Afleveringen
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Aujourdâhui je reçois lâĂ©crivain Jean-Philippe Toussaint pour son livre, Lâinstant prĂ©cis oĂč Monet entre dans lâatelier, paru aux Ăditions de Minuit, mais avantâŠ
En plateauLâĂ©crivain Jean-Philippe Toussaint vient nous parler de son dernier ouvrage, Lâinstant prĂ©cis oĂč Monet entre dans lâatelier, paru aux Ăditions de Minuit.
Un grand merci au restaurant Chez Georges rue du Mail dans le 2Ăšme arrondissement de Paris qui nous a accueilli pour lâenregistrement de cette Ă©mission.
Ă lâĂ©couteAgnes Obel, Falling, Catching (2010) accompagne la lecture de Jean-Philippe Toussaint.Nathalie Sarraute, entretien avec Jacques Chancel, extrait de lâĂ©mission Radioscopie, 16 octobre 1989, France Inter.Nike Drake, A place to be (1972).Francis Bacon au micro de Michel Couturier en 1975 sur France Culture.Moondog, PrĂ©lude N°1 en La mineur (interprĂ©tĂ© par Vanessa Wagner, album Study of the invisible) accompagne la voix de Francis Bacon.Florian Pelissier, Rio (2021) accompagne ma lecture du texte de Jean-Philippe Toussaint.Erratum : LâĆuvre dâAnge Leccia, (Dâ)AprĂšs Monet, Ă©voquĂ©e durant lâĂ©mission est exposĂ©e au MusĂ©e de lâOrangerie non pas jusquâau 2 septembre mais jusquâau 5 septembre 2022.RĂ©alisation : StĂ©phane Dujardin -
Kim Tschang-Yeul, Goutte dâeau sur sable, 1974, coll. ParticuliĂšre.
ContexteAujourdâhui je reçois le philosophe et mathĂ©maticien, Olivier Rey mais avant, une petite histoireâŠ
Peut-ĂȘtre connaissez-vous le peintre Kim Tschang Yeul. NĂ© dans un petit village de lâactuelle CorĂ©e du Nord, il sert comme soldat durant les conflits sino-japonnais de la deuxiĂšme guerre mondiale et reste profondĂ©ment marquĂ© par les atrocitĂ©s auxquelles il assiste. Dans les annĂ©es 60, aprĂšs un dĂ©tour par New-York, il arrive Ă Paris oĂč il cherche encore sa voie artistique. Il raconte qu’une nuit, dans son atelier, pour apaiser un rĂ©veil angoissĂ©, il pose une de ses toiles Ă lâenvers pour y jeter de lâeau qui se rĂ©partit en dâinnombrables gouttes. Il voit alors se crĂ©er un tableau. Le phĂ©nomĂšne est, pour lui, si Ă©tonnant quâil se met Ă peindre ces gouttes dâeau. Pendant 50 ans, il ne peindra plus que cela. Des gouttes dâeau. Des gouttes ovales, rondes, molles, colorĂ©es, monochromes, des gouttes joyeuses, naĂŻves, rĂ©alistes, abstraites, des larmes aussi. Des gouttes dâeau pour laver sa mĂ©moire des images obsĂ©dantes de guerres, de cadavres, de corps chancelants, dâamis dĂ©chiquetĂ©s sous ses yeux par des obus. Des gouttes dâeau pour se laver de cette violence et remplacer dâurgence les tĂ©nĂšbres par la vie. Bachelard dit quâ « une goutte dâeau puissante suffit pour crĂ©er un monde et pour dissoudre la nuit. Lâeau ainsi dynamisĂ©e, poursuit-il, est un germe ; elle donne Ă la vie un essor inĂ©puisable ». Kim Tchang Yeul utilisait lâeau comme une consolation, pour rĂ©parer son Ăąme.
Mais comment appliquer la rĂ©ciproque ? Câest aujourdâhui lâeau qui est menacĂ©e. En tant que ressource naturelle bien sĂ»r, mais Ă©galement dans sa dimension poĂ©tique, selon notre invitĂ©. Lâeau rĂ©duite, dans sa dĂ©finition, Ă sa formule chimique aurait Ă©tĂ© « dĂ©poĂ©tisĂ©e » dirait Bachelard. Quelles consĂ©quences cette « dĂ©poĂ©tisation » a-t-elle sur nos vies ? Comment rĂ©parer lâeau ? Et comment lâart peut-il devenir un des outils de cette rĂ©paration ?
Loin du simple manuel Ă©cologique, lâouvrage de notre invitĂ©, montre comment la science moderne a petit Ă petit vidĂ© lâeau de sa substance symbolique et imaginaire. RĂ©habiliter lâaura de cet imaginaire donc, pour rendre sa dignitĂ© Ă lâeau, « renouer avec des parts de nous-mĂȘme auxquelles nous avons perdu accĂšs » câest tout lâenjeu de lâouvrage de notre invitĂ©.
En plateau
Olivier Rey, philosophe et mathĂ©maticien, chercheur au CNRS, enseignant Ă lâUniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on Sorbonne, vient nous parler de son dernier ouvrage, RĂ©parer lâeau, publiĂ© chez Stock en 2021.
Ă l’Ă©couteDaniel Arasse, « Perspectives de LĂ©onard de Vinci », Histoires de peintures, enregistrement France Culture en 2003.le choix musical de notre invitĂ© : Romain Didier, Julie La Loire.Daniel Arasse, « La Joconde », Histoires de peintures, enregistrement France Culture en 2003.Vous pouvez retrouver les textes des enregistrements de Daniel Arasse rĂ©unis dans Histoires de peintures, collection folio essai, ed. Gallimard.
La musique Opening, extrait de Glassworks, de Philip Glass accompagne la voix de Daniel Arasse.RéalisationStéphane Dujardin
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Zijn er afleveringen die ontbreken?
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Contexte
On croyait tout savoir sur les impressionnistes, et bien non! Câest ce que nous allons dĂ©couvrir avec la brillante historienne de lâart Marine Kisiel.
Mais avant, observez ou imaginez ce tableauâŠ
Dans un jardin, Ă lâombre dâun arbre, une scĂšne de dĂ©jeuner est temporairement dĂ©sertĂ©e par ses convives. La table semblait accueillir deux personnes dont la prĂ©sence rĂ©cente se devine par la vaisselle laissĂ©e en lâĂ©tat : sur la table, deux tasses disposĂ©es de part et dâautre, un verre vide, un petit pain grignotĂ©, une coupe de fruits, une thĂ©iĂšre et un chĂąle abandonnĂ© en un monticule sur le bord de la nappe.
Ă lâavant plan, notre regard butte sur une dessert en osier oĂč sont dĂ©posĂ©s les restes de la collation ainsi que sur un banc oĂč devait ĂȘtre installĂ©e lâune des convives. PlacĂ© Ă lâoblique, le banc souligne la profondeur de la composition qui guide le regard du spectateur tout en maintenant une distance. La place encore chaude de lâune des convives est dorĂ©navant occupĂ©e par son ombrelle et son panier. Les deux dineuses ne sont forcĂ©ment pas loin. Aux pieds de la table, un enfant sâamuse Ă empiler des tiges de bois. Il ne faudrait pas le laisser trop longtemps seul⊠Et en effetâŠ. La suite de la scĂšne se passe Ă lâarriĂšre plan, Ă lâabri des regards, derriĂšre une branche dâarbre dont lâombre apportait un air de fraicheur au repas. Au milieu des buissons fleuris du jardin, aux couleurs ravivĂ©es par les rayons du soleil, deux jeunes femmes dont on ne distingue pas les visages se promĂšnent.
Ce tableau de Monet est montrĂ© Ă lâoccasion de la seconde exposition impressionniste en 1876, accompagnĂ© de la mention « panneau dĂ©coratif ». Rappelons quâun panneau dĂ©coratif est censĂ© avoir Ă©tĂ© commandĂ© Ă un artiste pour venir orner une piĂšce prĂ©cise dâun intĂ©rieur. Le peintre adapte ainsi son sujet aux contraintes du lieu dĂ©signĂ©. Mais ce tableau que nous venons de dĂ©crire ne possĂšde ni commanditaire ni lieu de destination au moment de son exposition. Alors pourquoi attribuer une fonction Ă un tableau qui ne semble remplir a priori aucune de ces caractĂ©ristiques ? VoilĂ une premiĂšre interrogation.
Ćuvre Ă©voquĂ©e en introduction
Dans lâintroduction de son ouvrage, Marine Kisiel constate que malgrĂ© le foisonnement des travaux sur lâimpressionnisme son rapport Ă la dĂ©coration reste la plupart du temps ignorĂ©. Au point que nous regardons aujourdâhui des Ćuvres impressionnistes comme des tableaux de chevalet sans savoir quâils ont dâabord Ă©tĂ© conçus comme des dĂ©corations. Pourquoi une telle mĂ©connaissance ?
Notre invitĂ©e va aujourdâhui nous accompagner dans la relecture de ces Ćuvres.Claude Monet, Le dĂ©jeuner, Vers 1873, huile sur toile, 160 x 201 cm, Legs de Gustave Caillebotte, 1894, MusĂ©e dâOrsay.
En PlateauMarine Kisiel, Docteure en histoire de lâart, conseillĂ©e scientifique Ă lâInstitut nationale dâhistoire de lâart (Inha), anciennement conservatrice au musĂ©e dâOrsay, elle a notamment Ă©tĂ© commissaire des expositions « Degas, danse, dessin » (2017), « Degas Ă lâOpĂ©ra » (2019) ou encore « James Tissot, lâambigu moderne » en 2020.
BibliographieMarine Kisiel, La peinture impressionniste et la décoration, Paris, ed. Le Passage, 2021.
Ă lâĂ©couteReprise de Vincent Delerme, Jeanne Cherhal et Albin de la Simone : Les gens qui doutent dâAnne SylvestreMohamed Lamouri, Tgoul MaaraftRĂ©alisation : StĂ©phane Dujardin -
En plateau
Aujourdâhui je reçois la sculpteur Simone Pheulpin Ă lâoccasion de son exposition “Simone Pheulpin plieuse de temps » au musĂ©e des Arts DĂ©coratifs jusquâau 16 janvier!
Mais avant, imaginez ses sculptures dans les salles du musĂ©e des arts dĂ©coratifs. MĂȘlĂ©es, le temps de lâexposition, aux collections permanentes du musĂ©e, ses sculptures, parmi dâautres objets, se distinguent par leurs couleurs, toutes Ă©crues presque grĂšges.
Au premier regard, on croit reconnaitre un morceau de roche dans une Ćuvre, du lichen ou du corail dans une autre, sans jamais ĂȘtre totalement sĂ»r de ce que lâon perçoit. En avançant vers les sculptures, en tournant autour, lâon peut finir par changer dâavis selon sa rĂȘverie : voir une gangue, une spirale minĂ©rale puis se raviser encore pour lâhypothĂšse dâune crĂ©ature qui se recroquevillerait sur elle-mĂȘme.
MĂȘme la matiĂšre de lâĆuvre est soumise au doute : serait-ce de la pierre ? de lâargile ? Et puis, tout bien considĂ©rĂ©, est-ce vĂ©ritablement le rĂ©sultat dâune crĂ©ation de lâhomme ou dâune femme en lâoccurrence ou simplement celui dâun processus naturel ? LĂ encore impossible de le dĂ©terminer avec certitude. Le regard poursuit sa recherche en hĂ©sitant toujours⊠Lâon croit discerner des formes organiques familiĂšres : des stries, des effritements de cette roche, des Ă©paisseurs dâĂ©corce, des calcifications, du corail fossilisĂ©, des champignons, lâaspect mousseux du lichenâŠ. Câest cela et ça nâest pas cela.
IntriguĂ© par lâinstabilitĂ© de la nature mĂȘme des Ćuvres dont lâĂ©volution se dĂ©termine en fonction de notre position face Ă elles, je me rĂ©fĂšre, pour en comprendre la construction, au cartel. Il est inscrit : « plis de coton et Ă©pingles ». Loin dâapporter une explication, cette description engendre mon incrĂ©dulitĂ©. Me rapprochant au plus prĂšs, bravant la distance de sĂ©curitĂ© qui dĂ©clenche rapidement lâalarme stridente en mĂȘme temps que lâair rĂ©probateur du gardien de la salle du musĂ©e, lâĆil, maintenant Ă quelques centimĂštres, comme lâobjectif dâun appareil photo, fait sa mise au point : je dĂ©couvre enfin cette matiĂšre que mâindiquait le cartel, la moelleuse et chaleureuse trame du coton!
LâĂ©nigme ne sâarrĂȘte pourtant pas lĂ : Comment lâartiste obtient-elle cette mĂ©tamorphose de la matiĂšre et cette beautĂ© des formes? Et comment un matĂ©riau si usuel que du coton peut-il conduire Ă la suggestion de tant de mondes possibles?
Simone Pheulpin fonde effectivement son art sur deux accessoires simples : des bandelettes de coton des Vosges dont elle est originaire et des aiguilles! La sculptrice procĂšde par plis. Des milliers dâĂ©pingles qui maintiennent des milliers de plisâŠ
Cela mĂ©ritait quelques Ă©clairages de lâartisteâŠ.
BibliographieChristophe Pradeau, Françoise de Loisy (dir.), Simone Pheulpin, Ă©ditions cercle dâart, Paris, 2022.
Ă lâĂ©couteWhen the saints go marching in Golden Gate Quartet
Réalisation : Stéphane Dujardin
Petite fleur de Sidney Bechet -
Aujourdâhui je reçois lâĂ©crivain CĂ©dric Gras qui nous raconte :
Jâai pris conscience que, si ce nâĂ©tait pas moi, personne ne sâattellerait Ă cette ahurissante histoire. Je ne voulais pas quâelle disparaisse dans le noir. Jâai fini par mâen faire un devoir. DĂšs lors, je me suis chaque jour un peu plus enfoncĂ© dans des recherches fiĂ©vreuses, jâai Ă©tĂ© happĂ© par ces vies folles, de dĂ©cennies qui ne lâĂ©taient pas moins, dans un pays qui lâa toujours Ă©tĂ©.
Lâhistoire ahurissante dont parle lâĂ©crivain CĂ©dric Gras Ă©tait, jusquâalors, une histoire oubliĂ©e. Celle de deux alpinistes, deux frĂšres : Vitali et Evgheni Abalakov. Le premier est ingĂ©nieur, le second, artiste, peintre-sculpteur.
Deux grimpeurs aux aptitudes hors normes dont les ascensions extraordinaires les Ă©rigent en hĂ©ros de lâalpinisme durant la pĂ©riode soviĂ©tique. DĂšs les annĂ©es 1920, les montagnes sont un terrain de conquĂȘte, un enjeu politique pour lâURSS.
Le statut de héros des frÚres Abalakov, ne les préserve pourtant pas des tourments de la Grande Terreur Stalinienne à la fin des années 1930 :
Sous des prĂ©textes arbitraires ou fabriquĂ©s, nâimporte qui peut ĂȘtre dĂ©crĂ©tĂ© ennemi du rĂ©gime, y compris les fidĂšles du parti. Un jour honorĂ©, le lendemain dĂ©savouĂ©, avant dâĂȘtre torturĂ© puis prisonnier, fusillĂ© ou envoyĂ© au goulag.
Pourquoi ce rĂ©gime prend-il plaisir Ă anĂ©antir les hĂ©ros quâil a lui-mĂȘme fabriquĂ© ?
Quâest-ce qui pousse les frĂšres Abalakov Ă continuer de grimper pour un systĂšme politique qui annihile ses sujets ?
Dans chacune de ses excursions, Evgheni Abalakov emporte son matĂ©riel de peinture. Il peint des aquarelles Ă 5000, 6000 mĂštres dâaltitude. CĂ©dric Gras rapporte quâaprĂšs 18 jours dâascension, Evgheni a la force de repartir crapahuter pour peindre une vue du Pic Staline quâil vient de franchir, comme si sa reprĂ©sentation pouvait venir prolonger son cheminement et en raviver les sensations. Quâest-ce qui anime le cĆur de ces alpinistes de lâextrĂȘme durant leur Ă©lĂ©vation ? Notre invitĂ© dâaujourdâhui dit que si cette bande dâhommes, grimpe au-dessus des mers de nuages, câest pour sauver son Ăąme. Y-a-t-il du spirituel dans lâart de lâalpinisme ?
En plateauCĂ©dric Gras, alpiniste, gĂ©ographe, Ă©crivain-voyageur, russophone, auteur de rĂ©cits de voyage dont Lâhiver aux trousses, Anthracite, La mer des Cosmonautes, Saisons du voyage.
Son dernier ouvrage Alpinistes de Staline qui fait lâobjet de cette Ă©mission, lui a valu le prix Albert Londres en 2020.
Ă l’Ă©couteNeuzheli ne ya de Svetlana Surganova
RĂ©alisation : Olivier Grieco
Hur Qiz de Yulduz Usmonova -
Aujourdâhui je reçois Martine Lacas, Docteure en histoire et thĂ©orie de lâart et SĂ©verine Sofio Sociologue et chercheure au CNRS pour discuter ensemble des femmes artistes en Ă©cho Ă lâexposition qui se tient au MusĂ©e du Luxembourg jusquâau 4 juillet 2021.
ContexteMais avant :Observez ou imaginez. Nous sommes en Angleterre, Ă Londres, Ă la fin du XVIIIe siĂšcle, en 1772 exactement.
Johan Zoffany, portraitiste reconnu, sâamuse Ă reprĂ©senter les membres de son institution, la Royal Academy, Ă lâoccasion dâune sĂ©ance de modĂšle vivant. Dans la salle dâatelier, lâassemblĂ©e est entiĂšrement composĂ©e dâhommes. Angelica Kauffmann et Mary Moser, qui appartiennent pourtant aux membres fondateurs de la Royal Academy, ne sont pas reprĂ©sentĂ©es dans cette scĂšne. Pas reprĂ©sentĂ©es⊠Pardon câest inexact. Zoffany est plus subtil que cela. En sâapprochant dâun peu plus prĂšs, on aperçoit effectivement les deux acadĂ©miciennes, mais de maniĂšre mĂ©tonymique : elles sont reprĂ©sentĂ©es par leur portraits accrochĂ©s en hauteur sur le mur de droite de la salle de dessin.
Dans cette scĂšne recomposĂ©e par Zoffany, les peintres Ă©changent entre eux, en observant particuliĂšrement lâun des deux modĂšles nus, celui de lâarriĂšre-plan, dont le geste est guidĂ© par lâun des acadĂ©miciens. Tous dĂ©bĂątent de la posture du modĂšle. Certains scrutent : ils examinent Ă distance ou discutent en apartĂ©. Dâautres, circonspects, touchent leur menton en signe de profonde rĂ©flexion. Tous paraissent trĂšs concernĂ©s par le dĂ©bat que suscite la mise en scĂšne de la posture du modĂšle masculin.
Les deux femmes, Angelica Kauffman et Mary Moser, quant Ă elles, malgrĂ© leur statut dâacadĂ©micienne, leur appartenance Ă lâinstitution, nâont, dans ce contexte, pas droit de citer. Elles ne participent pas aux dĂ©bats, elles sont physiquement absentes. Seule leur image nous est donnĂ©e Ă voir : un profil, celui de Mary Moser et un visage de Ÿ, celui dâAngelica Kauffmann. Bien sĂ»r, Ă lâĂ©poque, elles sont reconnaissables par chacun des spectateurs qui sâarrĂȘtera devant cette toile. Et câest lĂ tout le paradoxe : elles sont respectĂ©es, reconnues tout en restant parfois exclues. Elles sont lĂ sans lâĂȘtre. RĂ©duites, pour lâoccasion, Ă une forme dĂ©corative, leurs portraits accrochĂ©s parmi des bas-reliefs et autres copies en argile sur les murs de la salle dâatelier.
Ce traitement de deÌfaveur, les deux peintres le doivent aÌ leur statut de femme qui les empĂȘche, pour des raisons de convenances, dâavoir accĂšs aux cours dâaprĂšs nature. Par ce portrait de lâinstitution acadĂ©mique et de leurs membres, Zoffany montre (sans nĂ©cessairement le vouloir dâailleurs) toute la complexitĂ© et le paradoxe dans lâĂ©tablissement du statut de la femme artiste au tournant du XVIIIe et XIXe siĂšcle. PĂ©riode dĂ©cisive, nous allons le voir, oĂč la lumiĂšre se fit sur les femmes artistes.
En plateau (virtuel)Martine Lacas, Docteure en histoire et thĂ©orie de lâart et commissaire de lâexposition au MusĂ©e du Luxembourg Ă Paris, intitulĂ©e : Peintres Femmes 1780-1830, Naissance dâun combat. Voir Ă©galement le catalogue de lâexposition : Martine Lacas (dir.), Peintres femmes – 1780-1830 – Naissance d’un combat, Ăditions Rmn – Grand Palais, 2021.
Severine Sofio, chargĂ©e de recherche au CNRS et notamment autrice de lâouvrage : Artistes femmes, La parenthĂšse enchantĂ©e xviii-xixe siĂšcles, paru en 2016, aux Ă©ditions du CNRS.
Ćuvre Ă©voquĂ©e en introduction :Mason Jakson dâaprĂšs Johan Zoffany, Portraits des premiers fondateurs de l’AcadĂ©mie Anglaise des Beaux-Arts (Portraits of the founding members of the Royal Academy of Arts, London), issu de “L’Univers IllustrĂ©” Octobre 2, 1862, Gravure sur bois, 23.5 Ă 34.5 cm, Metropolitan Museum, New-York.
Portrait des premiers fondateurs de l’AcadĂ©mie anglaise des beaux-arts, d’aprĂšs le tableau de Zoffany
Lien vers le tableau
Ă l’oreilleAretha Franklin, Respect (1967)
Réalisation : Stéphane Dujardin
Lisa Ekdahl, Now or Never, (Album Back to Earth, 1998) -
Contexte :
Observez ou imaginez. Aujourdâhui le medium nâest pas un tableau mais une gravure, celle dâun personnage littĂ©ralement scindĂ© : la partie gauche de son corps est vĂȘtue en femme de la haute sociĂ©tĂ©, Ă la mode du 18e siĂšcle, parĂ©e dâune robe cintrĂ©e au corsage baleinĂ©e, taillĂ©e dans un tissu de brocart, les manches gonflĂ©es par les Ă©tages de tissus, de dentelles et de tulles. La riche parure vestimentaire se termine par une coiffure verticale, architecturĂ©e, surmontĂ©e dâune plume.
La partie droite de ce mĂȘme corps est vĂȘtue en gentleman, toujours Ă la mode du 18e siĂšcle : manteau trois quart, gilet boutonnĂ©, culotte courte, une Ă©pĂ©e Ă la ceinture, et, dĂ©tail important, une distinction se laisse apercevoir Ă la boutonniĂšre de sa veste. Il sâagit de la croix de lâordre royal et militaire de saint Louis. Ce drĂŽle de personnage, clivĂ© dans son apparence, renvoie Ă une double identitĂ© dĂ©taillĂ©e dans la lĂ©gende de lâimage. Il y est inscrit : Mademoiselle de Beaumont ou Chevalier DâĂon, Femme ministre plĂ©nipotentiaire, Capitaine des dragons. VoilĂ qui a de quoi intriguer. Deux moitiĂ©s de personnes pour un mĂȘme corps, deux identitĂ©s et deux titres pour un seul et mĂȘme visage.
Pourquoi cette double apparence ?Charles dâĂon de Beaumont dit le chevalier dâĂon est un personnage extravagant. Diplomate, homme de lettres, il devient surtout espion du Roi Louis XV et adepte du travestissement. Sa premiĂšre mission dâinfiltration a lieu en juin 1756. Câest le dĂ©but de la guerre de sept ans qui oppose la France Ă lâAngleterre. Charles de Beaumont est envoyĂ© en Russie Ă Saint PĂ©tersbourg. Son objectif : obtenir ce quâaucun ambassadeur nâavait obtenu : lâalliance de la Russie avec la France contre lâAngleterre. Il se dĂ©guise en femme, devient lectrice de la tzarine Ălisabeth, adoucit sa mĂ©fiance et la convainc de se rallier Ă la France. A son retour, Charles dâĂon de Beaumont est nommĂ© Capitaine des Dragons par Louis XV. A la fin de la guerre de sept ans perdue par la France, un nouveau jeu dissimulation lui vaudra dâĂȘtre rĂ©compensĂ© de la croix de Saint Louis quâil porte Ă sa boutonniĂšre.
Dans la gravure donc, la partie homme incarne le militaire honorĂ©, la partie femme, elle, incarne la diplomatie, le ministre plĂ©nipotentiaire et implicitement, lâespion.
Le chevalier dâĂon est ainsi lâun des premiers espions de lâhistoire de France.
Depuis, les services secrets se sont Ă©videmment dĂ©veloppĂ©s et transformĂ©s. Câest aujourdâhui lâexposition Espion Ă la citĂ© des sciences et de lâIndustrie Ă Paris prolongĂ©e jusquâĂ lâĂ©tĂ© 2021 qui met en lumiĂšre ce rĂ©seau dâhommes habituellement fondu dans la masse, travesti pour infiltrer le quotidien. Comme le chevalier dâĂon en son temps, ils se constituent une identitĂ©, un passĂ©, un prĂ©sent pour se fondre dans un environnement.Notre invitĂ©e, elle, construit des dĂ©cors Ă ses personnages pour trahir ou rĂ©veiller leur caractĂšre. Et quand en plus ses dĂ©cors deviennent ceux du Bureau des LĂ©gendes, une Ă©trange mise en abime se met en place. Notre dĂ©coratrice devient alors lâarchitecte dâun environnement factice dans lequel sâintĂšgre lâidentitĂ© factice de ses espions, le tout dans une fausse rĂ©alitĂ© cinĂ©matographique.
En plateau :Nous recevons Fanny Stauff, dĂ©coratrice de cinĂ©ma notamment pour la sĂ©rie Le bureau des lĂ©gendes, qui a collaborĂ© Ă la scĂ©nographie de lâexposition Espion actuellement Ă la CitĂ© des sciences et de lâindustrie Ă Paris (exposition prolongĂ©e jusquâĂ lâĂ©tĂ© 2021).
Ćuvre Ă©voquĂ©e en introduction :Mademoiselle de Beaumont or The Chevalier D’Eon, gravure, 1er octobre 1777, Library of Congress Prints and Photographs Division, Washington, D.C. 20540.
Mademoiselle de Beaumont or The Chevalier D’Eon, gravure, 1er octobre 1777, Library of Congress Prints and Photographs Division, Washington, D.C. 20540.
Ă lâĂ©coute : Riverside dâAgnĂšs Obel (Album Philarmonics)Black Star de David Bowie (Album Black Star)RĂ©alisation : StĂ©phane Dujardin -
Contexte :
Observez ou imaginez ce tableau. La scĂšne se passe dans une grotte. A lâavant plan, plusieurs personnages, dont nous ne distinguons que le dos ou le profil perdu. Ils sont alignĂ©s, Ă lâaffut, les yeux levĂ©s vers la lumiĂšre Ă lâentrĂ©e de la grotte. Lâimage sâorganise en deux parties. La partie infĂ©rieure du tableau, sombre, rĂ©unit un vieillard dĂ©charnĂ©, un enfant dodu et des femmes dĂ©nudĂ©s ou partiellement vĂȘtus dâune peau de bĂȘte, arborant un collier dâos ou de dents. Dans la partie supĂ©rieure du tableau trois hommes Ă la musculature saillante tirent de toutes leurs forces, dans lâantre, le cadavre dâune bĂȘte. Une diagonale ascendante relie ces deux parties figurĂ©es par un chemin. Cette grotte, refuge des vulnĂ©rables, se trouve ainsi rattachĂ© Ă la lumiĂšre du monde, celui de lâaction dont ils sont autrement exclus. Dans le bord infĂ©rieur de lâimage se place un Ă©norme mortier encore vide dans lequel attendent deux pilons prĂȘts Ă lâemploi. Câest le coin des femmes. Lâune dâentre elles est affairĂ©e Ă entretenir les braises qui serviront Ă la confection du repas. La lumiĂšre du dehors sâimmisce dans la caverne pour venir souligner les lignes sensuelles de son corps nu, creusĂ©, penchĂ© en avant, son bassin large, ses cĂŽtes apparentes, et sa poitrine ronde comme deux pommes qui se laissent deviner. Lâattention des femmes, celle du vieillard, tout dans cette composition exhorte le regard du spectateur Ă se diriger vers la partie supĂ©rieure de lâimage oĂč se dessine dans un halo de lumiĂšre, le retour des guerriers prodigues. ExĂ©cutĂ© en 1898, ce tableau rĂ©unit un grand nombre de stĂ©rĂ©otypes sur la femme de la prĂ©histoire, projetĂ©s par une sociĂ©tĂ© oĂč la femme est dĂ©jĂ corsetĂ©e. Lâauteur de ce tableau est pourtant une femme, AngĂšle Delasalle.
Mais cette condition ne la prĂ©munie pas des prĂ©jugĂ©s dĂ©jĂ ancrĂ©s. Au contraire ! Ce tableau lui vaut les honneurs et son achat par lâĂtat.Au 19e siĂšcle la prĂ©histoire est une discipline nouvelle, construite sur des clichĂ©s encore vivaces dont la production artistique sâest fait le relais. Lâart, la chasse, la fabrication dâoutil, seraient rĂ©servĂ©s aux hommes, inventifs, stratĂ©giques, pourvoyeurs de nourriture assurant la survie du groupe. Les femmes, elles, restent dans la grotte Ă sâoccuper de leur progĂ©niture quand elles ne sont pas directement objet de dĂ©sir parfois violent dans ces sociĂ©tĂ©s fantasmĂ©es comme brutale Ă la lisiĂšre de lâanimalitĂ©.
« Non! Les femmes prĂ©historiques ne passaient pas leur temps aÌ balayer la grotte ! » proteste notre invitĂ©e dâaujourdâhui.
« Et si elles aussi avaient peint Lascaux, chassĂ© les bisons, taillĂ© des outils, et Ă©tĂ© Ă lâorigine dâinnovations et dâavancĂ©es sociales ? » propose, Ă la place, notre invitĂ©e.VoilĂ une expĂ©rience de pensĂ©e qui, je ne peux le nier, me rĂ©jouit dâavance !
Les hommes de la prĂ©histoire sont-ils des femmes comme les autres ?En plateau :A lâoccasion de la publication de son ouvrage, L’homme prĂ©historique est aussi une femme, paru chez Allary Ăditions en octobre 2020, nous recevons MarylĂšne Patou-Mathis, prĂ©historienne, spĂ©cialiste de lâhomme de NĂ©andertal et directrice de recherche au CNRS.
Ćuvre Ă©voquĂ©e en introduction :AngĂšle Delasalle, Le retour de la chasse, 1898, huile sur toile, 291 x 245,6 cm, MusĂ©e Sainte Croix, Poitiers.
Musique :Caveman par Mr DayLâhomme de Cro-Magnon, Les Quatre BarbusRĂ©alisation : StĂ©phane Dujardin
© Alienor.org, MusĂ©es de la ville de Poitiers et de la SociĂ©tĂ© des Antiquaires de l’Ouest -
-Que pense-t-il de ce tableau ?
Contexte :
-Il le trouve indéfini
-Dites-lui que lâindĂ©finissable est mon fortDe ce qui nous est rapportĂ© de ce dialogue, « IndĂ©fini » serait le qualificatif choisi par le commanditaire pour exprimer de maniĂšre polie son dĂ©sarçonnement face au tableau. « IndĂ©finissable » est celui repris avec jubilation par Turner.
Ces termes, nâinaugurent pas la tentative dâune organisation intellectuelle de ce qui nous est donnĂ© Ă voir, mais assume en un mot une impossibilitĂ©. Quelque chose rĂ©siste alors Ă notre entendement, pour le malheur du commanditaire de lâĆuvre comme pour le plus grand bonheur de son crĂ©ateur.
Comment lâa-t-il trouvĂ© ? IndĂ©fini. Impossible Ă dĂ©finir. DĂ©concertant.
Ce qui nous empĂȘche de dĂ©finir lâensemble pictural, câest lâinadĂ©quation entre la chose vue et les repĂšres habituels prĂ©sents dans notre monde sensible. Cela ne correspond ni totalement Ă ce que nous connaissons, ni Ă ce que nous aimerions reconnaitre. Ce qui explique la rĂ©action circonspecte du collectionneur James Lennox Ă la vue du tableau commandĂ© Ă Turner.Le tableau dont il est question sâintitule Staffa, la grotte de Fingall. Pourtant, il ne reprĂ©sente ni tout Ă fait lâĂźle de Staffa, ni la grotte de Fingall, autrement que par une immense falaise Ă peine perceptible dans une Ă©paisse couche de brume. Les seuls Ă©lĂ©ments immĂ©diatement identifiables sont un oiseau blanc sâenvolant Ă lâavant plan et un bateau Ă vapeur pris dans la tempĂȘte. Parce que du fameux paysage Ă©cossais dĂ©crit par Walter Scott, ce que Turner en retient câest le tourment de cette nature tiraillĂ©e entre le dĂ©chainement dâune mer boueuse remuant les fonds basaltiques et un ciel furibond oĂč se loge au crĂ©puscule de lâhorizon un soleil dorĂ©, le regard de notre observateur sâĂ©tourdit, surpris par ce quâil y trouve, autant que par ce quâil en attendait, sans le trouver.
Le sujet annoncĂ© dans le titre nâest pas tout Ă fait celui menĂ© sur la toile, il en est le prĂ©texte. Le vĂ©ritable spectacle est celui oĂč tout se mĂȘle sans hiĂ©rarchie : le spectacle la nature dĂ©montĂ©e, en mĂȘme temps que celui de la matiĂšre picturale expressive, empĂątĂ©e, grattĂ©e, aussi vivante que la nature elle-mĂȘme. Il y a de quoi laisser un sentiment de stupĂ©faction qui confine Ă lâindĂ©fini selon les mots de Lennox. Ce qui est inĂ©dit chez Turner câest quâil sâen rĂ©jouit et le revendique : lâindĂ©finissable est mon fort, dit-il. LâindĂ©finissable relĂšve ainsi pour le peintre de la crĂ©ation, dâune quĂȘte esthĂ©tique.
Câest en parallĂšle de lâexposition Turner, Peintures et Aquarelles qui se dĂ©roule actuellement au musĂ©e Jaquemart-AndrĂ© jusquâau 11 janvier que nous allons aujourdâhui creuser lâindĂ©finissable chez Turner.
IndĂ©finissable car souvent contradictoire : sa vie compartimentĂ©e, oppose une part sombre, intime, jalousement protĂ©gĂ©e, au versant public institutionnel et mondain, son Ćuvre sâancre dans la tradition autant quâelle la malmĂšne, son traitement pictural pousse ses sujets aux confins de la mimesis. Turner est un peintre qui traite avec les extrĂȘmes et en bon alchimiste, les fusionne.
En plateau :Pour cette premiĂšre dâAnamorphose nous recevons Sarah Gould, Maitre de confĂ©rences Ă lâuniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne. SpĂ©cialiste de peinture anglaise, elle est lâauteur de plusieurs articles sur Turner dont « Le jaune chez Turner : Une Ă©tude matĂ©rielle » dans la revue de la SociĂ©tĂ© dâĂ©tudes anglo-amĂ©ricaines des XVIIe et XVIIIe siĂšcle en 2018 et Ă paraitre « Penser le geste et sa mythologie » dans Barbara Jouves-Hann et Hadrien Viraben (dir.), Aux limites de lâĂ©tude matĂ©rielle de la peinture : la reconstitution du geste artistique (actes dâune journĂ©e dâĂ©tude tenue Ă Paris le 28 septembre 2019, Ă lâInstitut national dâhistoire de lâart) Paris, HiCSA Ăditions.
Sarah Gould se consacre actuellement Ă une monographie sur le peintre John Everett Millais Ă paraĂźtre chez Cohen et Cohen.
Ćuvre Ă©voquĂ©e :Joseph Mallord William Turner, Staffa, La grotte de Fingal, vers 1831â32. huile sur toile, Paul Mellon Collection, Yale Center for British Art.
Réalisation :Stéphane Dujardin avec la collaboration de Myriam Quéré