qui se consolent en rêvant d’être Apaches dans les grottes souterraines du « territoire Pied-Bleu ».Dans ce troisième et dernier épisode, Claude Ponti revient sur la « rage » qui l’animait au moment d’écrire – en trois mois – ce roman si triste et si puissant, qui permet de mieux appréhender sa fabrique de monstres en pagaille. Nous nous attarderons enfin sur sa pratique de l’écriture inclusive, dont il est l’un des pionniers, également en avance sur la question du genre de ses « héroïns et héroïnes ». Tendez l’oreille ! C’est extrafoudingue ! Il y a tant de choses à écouter derrière la porte de l’auteur de « L’Écoute-aux-portes ».


    Enregistrements : décembre 21 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Lectures : Sabine Zovighian - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Saxophone : Florence Kraus - Illustration : Sylvain Cabot - Remerciements : Dominique Thbaut et Benoît Thuault pour leur automobile, Lison et Coline pour la lettre et les dessins - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Saxophone : Florence Kraus

  • Ponti et ses 120 millions de petits

    Bookmakers #16 - L'écrivain du mois : Claude PontiClaude Ponti est né en 1948 à Lunéville (Lorraine). C’est l’un des souverains pontifes de la littérature jeunesse, avec 8,6 millions de livres vendus en France depuis 1986, parfois traduits en italien, en roumain, en japonais ou en chinois. Un dessinateur-auteur culte, occasionnellement dramaturge et romancier, avec plus de 80 ouvrages publiés pour l’essentiel à L’École des Loisirs, dont les incontournables « Okilélé », « Pétronille et ses 120 petits » ou encore « Blaise et le château d’Anne Hiversère ».Chéri par deux générations de lectrices et lecteurs de toutes tailles, l’art poétique de Claude Ponti fait le pont entre deux rives. D’un côté, le pays du dessin merveilleux – via ses flaques magiques, ses îles touffues et ses arbres sans fin, peuplés de monstres et de petites créatures angoissées mais intrépides. De l’autre, la contrée du langage réinventé, dans la lignée de Lewis Carroll, avec des bagages entiers de mots-valises ou de néologismes éclapatouillants.
    En partenariat avec Babelio.
    (2/3) Ponti et ses 120 millions de petitsNotre « Bourlingue-Œil » se promène partout. Dans la caverne à croquis de Monsieur Claude Ponti, nous souhaitons maintenant savoir comment naissent ses histoires. Quelle est la portion d’intuition dans sa ratatouille d’humour, d’aventure et de surréalisme ? Finira-t-il par créditer les marmots qui l’entourent pour leurs inventions langagières involontaires ? D’où vient l’épopée de « Pétronille et ses 120 petits » (1990), fable admirable sur la charge mentale vendue à plus d’1,3 million d’exemplaires, dont plus de la moitié en Asie ? Quelles sont les racines de « L’Arbre sans fin » (1992), ayant su conquérir le cœur de 870 000 lecteurs, via l’odyssée d’une fillette qui, pour la première fois de sa vie, doit faire face à la mort (de sa grand-mère) et au danger (d’une méchante salade géante aux dents pointues) ?Un matin calme, Claude Ponti a déclaré : « Les émotions de l’enfance viennent comme elles veulent, mais je trie en virant les clichés. » En voici un, bien démonté. Quand des journalistes félicitent le roi de la gouache parce qu’il a su « conserver son âme d’enfant », ce vieux sage répond : « Ça me gonfle. Y a des petits cons, chez les enfants, aussi. »


    Enregistrements : décembre 21 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Lectures : Sabine Zovighian - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Saxophone : Florence Kraus - Illustration : Sylvain Cabot - Remerciements : Dominique Thbaut et Benoît Thuault pour leur automobile, Lison et Coline pour la lettre et les dessins - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Saxophone : Florence Kraus

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  • Le poussin démasqué !

    Bookmakers #16 - L'écrivain du mois : Claude PontiClaude Ponti est né en 1948 à Lunéville (Lorraine). C’est l’un des souverains pontifes de la littérature jeunesse, avec 8,6 millions de livres vendus en France depuis 1986, parfois traduits en italien, en roumain, en japonais ou en chinois. Un dessinateur-auteur culte, occasionnellement dramaturge et romancier, avec plus de 80 ouvrages publiés pour l’essentiel à L’École des Loisirs, dont les incontournables « Okilélé », « Pétronille et ses 120 petits » ou encore « Blaise et le château d’Anne Hiversère ».Chéri par deux générations de lectrices et lecteurs de toutes tailles, l’art poétique de Claude Ponti fait le pont entre deux rives. D’un côté, le pays du dessin merveilleux – via ses flaques magiques, ses îles touffues et ses arbres sans fin, peuplés de monstres et de petites créatures angoissées mais intrépides. De l’autre, la contrée du langage réinventé, dans la lignée de Lewis Carroll, avec des bagages entiers de mots-valises ou de néologismes éclapatouillants.
    En partenariat avec Babelio.
    (1/3) Le poussin démasqué !Sonnons le début de la récré. Quittons Paris, direction la Sarthe et la vallée du Loir, jusqu’à la maison bordée de tilleuls de Claude Ponti. Dans ce premier épisode, le papa rigolmarrant de Tromboline et Foulbazar, de la courageuse Pétronille, du malheureux Okilélé ou du facétieux Blaise le poussin masqué se démasque dans l’intimité de son atelier. Comment ce jeune Vosgien, fils d’une institutrice et d’un ouvrier, a-t-il réussi à survivre à une enfance désastreuse, marquée par l’inceste, la violence et le déni de sa souffrance ? Quel événement a incité ce passionné de psychanalyse, qui se rêvait peintre « maudit », à enchanter les imaginaires ? À quelle heure s’activent les rouages de son cerveau incroyabilicieux ?Détail inventif : lorsque nous cherchons comment stabiliser notre micro sur sa table à dessin, le créateur du génial « Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer » (2008) nous souffle de planter celui-ci dans son pot de pinceaux. C’est parti ! Bookmakers fout l’bazar chez Claude Ponti ! 


    Enregistrements : décembre 21 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Lectures : Sabine Zovighian - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Saxophone : Florence Kraus - Illustration : Sylvain Cabot - Remerciements : Dominique Thbaut et Benoît Thuault pour leur automobile, Lison et Coline pour la lettre et les dessins - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Saxophone : Florence Kraus

  • Variations sur Mezzanine

    Bookmakers #15 - L’écrivain du mois : BayonNé Bruno Taravant en Côte d'Ivoire en 1951, Bayon signe de 1978 à 2015 dans le journal "Libération" des milliers d’articles très écrits sur ses idoles, The Cure, Joy Division, Suicide, Bashung ou Christophe... Chef anticonformiste et généreux des pages musiques du quotidien, alors en plein âge d’or, l’homme sans prénom offre à Libé son record absolu des ventes en 1991 (800 000 ex.) grâce à une interview "post-mortem" de Serge Gainsbourg, qui deviendra le livre "Gainsbourg raconte sa mort" (Grasset, 2001).Adoré ou détesté, ce moine-soldat de la critique, dont la minutie confine à l’entomologie, est aussi l’auteur méconnu d’une œuvre autobiographique intense, sans succès durable et pourtant inoubliable. À lire, outre les ouvrages mentionnés dans ces trois épisodes ("Mezzanine", "Les Animals"), le sidérant "Haut fonctionnaire" (Grasset, 1993), un « mémoire hanté » sur son père diplomate.
    En partenariat avec Babelio.
    (3/3) Variations sur MezzanineParmi les obsessions de Bayon, il y a cette quête : celle de « l’élément noble ». « Un ordre immanent » qui force l’écrivain.e à se mettre au boulot. « Quelque chose qui sauve, coûte que coûte. Une raison supérieure. » C’est-à-dire : un détail, une situation, qui échappe à la compréhension, aux conventions, un sujet peu ou jamais traité, dangereux, difficile, bizarre ou franchement scabreux. Examinons de près la noblesse de deux livres emblématiques de Lord B.Nous ouvrons d’abord l’enclos des « Animals », son « autobiographie à quatre pattes » qui lui rapporta le prix Interallié et se vendit à 18 000 exemplaires (Grasset, 1990). Ce deuxième roman retrace et transcende toutes les rencontres de l’auteur avec une bête. Mouette malheureuse dont un enfant brise les ailes avant qu’un autre n’essaye de les rafistoler ; baleine « puante » sur une plage du golfe de Guinée ; chien sale adoré par tous les habitants d’une ville du Togo, qui attrape la rage et soulève une vague virale de panique internationale. Un zoo osé, croqué en chapitres brefs, parfois réduits au strict paragraphe, à trois lignes « visqueuses ».On grimpe ensuite au septième ciel de « Mezzanine » (Grasset, 2009), roman de formation amoureuse et sexuelle déconseillé aux moins de 15 ans, chichement vendu à 1000 exemplaires. C’est sa version de Barbe bleue, verrouillée dans un studio-cloaque de Pigalle où le jeune Bayon vécut pendant sept ans des aventures restituées avec crudité, mais sans céder à la fanfaronnade : le plaisir n’y est jamais consommé, fabuleusement ralenti par une langue « asphyxiante, qui complique l’approche. Tout le plaisir consiste à s’en priver. Le libertinage, c’est aussi ça : des dispositifs complexes, un fétichisme de cérémonial. »Au cours de cette cérémonie sonore, vous entendrez des conseils précieux, comme celui-ci : « Écris à l’eau froide, au pain, au fromage, au raisin, au régime monacal, bonze. Tu n’es pas là, en fait, pour trop rigoler. »


    Enregistrements : novembre 21 - Entretien, découpage, lectures : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch

  • État critique : du post-punk à Brooklyn

    Bookmakers #15 - L’écrivain du mois : BayonNé Bruno Taravant en Côte d'Ivoire en 1951, Bayon signe de 1978 à 2015 dans le journal "Libération" des milliers d’articles très écrits sur ses idoles, The Cure, Joy Division, Suicide, Bashung ou Christophe... Chef anticonformiste et généreux des pages musiques du quotidien, alors en plein âge d’or, l’homme sans prénom offre à Libé son record absolu des ventes en 1991 (800 000 ex.) grâce à une interview "post-mortem" de Serge Gainsbourg, qui deviendra le livre "Gainsbourg raconte sa mort" (Grasset, 2001).Adoré ou détesté, ce moine-soldat de la critique, dont la minutie confine à l’entomologie, est aussi l’auteur méconnu d’une œuvre autobiographique intense, sans succès durable et pourtant inoubliable. À lire, outre les ouvrages mentionnés dans ces trois épisodes ("Mezzanine", "Les Animals"), le sidérant "Haut fonctionnaire" (Grasset, 1993), un « mémoire hanté » sur son père diplomate.
    En partenariat avec Babelio.
    (2/3) État critiqueDans « Roulette russe » (Fayard, 2016), journal intime de ses mornes envies lors de ses débuts à Libération, Bayon se regarde dans le miroir : « B. a trente ans. Lunettes. Cheveux abîmés. Oreilles aiguisées. Bouche assez présentable. Charnue, vive, dessinée. Mais dents calamiteuses. 60 kilos, problèmes familiaux graves, jadis ou en cours. Sociaux également, donc. Résultat mi-straight mi-cool. Moitié marrant, moitié curé (…) C’est un faux adulte, ou un enfant vieilli. Gaspille ses journées morfondu, mouronnant ou râlant, n’aime rien, ne voit rien, n’attend rien. Sans famille, sans attache, sans foi, sans ami, sans espoir, sans avenir (…) Employé sans ambition, lit, dîne toujours dehors, note sans queue ni tête et sans y croire. Même yeux ouverts, larmes aux yeux. Dort. »Le reste du temps, ce graphomane pathologique griffonne, romance et tape (dur) à la machine. Après moult provocations, le « jeune homme perdu » s’impose et propulse dans les colonnes de Libé ses idoles et ses marottes : Bashung, Murat, Manset, Cure, Joy Division, Suicide, Presley ou l’écrivain américain Hubert Selby Jr., qu’il part interviewer chez lui à Los Angeles pendant quinze jours. « Bookmakers » avant l’heure, leur conversation sur l’écriture et « l’extase du désastre » est intégralement publiée dans le journal puis dans un livre, « Selby de Brooklyn » (1985).Un jour, Bayon confia que son pire ennemi sur le plan littéraire, c’est, bien sûr, sa propre complaisance envers sa « manie du jongle et des roucoulades stylistiques », tout comme « la virtuosité instrumentale est l’ennemie de la musicalité, qui se passe fort bien de brio ». A-t-il réussi, au fil des années et des romans « somnambuliques », à faire sien ce conseil de Verlaine : « Prends l’éloquence et tords-lui son cou ! » ? C’est le sujet de ce deuxième épisode, qui ne manque pas d’air.


    Enregistrements : novembre 21 - Entretien, découpage, lectures : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch

  • L’initial B. B.

    Bookmakers #15 - L’écrivain du mois : BayonNé Bruno Taravant en Côte d'Ivoire en 1951, Bayon signe de 1978 à 2015 dans le journal "Libération" des milliers d’articles très écrits sur ses idoles, The Cure, Joy Division, Suicide, Bashung ou Christophe... Chef anticonformiste et généreux des pages musiques du quotidien, alors en plein âge d’or, l’homme sans prénom offre à Libé son record absolu des ventes en 1991 (800 000 ex.) grâce à une interview "post-mortem" de Serge Gainsbourg, qui deviendra le livre "Gainsbourg raconte sa mort" (Grasset, 2001).Adoré ou détesté, ce moine-soldat de la critique, dont la minutie confine à l’entomologie, est aussi l’auteur méconnu d’une œuvre autobiographique intense, sans succès durable et pourtant inoubliable. À lire, outre les ouvrages mentionnés dans ces trois épisodes ("Mezzanine", "Les Animals"), le sidérant "Haut fonctionnaire" (Grasset, 1993), un « mémoire hanté » sur son père diplomate.
    En partenariat avec Babelio.
    (1/3) L’initial B. B.Bah voyons : voici Bayon. Personne n’écrit comme ça, aujourd’hui en France : préciosité « fin de siècle » des termes et des sentiments, longues phrases savamment architecturées ou, au contraire, sèches et méchantes comme un coup de trique. Par goût (coupable) de la formule, disons qu’il s’agit d’un petit Proust qui aurait beaucoup écouté The Cure ou le punk spirite des bien-nommés Suicide. Le tout, pour servir une exigence morale de vieux sage « au bord du précipice » et dont l’élégance noire a nourri sur trois décennies une dizaine d’ouvrages-confessions, souvent fondés sur des expériences traumatiques : mort d’un petit frère sous ses yeux, coma et trépanation suite à un accident de moto, rupture familiale, dépression aiguë, crâne fracturé après une chute à vélo, « ictus » amnésique.Pour comprendre, il faut remonter la piste de l’initial B. B. jusqu’aux origines de sa recherche du temps perdu. S’enfoncer dans la jungle du jeune Bruno. Dans ce premier épisode, Bayon retire son bâillon et parle Côte d’Ivoire, Togo, Gabon – où il étudie Kafka tout en exerçant, l’été, un job d’inspecteur forestier. Avant Paris, où ce « Rimbaud de pochette-surprise » compose « debout, empoisonné de migraines, de café et bière, en une dizaine de jours » un premier roman maudit intitulé « Retour d’enfer », dont la publication lui fait honte et qui ressortira en version expurgée sous le titre « Le Lycéen » (Quai Voltaire, 1988). Élève B., au tableau.


    Enregistrements : novembre 21 - Entretien, découpage, lectures : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch

  • Parlez-vous fragnol ?

    Bookmakers #14 - L’écrivaine du mois : Lydie SalvayreNée en 1948, Lydie Salvayre vit et écrit dans un village du Gard où se trouve un châtaigner sous lequel elle aime « refaire le monde et dire des bêtises pendant des heures entre copains ». Sacrée du Goncourt en 2014 pour « Pas pleurer » (Le Seuil), cette ancienne psychiatre a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels « La compagnie des spectres » (1997, prix Novembre, diatribe éruptive contre les saloperies du régime de Vichy, vendu à 85 000 exemplaires) ou le bouleversant « Marcher jusqu’au soir » (Stock, 2017), récit de sa nuit devant « L’Homme qui marche » de Giacometti, prétexte au dévoilement de l’ombre inexpliquée de toute sa bibliographie : son père. À la rentrée 2021, elle a publié « Rêver debout », ode à « l’insurrection permanente » de Don Quichotte. Pour elle, « écrire sans colère ou révolte est inconcevable ».
    En partenariat avec Babelio.
    (3/3) Parlez-vous fragnol ?« On me dit qu’elle avançait comme un bateau, droite et souple comme une voile. On me dit qu’elle avait un corps de cinéma et portait dans ses yeux la bonté de son cœur. » Au début de son roman « Pas pleurer », Lydie Salvayre décrit sa mère, Montserrat Montclus Vaqué, née en 1921 dans une famille de petits paysans catalans. « Aujourd’hui elle est vieille, le visage ridé, le corps décrépit, la démarche égarée, vacillante, elle souffre de troubles de la mémoire, mais elle garde absolument intacts les souvenirs de cet été 36 où a lieu l’inimaginable, et qui fut sans aucun doute l’unique aventure de son existence. » L’inimaginable, c’est la guerre civile espagnole (1936-1939) que l’autrice reconstitue avec fièvre en s’appuyant sur deux témoignages : celui de l’écrivain français Georges Bernanos qui dénonça la répression militaire « massacrant des misérables » avec la bénédiction de l’Église catholique, et celui de sa maman qui « remue les cendres de sa jeunesse perdue » quand elle vécut à 15 ans une « expérience libertaire » pleine d’allégresse dans l’utopie des terres temporairement mises en commun. Au creux de cette Espagne en feu, l’épopée de « Montse » nous est parfois contée dans une langue « transpyrénéenne » au rythme inouï, le « fragnol » : un français « estropié » par des ibérismes accidentels de toute beauté. Publiée en 2014 aux éditions du Seuil, cette « autobiographie par anticipation fictive » (selon le critique Dominique Viart), qui narre la rencontre de ses parents, leur engagement auprès des républicains et, in fine, leur exil forcé et leur installation en France dans des conditions extrêmement précaires, fut sacrée du Goncourt et s’écoula à 410 000 exemplaires. Au cours de ce dernier épisode, nous allons voir ce qu’il faut de joie – et de travail – pour ne pas pleurer.


    Enregistrements : septembre 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Trompette : Valentin Pellet - Lectures : Anne Steffens - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Trompette : Valentin Pellet

  • Remise de médaille

    Bookmakers #14 - L’écrivaine du mois : Lydie SalvayreNée en 1948, Lydie Salvayre vit et écrit dans un village du Gard où se trouve un châtaigner sous lequel elle aime « refaire le monde et dire des bêtises pendant des heures entre copains ». Sacrée du Goncourt en 2014 pour « Pas pleurer » (Le Seuil), cette ancienne psychiatre a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels « La compagnie des spectres » (1997, prix Novembre, diatribe éruptive contre les saloperies du régime de Vichy, vendu à 85 000 exemplaires) ou le bouleversant « Marcher jusqu’au soir » (Stock, 2017), récit de sa nuit devant « L’Homme qui marche » de Giacometti, prétexte au dévoilement de l’ombre inexpliquée de toute sa bibliographie : son père. À la rentrée 2021, elle a publié « Rêver debout », ode à « l’insurrection permanente » de Don Quichotte. Pour elle, « écrire sans colère ou révolte est inconcevable ».
    En partenariat avec Babelio.
    (2/3) Remise de médailleDans « Rêver debout », son dernier livre écrit « en un mois et demi » et sorti à la rentrée aux éditions du Seuil, Lydie Salvayre déclare sa flamme à l’auteur espagnol de « Don Quichotte », saluant au passage la façon dont Cervantès « règle leur compte à tous ces écrivains qui débitent des livres comme si c’était des beignets (…) balayant d’un même coup de torchon (…) les littérateurs fielleux qui n’excellent que lorsqu’ils découvrent les défauts des autres (…), les faiseurs de rimailles qui sucrent leurs poèmes de pétales de rose, d’aurores nimbées d’or, de tendres oisillons et autres mièvreries de la même mélasse (…) et très spécialement les écrivains qui, pour fournir un peu de densité au néant de leurs pages, les tartinent d’Écriture sainte. » Lydie convie ensuite d’autres moulins à vent au bal des imposteurs, raillant par exemple « les auteurs révoltés quémandeurs de bourses d’État, les biographes fouille-poubelles, les habiles qui romancent le malheur des autres pour attendrir le cœur de leur clientèle nantie » ou encore « les belles âmes qui font leur miel d’un fait divers bien saignant ». Avec cette élégante précaution : « Je préfère ne pas allonger la liste, de peur de m’y retrouver. » Mais alors, qu’a-t-elle écrit, parmi plus d’une vingtaine d’ouvrages en trois décennies de publications ? Elle qui compose ses romans… calfeutrée dans son lit ? Elle qui ne rouvre jamais ses bouquins une fois terminés ? Dans le désordre, car Salvayre aime ça : une farce cruelle exceptionnelle, « La Médaille », qui dénonce les mécanismes de domination d’un patronat post-orwellien ; un « Hymne » à la musique « brûlante » et au « désir de bataille » de Jimi Hendrix ; un délicieux « Petit traité d’éducation lubrique » destiné à instruire « les analphabètes du sexe » ; ou encore « Famille », huis clos meurtrier de 39 pages sur un grand garçon parano coincé entre des parents rudes et les chaînes d’info en continu, dont une première version fut publiée en 2002 et qui vient de reparaître aux éditions Tristam.Sellons nos ânes et nos chevaux. Dans ce deuxième épisode, l’Ingénieuse fille d’Hidalgos entraîne encore, à 73 ans, nos âmes au combat. 


    Enregistrements : septembre 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Trompette : Valentin Pellet - Lectures : Anne Steffens - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Trompette : Valentin Pellet

  • Sa déclaration

    Bookmakers #14 - L’écrivaine du mois : Lydie SalvayreNée en 1948, Lydie Salvayre vit et écrit dans un village du Gard où se trouve un châtaigner sous lequel elle aime « refaire le monde et dire des bêtises pendant des heures entre copains ». Récompensée par le Goncourt en 2014 pour « Pas pleurer » (Le Seuil), cette ancienne psychiatre a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels « La compagnie des spectres » (1997, prix Novembre, diatribe éruptive contre les saloperies du régime de Vichy, vendue à 85 000 exemplaires) ou le bouleversant « Marcher jusqu’au soir » (Stock, 2017), récit de sa nuit devant « L’Homme qui marche » de Giacometti, prétexte au dévoilement de l’ombre inexpliquée de toute sa bibliographie : son père. À la rentrée 2021, elle a publié « Rêver debout », ode à « l’insurrection permanente » de Don Quichotte. Pour elle, « écrire sans colère ou révolte est inconcevable ».
    En partenariat avec Babelio.
    (1/3) Sa déclarationElle a le goût « des choses qui mordent, des orties, des mauvaises herbes, des pensées féroces ». Fille de deux réfugiés politiques espagnols, Lydie Salvayre a grandi dans une cité HLM de Haute-Garonne et n’a jamais vu ses parents entrer dans une librairie. En 1969, elle coupe court à ses études de lettres pour devenir, pendant plus de trente ans, psychiatre, pédopsychiatre puis directrice d’un centre médical à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Cette lectrice assidue de Beckett, Colette, Rabelais ou l’Autrichienne Elfriede Jelinek confie avoir « appris à parler… après avoir écrit ». En toute logique, ses personnages ont souvent des difficultés à s’exprimer. Son court premier roman, « La Déclaration », focalisé sur un homme « épuisé jusqu’à l’âme » des suites d’un chagrin d’amour, sort en 1990… l’année de ses 42 ans. Et cette « déclaration de guerre » contre toute forme de « pathos romantique » porte en son sein l’œuvre à venir : présence crue des corps, malheurs psychiques, grossièretés qui côtoient « le beau dire », critique tranchante de « l’esprit compétitif des mâles », hantise des humiliations de son « peuple d’ouvriers » et humour noir en pagaille. Mais par quel heureux hasard la littérature est-elle arrivée dans la vie de Lydie, pour lui donner, affirme-t-elle, « une légitimité » ? Quels sont les points communs entre l’écriture et la thérapie psychanalytique ? Un roman lu à 10 ans peut-il encore provoquer chez l’adulte des émotions fortes ? Ce sont quelques-uns des motifs évoqués lors de cette première séance – pardon, de ce premier épisode.


    Enregistrements : septembre 21 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Trompette : Valentin Pellet - Lectures : Anne Steffens - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Trompette : Valentin Pellet

  • Lucifer et savoir-faire

    Bookmakers #13 - L’écrivaine du mois : Sophie Divry Née en 1979 à Montpellier, Sophie Divry vit et travaille à Lyon. Diplômée de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, cette « catho de gauche » de 42 ans a d’abord musclé ses convictions écologiques anticapitalistes dans les colonnes du journal « La Décroissance », avant d’être « dévorée » par le désir d’écrire. Consciente que le roman est, selon les mots de Virginia Woolf, « la plus indépendante, la plus élastique et la plus prodigieuse des formes littéraires », celle qui déteste les voitures a mis le turbo et signé huit livres depuis 2010, dont le très remarqué « La Condition pavillonnaire » (2014, éditions Noir sur Blanc). Au printemps 2021, elle a publié « Curiosity » suivi de « L’Agrandirox » et sa mémé confinée, une nouvelle aussi drôle et bizarre qu’un épisode de « La Quatrième Dimension ».
    En partenariat avec Babelio. (3/3) Lucifer et savoir-faireÀ l’automne 2014, quand Sophie Divry reçoit la mention spéciale du prix Wepler pour son roman « La Condition pavillonnaire », elle rappelle dans son discours que tout.e écrivain.e a ses « démons », jadis énumérés par Jacques Roubaud : « Le démon de la digression et de la parenthèse, le démon de la procrastination, le démon des plans ; le démon de l'originalité absolue, qui trompe souvent les artistes ; le démon de la cohérence ; le démon de la description : le démon de l’érudition » Le livre qui suivra, intitulé avec malice « Quand le diable sortit de la salle de bain » (Noir sur Blanc, 2015), sera donc un « roman improvisé, interruptif et pas sérieux » dédié « aux improductifs, aux enfants, aux affamés, aux rêveurs, aux mangeurs de nouilles et aux défaits ». Autofiction piégée voire « complètement brindezingue », le bouquin s’attache aux galères de Sophie, une drôle d’autrice trentenaire, qui se fait du souci dans son appartement lyonnais de douze mètres carrés. Pauvre, mais pas malheureuse, elle part à la recherche d’un emploi pour calmer sa faim. Ce qui aurait pu être le départ d’un roman tire-larmes sur la précarité se transforme en coffre aux trésors d’une extraordinaire richesse comique. Son démon personnel, « Lorchus », sort (effectivement) de sa salle de bain pour pervertir et désorienter le récit, tout comme sa mère, son éditrice, son meilleur ami ou l’écrivain Pierre Bergounioux, qui n’arrêtent pas d’intervenir. S’y entrechoquent alors, avec une joie contagieuse : un conte pour enfants, une fable médiévale, un calligramme salace dessiné sur deux pages, des néologismes à foison, les ingrédients nécessaires pour un bon « contemplage de plafond », des jeux typographiques ou des chats pornographiques. Héritière énergique d’une littérature « de la dèche » où se télescopent les reportages de George Orwell « à Paris et à Londres », « Amer Eldorado » de Raymond Federman ou « La Faim » du Knut Hamsum, Divry déplie ici, selon ses vœux, un « grand rire sardonique dans le fond de l’abîme ». Et ça marche ! Ce roman férocement marrant, que n’importe quel.le auteur.e en herbe devrait se procurer pour se souvenir que tous les cadres peuvent être explosés, demeure à ce jour sa meilleure vente (15 000 exemplaires).Dans ce troisième et dernier épisode, nous allons voir comment, au-delà de la farce, elle est parvenue à faire sienne ce conseil du peintre Jean Dubuffet, qu’il convient de lire avec une voix de diablotin : « L’art doit toujours un peu faire rire et un peu faire peur. Tout, mais pas ennuyer. »


    Enregistrement : avril 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Lectures : Chloé Assous-Plunian, Christophe Brault, Emma Broughton - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Flugabone : Brice Perda - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio


    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Flugabone : Brice Perda

  • Battons pavillon

    Bookmakers #13 - L’écrivaine du mois : Sophie Divry Née en 1979 à Montpellier, Sophie Divry vit et travaille à Lyon. Diplômée de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, cette « catho de gauche » de 42 ans a d’abord musclé ses convictions écologiques anticapitalistes dans les colonnes du journal « La Décroissance », avant d’être « dévorée » par le désir d’écrire. Consciente que le roman est, selon les mots de Virginia Woolf, « la plus indépendante, la plus élastique et la plus prodigieuse des formes littéraires », celle qui déteste les voitures a mis le turbo et signé huit livres depuis 2010, dont le très remarqué « La Condition pavillonnaire » (2014, éditions Noir sur Blanc). Au printemps 2021, elle a publié « Curiosity » suivi de « L’Agrandirox » et sa mémé confinée, une nouvelle aussi drôle et bizarre qu’un épisode de « La Quatrième Dimension ».
    En partenariat avec Babelio. (2/3) Battons pavillonDans « La Condition pavillonnaire » (Noir sur Blanc, 2014), Sophie Divry suit, sur toute une vie, les désirs puis l’ennui métaphysique d’une femme incapable de se dire heureuse. Demandez le programme : « D’abord devenir propriétaire, puis aménager, puis se reproduire » dans la « voie sans issue » du pavillon familial. Hélas, au sein de ce faux remake contemporain de « Madame Bovary », M. A. déprime sec, dans la cuisine aussi fort qu’au boulot. Elle cherche des exutoires (yoga, adultère, engagement dans l’humanitaire) en imaginant combler la « béance » de son existence par un « capital de sensations pures » ; elle veut que la société la « remplisse ». « Cela pose la question du bonheur », dit l’autrice, de « l’idéal d’une vie réussie ». M. A. a fait tout ce que la société lui demandait, mais à mi-parcours, « elle ne sait plus quoi faire d’elle-même ». Ce grand roman triste (vendu à seulement 8000 exemplaires) remportera la mention spéciale du prix Wepler. La densité de son regard, sa puissance émotionnelle, son acuité psycho-sociologique qui emprunte autant à Simone de Beauvoir qu’aux « Choses » de Georges Perec, font que la tentation d’offrir en masse une telle œuvre est énorme. Mais on hésite : cette histoire ordinaire pourrait bien flinguer le moral de personnes persuadées d’être « normales ». Pour encourager les indécis.es qui risqueraient de louper l’un des romans français majeurs de la décennie, où chaque phrase semble abriter « une bombe », visitons sans condition, dans ce deuxième épisode, toutes les pièces de ce pavillon.


    Enregistrement : avril 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Lectures : Chloé Assous-Plunian, Christophe Brault, Emma Broughton - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Flugabone : Brice Perda - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio


    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Flugabone : Brice Perda

  • Divry dit vrai

    Bookmakers #13 - L’écrivaine du mois : Sophie Divry Née en 1979 à Montpellier, Sophie Divry vit et travaille à Lyon. Diplômée de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, cette « catho de gauche » de 42 ans a d’abord musclé ses convictions écologiques anticapitalistes dans les colonnes du journal « La Décroissance », avant d’être « dévorée » par le désir d’écrire. Consciente que le roman est, selon les mots de Virginia Woolf, « la plus indépendante, la plus élastique et la plus prodigieuse des formes littéraires », celle qui déteste les voitures a mis le turbo et signé huit livres depuis 2010, dont le très remarqué « La Condition pavillonnaire » (2014, éditions Noir sur Blanc). Au printemps 2021, elle a publié « Curiosity » suivi de « L’Agrandirox » et sa mémé confinée, une nouvelle aussi drôle et bizarre qu’un épisode de « La Quatrième Dimension ».
    En partenariat avec Babelio. (1/3) Divry dit vrai« Réveillez-vous ! » Dès les premiers mots de « La cote 400 » (Les Allusifs, 2010), Sophie Divry annonçait la couleur : elle allait nous remuer. Après ce monologue maniaque d’une bibliothécaire que personne ne voit, « revanche de l’humble sur le riche, du public sur le privé, de l’oublié sur le bling-bling », celle qui se surnomme « Madame Ciseaux », du fait de sa capacité à couper tout ce qui pourrait plomber sa prose, a beaucoup écrit.Dans l’ordre : la confession de son retour à la foi (« Journal d’un recommencement »), un tétanisant portrait de femme sous l’égide de Flaubert (« La Condition pavillonnaire »), une comédie formidablement loufoque sur la précarité (« Quand le diable sortit de la salle de bain »), un essai brillant sur l’écriture (« Rouvrir le roman »), la survie post-apocalyptique d’un taulard champêtre (« Trois fois la fois du monde »), le récit choral authentique de cinq Gilets Jaunes mutilés par la police (« Cinq mains coupées ») ou, en avril dernier, les considérations existentielles d’un robot seul sur Mars (« Curiosity »). Curiosité, oui. De quelle planète provient cette romancière si plurielle, encore trop méconnue ? Quels sont les mécanismes d'écriture de cette Lyonnaise d’adoption ? Elle qui affirme haut et fort : « Pour dire notre époque monstrueuse, il faut des romans monstrueux. Des romans difformes qui frôlent la catastrophe (…) Sinon, nous finirons tous reporters » (Le Monde, 2018). C’est le sujet de ce premier épisode.


    Enregistrement : avril 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Lectures : Chloé Assous-Plunian, Christophe Brault, Emma Broughton - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Flugabone : Brice Perda - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio


    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Flugabone : Brice Perda

  • Dans la boîte noire

    Bookmakers #13 - L’écrivain du mois : Hervé Le TellierNé à Paris en 1957 sous un nom qu’il préfère garder pour lui, Hervé Le Tellier est l’auteur prolifique et « disparate » de trente-huit livres (romans, poésie, théâtre) publiés au Castor Astral, chez JC Lattès ou aux éditions Gallimard. Lauréat du Goncourt et best-seller surprise de l’année 2020 avec « L’Anomalie », cet ex-journaliste scientifique fut de 1991 à 2018 le « Papou » le plus facétieux de France Culture – tout en étant depuis trente ans membre émérite de l’OuLiPo, sémillant cénacle d’ingénieurs du verbe dont il préside aujourd’hui les assemblées généreuses en contraintes créatives.
    En sus des ouvrages décortiqués dans ces trois épisodes de Bookmakers, citons ses « Contes liquides » publiés aux éditions de L’Attente et lauréats d’un prix de l’humour noir en 2013, qui rassemblent 80 rituels étranges venus de contrées imaginaires et signés d’un mystérieux « Jaime Montestrela », poète lisboète inventé de toutes pièces dont Hervé traduisit les œuvres – alors que Le Tellier, selon nos informations, ne parle pas du tout portugais.
    En partenariat avec Babelio.
    (3/3) Dans la boîte noire« Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence et même le génie, c’est l’incompréhension », écrit Victor Miesel, l’auteur de la confession suicidaire intitulée « L’Anomalie » planquée dans la soute du roman « L’Anomalie » d’Hervé Le Tellier, publié en 2020 aux éditions Gallimard. Mesdames et messieurs, prenez donc place à bord du vol Paris/New York AF006. Un jour d’été, ce Boeing 787 pénétra « quelques instants » dans les courants tourbillonnants d’un nuage « supercellulaire » semblable « à des dizaines d’enclumes soulevées par une main invisible ». Tous les passagers en furent notoirement secoués. Car, trois mois plus tôt, sur la même ligne, les mêmes passagers étaient déjà dans ce même avion... Voilà le point de départ de ce conte fantastique et souvent troublant, drôle ou doux-amer, comme si Woody Allen avait signé une saison de « Lost ». Ensuite, « les turbulences ont cessé et le soleil est revenu dans la cabine. C’est aussi la définition du Prozac. » Que s’est-il passé ? Comment ce récit choral très feuilletonnesque, qui carbure à la métaphysique tout en détournant les genres, a-t-il pu séduire les si sérieux jurés du Goncourt et voir en quelques mois ses ventes décoller vers le million d’exemplaires – du jamais vu, dans l’histoire de ce prix, depuis 1984 et « L’Amant » de Marguerite Duras.
    « Choisir le protocole, agir avec méthode », lit-on à propos du tueur à gages sur lequel s’ouvre ce roman truffé de traits d’esprits, d’hypothèses spirituelles et de samples littéraires plus ou moins dissimulés. C’est ce qu’il convient de définir dans ce troisième et dernier épisode en mode avion, en compagnie toujours aérienne du commandant Le Tellier, suffisamment sage pour nous faire méditer sur cette humble évidence : « Le plus grand danger pour un écrivain, c’est de croire qu’il est écrivain. »


    Enregistrements : juin-juillet 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Lectures : Chloé Assous-Plunian, Richard Gaitet, Silvain Gire, Delphine Saltel - Montage : Sara Monimart - Prise de son, réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch, Charlie Marcelet - Guitare & claviers : Zeid Hamdan - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch, Charlie Marcelet

  • OuLiPosuccions

    Bookmakers #13 - L’écrivain du mois : Hervé Le TellierNé à Paris en 1957 sous un nom qu’il préfère garder pour lui, Hervé Le Tellier est l’auteur prolifique et « disparate » de trente-huit livres (romans, poésie, théâtre) publiés au Castor Astral, chez JC Lattès ou aux éditions Gallimard. Lauréat du Goncourt et best-seller surprise de l’année 2020 avec « L’Anomalie », cet ex-journaliste scientifique fut de 1991 à 2018 le « Papou » le plus facétieux de France Culture – tout en étant depuis trente ans membre émérite de l’OuLiPo, sémillant cénacle d’ingénieurs du verbe dont il préside aujourd’hui les assemblées généreuses en contraintes créatives.
    En sus des ouvrages décortiqués dans ces trois épisodes de Bookmakers, citons ses « Contes liquides » publiés aux éditions de L’Attente et lauréats d’un prix de l’humour noir en 2013, qui rassemblent 80 rituels étranges venus de contrées imaginaires et signés d’un mystérieux « Jaime Montestrela », poète lisboète inventé de toutes pièces dont Hervé traduisit les œuvres – alors que Le Tellier, selon nos informations, ne parle pas du tout portugais.
    En partenariat avec Babelio.
    (2/3) OuLiPosuccions« Nous appelons littérature potentielle la recherche de formes, de structures nouvelles. » Le 24 novembre 1960, l'écrivain Raymond Queneau et un scientifique bibliophile nommé François Le Lionnais fondent une société secrète : le Selitex, « Séminaire de Littérature Expérimentale » qui, à l'initiative du professeur Albert-Marie Schmidt, fut vite rebaptisé OuLiPo. Késako ? « L’Ouvroir de Littérature Potentielle » s’est donné pour mission d’inventer, de mettre en pratique et de répertorier toute une gamme d’exercices stylistiques, guidés par de curieuses contraintes, afin « d’éveiller, libérer, stimuler l’imagination », de « trouver des mots neufs » ou de générer des effets rythmiques, poétiques ou comiques. L’exemple le plus célèbre de cette gymnastique est le roman « La Disparition » de Georges Perec (1968), entièrement écrit en lipogramme, c’est-à-dire en l’absence d’une lettre, la plus courante de notre langue : le « e ». Trois ans plus tard, le bon Georges n’utilisera plus que cette voyelle pour composer un autre roman, « Les Revenentes ».
    Les oulipien.ne.s se comparent parfois à un « rat, qui aurait construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir ». Attention cependant : ce n’est « ni une école, ni un mouvement, ni une avant-garde ». Il s’agit plutôt d’un laboratoire, que ces grands enfants souriants auraient caché au cœur d’une cour de récréation textuelle, en se réunissant un jeudi par mois à la Bibliothèque Nationale de France, à Paris, en public, pour présenter leurs travaux farfelu-diques.
    Dans ce deuxième épisode conçu comme une opération d’« ouliposuccion », nous allons entendre le président Le Tellier énoncer les règles invisibles qui donnèrent naissance aux poésies bizarres de son recueil « Zindien », ainsi qu’aux inventeurs fêlés qui peuplent les nouvelles de sa remarquable « Encyclopaedia inutilis ». Il explicitera également la discipline qui lui a permis de produire mille réponses à cette question cruciale : à quoi tu penses ?, rassemblées dans son ouvrage « Les amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable », vendu à plus de vingt mille exemplaires au fil des rééditions. Oulip-hip-hip, hourrah !


    Enregistrements : juin-juillet 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Lectures : Chloé Assous-Plunian, Richard Gaitet, Silvain Gire, Delphine Saltel - Montage : Sara Monimart - Prise de son, réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch, Charlie Marcelet - Guitare & claviers : Zeid Hamdan - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch, Charlie Marcelet

  • Un sourire indéfinissable

    Bookmakers #13 - L’écrivain du mois : Hervé Le TellierNé à Paris en 1957 sous un nom qu’il préfère garder pour lui, Hervé Le Tellier est l’auteur prolifique et « disparate » de trente-huit livres (romans, poésie, théâtre) publiés au Castor Astral, chez JC Lattès ou aux éditions Gallimard. Lauréat du Goncourt et best-seller surprise de l’année 2020 avec « L’Anomalie », cet ex-journaliste scientifique fut de 1991 à 2018 le « Papou » le plus facétieux de France Culture – tout en étant depuis trente ans membre émérite de l’OuLiPo, sémillant cénacle d’ingénieurs du verbe dont il préside aujourd’hui les assemblées généreuses en contraintes créatives.
    En sus des ouvrages décortiqués dans ces trois épisodes de Bookmakers, citons ses « Contes liquides » publiés aux éditions de L’Attente et lauréats d’un prix de l’humour noir en 2013, qui rassemblent 80 rituels étranges venus de contrées imaginaires et signés d’un mystérieux « Jaime Montestrela », poète lisboète inventé de toutes pièces dont Hervé traduisit les œuvres – alors que Le Tellier, selon nos informations, ne parle pas du tout portugais.
    En partenariat avec Babelio.
    (1/3) Un sourire indéfinissable Que savons-nous d’Hervé Le Tellier ? Je me souviens de ses 233 points de vue sur la Joconde – celui du médecin, d’un amateur de puzzle, de Lacan ou de Marguerite Duras – écrits pour les besoins de son ouvrage « Joconde jusqu’à cent et plus si affinités ». Je me souviens de 115 « dialogues socratiques de qualité » entre un maître et son disciple relativement idiot, regroupés dans le très zen « Demande au muet ». Je me souviens d’une liste de 40 véritables souvenirs amoureux, offerts à une ancienne amante le jour de ses 40 ans, insérés dans son roman « Assez parlé d’amour » qui s’écoula à vingt-six mille exemplaires. Je me souviens aussi de sa passion pour « Je me souviens » de Georges Perec, tout comme je me souviens de sa fausse correspondance avec 4 présidents de la République, révélée au grand jour dans « Moi et François Mitterrand ». Je me souviens enfin du Goncourt obtenu en 2020 pour « L’Anomalie », ses 40 traductions et son million d’exemplaires vendus, qui bouleversa un peu l’existence de ce romancier, poète et dramaturge parisien de 64 ans.
    Mais quelle est l’origine, l’abscisse et l’ordonnée de cet ancien professeur de mathématiques ? Quels auteurs consolèrent l’enfant seul que vingt mille lecteurs découvrirent dans son émouvant récit autobiographique, « Toutes les familles heureuses » ? A-t-il réellement assuré la sécurité du groupe The Clash ? Ce sont quelques-uns des sujets mis en équation dans ce premier épisode, avec l’humour en exposant.


    Enregistrements : juin-juillet 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Lectures : Chloé Assous-Plunian, Richard Gaitet, Silvain Gire, Delphine Saltel - Montage : Sara Monimart - Prise de son, réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch, Charlie Marcelet - Guitare & claviers : Zeid Hamdan - Illustration : Sylvain Cabot - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch, Charlie Marcelet

  • Hors de lui

    Bookmakers #12 - L’écrivain du mois : Alain DamasioNé à Lyon en 1969 sous le nom d’Alain Raymond, ce fils d’un carrossier et d’une professeure d’anglais rêvait, adolescent, « de changer la société ». Mais sa timidité l’empêche de s’engager pleinement dans les cercles militants. Alors pour exprimer sa « rage », ce lecteur compulsif de philosophie (Nietzsche, Foucault, Deleuze) va se brancher avec intensité sur un champ d’expression qu’il ne pratique quasiment jamais dans ses lectures : le roman, pour sa capacité à actionner « du désir, de la joie » et de nouveaux affects pour des luttes fertiles.Il en écrira seulement trois en vingt ans, disponibles au catalogue d’une maison indépendante, La Volte : « La Zone du Dehors » (1999), « La Horde du Contrevent » (2004) et « Les Furtifs » (2019). Trois ambitieux pavés conceptuels au souffle narratif étourdissant, trois laboratoires du style riches en néologismes, en jeux de mots ou en allitérations, trois « long-sellers » qui, complétés par le recueil de nouvelles « Aucun souvenir assez solide » (2012) et toutes les rééditions en poche chez Gallimard, atteignent aujourd’hui un total d’1,2 million de livres vendus, sans compter les traductions. Alain Damasio a publié ce printemps aux éditions Rageot la refonte d’une nouvelle de 2014, « Scarlett et Novak », narrant l’agression d’un jeune homme privé de son intelligence artificielle.
    En partenariat avec Babelio.
    (3/3) Hors de luiLe cosmos est son campement. Avec « La Horde du Contrevent », deuxième roman publié aux éditions La Volte en 2004, Alain Damasio s’aventurait avec maestria dans les dunes de la fantasy en peignant un monde sans cesse battu par le vent, de jour comme de nuit, qui force les humains à se terrer dans les villages. Pendant huit siècles, de courageux « hordiers » font bloc pour tenter d’avancer à « contrevent » et percer le mystère de cette malédiction – sans succès. Mais de vaillants prétendants reprennent la route et se serrent les coudes afin de poursuivre, au cours de vingt-sept années de haute lutte contre l’élément déchaîné dont ils ont appris à déchiffrer la musique et le phrasé, « ce rêve têtu, de la plus haute crétinerie, cette chimère d’atteindre un beau jour le bout de la Terre, tout là-haut, l’Extrême-Amont, à boire le vent à sa source – la fin de notre quête, le début de quoi ? ». Pensé comme le premier volet d’un diptyque inachevé, l’ouvrage s’écoule à plus de 350 000 exemplaires en grand format, décroche le Grand prix de l’Imaginaire et se voit traduit en quatre langues. Or, pour accoucher de cette « hydre de 700 pages », ode polyphonique « au lien et au mouvement », l’écrivain a dû, lors de six mille heures de travail étalées sur trois ans à la lisière de la dinguerie, surmonter sa solitude dans une cabane perdue aux confins du maquis corse et porter « au creux de sa gorge » vingt-trois personnages, dont certains – comme le traceur Golgoth, la soigneuse Aoi, « l’aéromaître » Oroshi ou le troubadour Caracole – sont devenus cultes. « Cuculte même », dit parfois Damasio à propos de ce grand-œuvre que le triomphe a rendu « stupidement intouchable » aux yeux des fans.Nourri aux « Mille plateaux » de Gilles Deleuze et Félix Guattari, ce roman fou-furieux sur le dépassement de soi a réussi l’exploit de franchir les frontières du genre pour conquérir un autre public grâce aux tourbillons de son écriture, « pure rafale de langage » sidérante d’inventions syntaxiques et de ruptures de rythme. En témoigne cette très longue scène de joute oratoire, où deux athlètes du verbe s’affrontent à coups de palindromes ou de mono-voyelles, comme si « Game of Thrones » rencontrait l’OuLiPo. Comment Alain Damasio a-t-il fait pour bâtir un tel « pont d’air » entre son imaginaire et le roman qui fit basculer sa vie ? Est-il vrai que cet architecte onirique travaille sans plan ? Pourquoi conseille-t-il à tous les auteurs, à toutes les autrices, d’avoir un autre métier ? Ce sont les sujets de ce troisième et dernier épisode, ouvert à tous les vents. 


    Enregistrement : mai 2021 - Entretien, découpage, lectures : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Machines : Clément Cliquet - Illustration : Sylvain Cabot - Remerciements : Jeanne Robet - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch

  • Zoomer sur la Zone

    Bookmakers #12 - L’écrivain du mois : Alain DamasioNé à Lyon en 1969 sous le nom d’Alain Raymond, ce fils d’un carrossier et d’une professeure d’anglais rêvait, adolescent, « de changer la société ». Mais sa timidité l’empêche de s’engager pleinement dans les cercles militants. Alors pour exprimer sa « rage », ce lecteur compulsif de philosophie (Nietzsche, Foucault, Deleuze) va se brancher avec intensité sur un champ d’expression qu’il ne pratique quasiment jamais dans ses lectures : le roman, pour sa capacité à actionner « du désir, de la joie » et de nouveaux affects pour des luttes fertiles.Il en écrira seulement trois en vingt ans, disponibles au catalogue d’une maison indépendante, La Volte : « La Zone du Dehors » (1999), « La Horde du Contrevent » (2004) et « Les Furtifs » (2019). Trois ambitieux pavés conceptuels au souffle narratif étourdissant, trois laboratoires du style riches en néologismes, en jeux de mots ou en allitérations, trois « long-sellers » qui, complétés par le recueil de nouvelles « Aucun souvenir assez solide » (2012) et toutes les rééditions en poche chez Gallimard, atteignent aujourd’hui un total d’1,2 million de livres vendus, sans compter les traductions. Alain Damasio a publié ce printemps aux éditions Rageot la refonte d’une nouvelle de 2014, « Scarlett et Novak », narrant l’agression d’un jeune homme privé de son intelligence artificielle.
    En partenariat avec Babelio.
    (2/3) Zoomer sur la Zone« Ce que je vous propose, c’est un monde dangereux, inconfortable et fou. » Entrons alors dans « La Zone du Dehors », le premier roman d’Alain Damasio écrit entre 22 et 26 ans et publié d’abord en deux tomes, en 1999, aux éditions CyLibris. Prenons la direction d’un satellite imaginaire de Saturne, au cœur d’une colonie terrienne où la vie ne tourne plus très rond : les habitants y sont classés, « clastrés », hiérarchisés et rebaptisés tous les deux ans selon leur respect des normes et leur efficacité au travail. « Souriez, vous êtes gérés. » Soumis, ces citoyens se fliquent et se dénoncent les uns les autres, sans pour autant jouir d’une liberté de circuler, sinon par « accès sélectifs » dans un « couvre-feu général » – tandis que « tout ce qui dérange ou heurte a été éradiqué ».Située en 2084, pile un siècle après l’action du roman « 1984 » de George Orwell, cette dystopie politique est une dénonciation des sociétés de contrôle qui, au début des années 90, « frappaient à la porte », selon l’expression de Gilles Deleuze. Anticipant la reconnaissance faciale, la traçabilité, les assistants vocaux ou la notation des individus, ce « bréviaire de combat » de 650 pages avait pour « unique but », affirme l’auteur, « de comprendre, en Occident, pourquoi et comment se révolter ». Heureusement, dans l’ombre, un groupuscule nommé La Volte, « joyeux bordel » de poètes et de radieux « rad-zonards » vu comme une organisation terroriste par la « fange gouvernementale », prépare sa « volution » pour dynamiter cette ville d’esclaves, en se battant pour la vitalité du collectif, « sans techno-prothèses », étant donné que « le confort est un danger » et l’individu, « une camisole ».Sorti dans une indifférence quasi complète avec à peine cinq cents exemplaires vendus en cinq ans, « La Zone du Dehors » sera réédité – et partiellement réécrit – en 2007 par une maison d’édition nommée… La Volte, pour atteindre aujourd’hui les cent mille copies écoulées. Dans ce deuxième épisode, Alain Damasio dévoile la « machinerie » de cette très impressionnante entrée en littérature, portée par une énergie étrange qu’il lui fallut apprendre à métaboliser : sa « fougue froide ».


    Enregistrement : mai 2021 - Entretien, découpage, lectures : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Musique additionnelle : Arnaud Forest - Machines : Clément Cliquet - Illustration : Sylvain Cabot - Remerciements : Jeanne Robet - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch - Musique additionnelle : Arnaud Forest

  • Souvenirs solides

    Bookmakers #12 - L’écrivain du mois : Alain DamasioNé à Lyon en 1969 sous le nom d’Alain Raymond, ce fils d’un carrossier et d’une professeure d’anglais rêvait, adolescent, « de changer la société ». Mais sa timidité l’empêche de s’engager pleinement dans les cercles militants. Alors pour exprimer sa « rage », ce lecteur compulsif de philosophie (Nietzsche, Foucault, Deleuze) va se brancher avec intensité sur un champ d’expression qu’il ne pratique quasiment jamais dans ses lectures : le roman, pour sa capacité à actionner « du désir, de la joie » et de nouveaux affects pour des luttes fertiles.Il en écrira seulement trois en vingt ans, disponibles au catalogue d’une maison indépendante, La Volte : « La Zone du Dehors » (1999), « La Horde du Contrevent » (2004) et « Les Furtifs » (2019). Trois ambitieux pavés conceptuels au souffle narratif étourdissant, trois laboratoires du style riches en néologismes, en jeux de mots ou en allitérations, trois « long-sellers » qui, complétés par le recueil de nouvelles « Aucun souvenir assez solide » (2012) et toutes les rééditions en poche chez Gallimard, atteignent aujourd’hui un total d’1,2 million de livres vendus, sans compter les traductions. Alain Damasio a publié ce printemps aux éditions Rageot la refonte d’une nouvelle de 2014, « Scarlett et Novak », narrant l’agression d’un jeune homme privé de son intelligence artificielle.
    En partenariat avec Babelio.
    (1/3) Souvenirs solidesÀ 51 ans, Alain Damasio apparaît souvent comme une sorte d’oracle chatoyant. Il est, en France, le seul écrivain de science-fiction à qui tous les médias tendent leurs micros, ravis de se faire expliquer le présent pour déjouer les pièges du futur. Sa bonhommie solaire, volontiers rieuse, contraste avec la fermeté de ses convictions politiques (anticapitaliste et écolo, fervent soutien des ZAD ou des Gilets Jaunes) et la lucidité de ses analyses sur notre dépendance dramatique aux réseaux, la novlangue abêtissante de la start-up nation ou le dernier eye-liner de Big Brother. « J’ai toujours revendiqué la S.-F. comme un genre majeur, qui connaît aujourd’hui un âge d’or » puisque notre « vécu technologique » est désormais « total, quotidien, permanent », en raison de ce petit objet rectangulaire que nous avons en poche du matin au soir, le smartphone, noir miroir d’une humanité sous surveillance.
    Mais quelle a été la formation de cet artiste qui, pour écrire, doit sempiternellement s’isoler, seul et longtemps, dans les gorges du Verdon, le Vercors, le Cap-Corse, à Groix, Porquerolles ou Ouessant ? Ce quinqua dans le vent pour qui la randonnée est aussi importante, au sein de son processus créatif, que la prose de Mallarmé ? Ce passionné de football « structuré par l’épreuve » qui affirme apprendre à organiser ses phrases en regardant jouer l’Argentin Lionel Messi ? Pour le savoir, « Bookmakers » s’est rendu au domicile d’Alain Damasio, à Marseille, le temps d’une visite furtive – dont voici la première partie, à l’extrême-amont de sa mémoire.


    Enregistrements : mai 2021 - Entretien, découpage, lectures : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Musiques additionnelles : Charlie Marcelet - Machines : Clément Cliquet - Illustration : Sylvain Cabot - Remerciements : Jeanne Robet - Sample du jeu « Remember me » : de Jean-Maxime Morris, scénarisé par Alain Damasio et Stéphane Beauverger, avec une musique d’Olivier Derivière. ©CAPCOM CO., LTD. 2013 ALL RIGHTS RESERVED. - Production : ARTE Radio

    - Musiques originales : Samuel Hirsch, - Musiques additionnelles : Charlie Marcelet

  • Le plein de Super

    Bookmakers #11 - L’écrivain du mois : Sylvain PrudhommeNé en 1979, Sylvain Prudhomme vit et travaille à Arles. Après une série de livres cosmopolites et expérimentaux dont nous parlerons beaucoup dans ce numéro, ce bref professeur de lettres est remarqué en 2014 avec « Les Grands », roman de deuil et d’amour en hommage au légendaire orchestre de Guinée-Bissau, le Super Mama Djombo. Son art du sensible se déploie ensuite autour des deux frères de « Légende » (2016) et le succès vient avec « Par les routes » (2019), hymne à la liberté d’un auto-stoppeur évanescent, influencé par les travaux de l’écrivain et plasticien Edouard Levé ; le roman décroche le prix Femina et s’écoule à près de cent mille copies.Traducteur d’une biographie de Pancho Villa, à son aise dans les forêts de l’Ariège autant que dans les salons de coiffure afro de Château d’Eau, Sylvain Prudhomme vient de publier un recueil de nouvelles écrites en confinement : « Les Orages ».
    En partenariat avec Babelio.
    (3/3) Le plein de Super À 30 ans, Sylvain Prudhomme part vivre au Sénégal pour diriger deux ans durant l'Alliance française d’une ville du sud, Ziguinchor, posée sur les rives du fleuve Casamance. Il y rencontre certains musiciens d’un orchestre « mythique » de Guinée-Bissau, Super Mama Djombo, fabuleusement populaire dans les années 70-80, qui connut la ferveur des stades en tournant dans toute l’Afrique de l’Ouest, en Amérique latine, à Cuba ou en Europe. Mémoires chaloupées des espoirs d’une nation au lendemain de son indépendance, leurs chansons bercent le séjour de l’écrivain. Prudhomme fera du Mama Djombo les héros magnifiques du roman « Les Grands » (Gallimard), qui le révèle en 2014, vendu à ce jour à dix-huit mille exemplaires. Il invente pour l’occasion un personnage central, le guitariste Saturnino Bayo dit « Couto », « mélange d’ancienne gloire grisonnante et de branleur impénitent », « seigneur invariablement désœuvré, invariablement fauché, le putain de patron de la dalle au ventre », qui dès la première phrase apprend la mort de son amour de jeunesse, la chanteuse Dulce (fictive, elle aussi). Vétérans et nouvelles recrues du groupe décident alors d’improviser un concert en son honneur, le soir même – alors qu’un coup d’Etat se prépare.Roman de deuil à la sensualité rare, « Les Grands » lance Couto un jour et une nuit dans Bissau, au gré de ses souvenirs romantiques ou politiques, dans un « mélange de peine et d’excitation », entre les manguiers fourrés de chauve-souris, les gamins qui jouent au foot, les braseros qui éclairent les visages et les « mille accidents du sol ». La narration résonne d’une oralité jamais chiquée – et l’âge d’or de l’orchestre, comme sa progressive dislocation, y palpite beaucoup mieux ainsi que dans une biographie. « Tu nous a demandé d’envoyer la dynamite mon vieux, tu vas être servi. » Mais comment trouver la note juste, dans le boucan des anecdotes en pagaille ? C’est le sujet de ce troisième et dernier épisode.


    Enregistrement : mars 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Saxophone : Michaël Havard - Lectures : Christophe Brault - Illustration : Sylvain Cabot - Remerciements : Bintou Simporé et Benoît Thuault, pour l’utilisation des extraits du live de Sylvain Prudhomme avec Malan Mané et Djon Motta dans l’émission « Néo Géo » sur Radio Nova (26/11/14) - Production : ARTE Radio

  • Sentiers en chantiers

    Bookmakers #11 - L’écrivain du mois : Sylvain PrudhommeNé en 1979, Sylvain Prudhomme vit et travaille à Arles. Après une série de livres cosmopolites et expérimentaux dont nous parlerons beaucoup dans ce numéro, ce bref professeur de lettres est remarqué en 2014 avec « Les Grands », roman de deuil et d’amour en hommage au légendaire orchestre de Guinée-Bissau, le Super Mama Djombo. Son art du sensible se déploie ensuite autour des deux frères de « Légende » (2016) et le succès vient avec « Par les routes » (2019), hymne à la liberté d’un auto-stoppeur évanescent, influencé par les travaux de l’écrivain et plasticien Edouard Levé ; le roman décroche le prix Femina et s’écoule à près de cent mille copies.Traducteur d’une biographie de Pancho Villa, à son aise dans les forêts de l’Ariège autant que dans les salons de coiffure afro de Château d’Eau, Sylvain Prudhomme vient de publier un recueil de nouvelles écrites en confinement : « Les Orages ».
    En partenariat avec Babelio.
    (2/3) Sentiers en chantiers« Bien sûr il faudrait se lever, tenter quelque chose, une sortie, une bonne douche (…) Mais le drap est si doux. » En 2007, l’année de ses 28 ans, Sylvain Prudhomme a une bonne raison de sortir de son lit. Les éditions du Serpent à plumes publient son premier roman, « Les Mâtinées d’Hercule », écrit deux ans auparavant. Soit le monologue existentiel d’un narrateur un peu délirant qui, tout simplement, refuse de quitter son plumard et gamberge sous la couette à propos de l’amour, la mort, ses projets pour la journée qu’il abandonne non sans culpabilité, mais aussi de sa libido, de sa compagne baptisée « Pépée », des pantoufles de celle-ci, ou de son métier. Car ce zigue est ingénieur, vous vous rendez compte ? Ce patachon fabrique des propulseurs. Ce n’est pas rien. Mais Hercule se voit comme « un bon à rien, une sangsue des marais, un concombre de rivière inoffensif ».Formidablement absurde, aussi tendre que débraillé, ce texte est l’une des curiosités glanées dans la rivière des débuts méconnus de Sylvain Prudhomme. Suivront une virée en Tanzanie, « Tanganyika Project » (éditions Léo Scheer, 2010), qui dérive vite en laboratoire oulipien dans lequel il tente de « capturer » les rues ; « L’Affaire Furtif » (Burozoïque, 2010), sur l’épopée maritime d’artistes radicaux qui font sécession avec la société ; puis « Là, avait dit Bahi », « roman vrai » qui marque en 2012 son entrée dans la collection L’Arbalète de Gallimard, composé d’une seule phrase de 199 pages, après un mois en Algérie dans la cabine d’un camionneur septuagénaire. Tels sont les chantiers « un peu conséquents » et les sentiers enchantés de ce deuxième épisode. En route !


    Enregistrement : mars 2021 - Entretien, découpage : Richard Gaitet - Prise de son, montage : Sara Monimart - Réalisation, mixage : Charlie Marcelet - Musiques originales : Samuel Hirsch - Saxophone : Michaël Havard - Lectures : Christophe Brault - Illustration : Sylvain Cabot - Remerciements : Bintou Simporé et Benoît Thuault, pour l’utilisation des extraits du live de Sylvain Prudhomme avec Malan Mané et Djon Motta dans l’émission « Néo Géo » sur Radio Nova (26/11/14) - Production : ARTE Radio