Afleveringen
-
« L’art est une façon de tenir tête à ce que l’on nomme le réel », écrit Lola Lafon dont toute l’œuvre, déjà abondante, est un précis de résistance à l’air du temps, aux résignations et aux compromissions.
Dans Une fièvre impossible à négocier, son premier livre paru en 2003, on trouve cette notation : « On ne discute pas avec le cancer, on fait une chimiothérapie… Le fascisme, c’est pareil : on l’élimine ou on en crève. » Lola Lafon, qui se revendique volontiers anarchiste féministe (ou féministe anarchiste) depuis ses jeunes années passées chez les autonomes et dans les squats, raconte dans ce numéro de « L’échappée » comment elle a mûri ses convictions, revendiquant aujourd’hui un humanisme radical.
Leur fil conducteur est le combat des femmes non seulement contre les violences que leur font les hommes – elle fut victime d’un viol dont le souvenir habite son œuvre, notamment Chavirer (2020) – mais surtout contre l’imaginaire masculiniste dans lequel s’ancre leur domination, cette passion du pouvoir, cet amour de la verticalité, ce vertige de la puissance. Son propos est d’une actualité criante face à ce qu’incarne le duo Trump-Poutine.
Dans Quand tu écouteras cette chanson (2022), intense réflexion née d’une nuit passée au musée Anne-Frank d’Amsterdam, elle fait l’éloge des « irrévérentes » à son image d’indocile et de rétive. « On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Mais on pourra dire qu’on ne savait pas quoi faire de ce qu’on savait », écrit-elle dans Il n’a jamais été trop tard (2025), recueil de chroniques sur le temps présent. Mais c’est, ensuite, pour mieux secouer nos renoncements avec cette citation d’Ernst Bloch : « Ce dont il faut se souvenir, c’est avant tout ce qu’il reste à faire. »
Un entretien revigorant, au plus près de nos doutes et de nos inquiétudes. Une parole qui, dans ses précautions et ses nuances, (re)donne espoir dans le souci sans frontières des êtres, corps et âmes mêlées. Un voyage aussi où l’on croise la danse, le chant, la Roumanie, le passé communiste et l’histoire juive – et, par-dessus tout, la littérature.
Retrouvez tous les numéros de « L’échappée » sur Mediapart.
Distribué par Audiomeans. Visitez audiomeans.fr/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
-
L'indigence« L’indigence que créent les dominations est d’abord une disparition de la Beauté », écrit Patrick Chamoiseau dans le « Libelle » qu’il vient de publier aux éditions du Seuil, Que peut Littérature quand elle ne peut ? « Dans le capitalisme extrême, on a un renforcement de la bêtise et de l’obscurantisme. Nous sommes en face du surgissement de l’inconcevable », prolonge-t-il dans cet entretien pour Mediapart, quatrième numéro de notre émission « L’échappée ».
De retour d’une tournée universitaire aux États-Unis d’Amérique, où il a été témoin de l’élection de Donald Trump, l’écrivain martiniquais invite à ne pas se dérober face au défi que l’avènement de cet inconcevable lance aux principes d’humanité et d’égalité. « Pour imaginer le monde qui nous manque, la pensée a besoin de l’impossible », explique-t-il, en appelant à l’affirmation d’un « imaginaire de la Relation », dans le sillage de ses compatriotes Aimé Césaire et Édouard Glissant.
Le poète René Char, l’écrivain Milan Kundera, le philosophe Gilles Deleuze, le sociologue Edgar Morin ou encore le chanteur Bernard Lavilliers sont aussi embarqués dans cette conversation au long cours avec l’auteur de Solibo Magnifique, de Texaco et, plus récemment, de Frères migrants. Patrick Chamoiseau y interpelle notamment la persistance française de l’imaginaire colonial : « En outre-mer, on nie l’existence de peuples singuliers. Ce qu’il faut, c’est libérer ces peuples. »
Contre la désespérance qui nous saisit face à la catastrophe en cours, l’écrivain appelle à cultiver la « puissance imaginative » de la littérature, ouverture à d’autres possibles dans la confrontation à l’impensable. Ce qui suppose, affirme-t-il, d’échapper à tous ces « grands récits » qui verrouillent la réalité, dans la négation de sa complexité, de ses pluralités et de ses diversités. « Le réel est inépuisable », recélant les alternatives au monde des Trump et Poutine, insiste Patrick Chamoiseau, en quête de « l’en commun qui nous manque », ce lieu à venir où nous saurons « construire des “nous” à partir des plénitudes individuelles ».
Retrouvez tous les numéros de « L’échappée » sur Mediapart.
Distribué par Audiomeans. Visitez audiomeans.fr/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
-
Zijn er afleveringen die ontbreken?
-
« Construire ensemble un monde meilleur » : c’est par ces mots que se concluait, le 14 février 2003, le discours de Dominique de Villepin prononcé dans l’enceinte du Conseil de sécurité des Nations unies. Avec l’espoir de faire barrage à l’aventure militaire nord-américaine en Irak.
Vingt-deux ans après, alors que cette perspective semble plus éloignée que jamais à l’heure du retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique, l’ancien ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac a accepté de se confier longuement, pour cette troisième édition de « L’échappée ».
Pour Dominique de Villepin, « l’enjeu du monde d’aujourd’hui, c’est : est-ce que l’homme universel existe ? Est-ce que l’autre existe ? C’est une certaine conception de l’homme, de l’autre, de l’altérité, de l’humanité commune, qui aujourd’hui est en cause. Comme il s’agissait hier de se battre contre une puissance américaine débridée, aveugle aux réalités du Proche et du Moyen-Orient, aujourd’hui il faut faire face à une Amérique qui ne comprend pas le monde, ne connaît pas le monde, mais pire que ça, se moque du monde ».
Des défis de la situation internationale aux enjeux de la crise française, celui qui, de 1995 à 2007, fut successivement secrétaire général de l’Élysée, ministre des affaires étrangères, ministre de l’intérieur puis premier ministre, assume explicitement dans cet entretien sa volonté de revenir dans le jeu politique national et en détaille les raisons.
« Nous sommes confrontés à un choc historique. Ce combat, je ne peux pas ne pas y participer. Je ne peux pas ne pas être aux avant-postes », dit-il en réponse à une question sur son ambition présidentielle, avant de s’expliquer sur les parts d’ombre que lui prêtent ses détracteurs.
« Aujourd’hui la démocratie se fait sans les citoyens et se fait même contre les citoyens. Le drame d’Emmanuel Macron, c’est qu’il a cru pouvoir gouverner contre les Français », explique Dominique de Villepin à propos de ce qu’il nomme « le malheur français ». « Nous sommes au pied du mur », insiste-t-il pour justifier son retour dans l’arène politique, en prolongement de son expression sur les questions internationales, et notamment de son plaidoyer pour une « intransigeance sur l’essentiel » : « Nous ne pouvons pas transiger sur le droit international. Il y va de notre identité culturelle, diplomatique, humaine. »
Distribué par Audiomeans. Visitez audiomeans.fr/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
-
« Chaque jour d’indulgence pour la guerre est un jour de trop pour la survie de tous », a écrit Dominique Eddé le 26 septembre 2024, dans une tribune intitulée « Benyamin Nétanyahou a pris le temps en otage ». Depuis Beyrouth, où elle vit, la romancière et essayiste libanaise n’a cessé, notamment par des tribunes dans Le Monde, de jeter des bouteilles d’alarme dans une mer d’indifférence face au sort tragique de Gaza, tandis que la guerre génocidaire d’Israël contre la Palestine allait s’étendre à des crimes de guerre contre des civils au Liban.
« Pourquoi il fait si sombre ? » C’est donc à l’enseigne de ce titre de l’un de ses romans, paru au Seuil en 1999, que rendez-vous fut pris pour ce deuxième numéro de « L’échappée » avec cette voix singulière, aussi libre qu’indocile, attachée à la quête d’un universel qui ne soit pas l’annihilation des différences, des nuances et des pluralités. Il s’agissait d’évoquer aussi bien la Palestine que le Liban, le monde arabe que le monde tout court. Entre désespoir et, malgré tout, espoir…
Car, une semaine avant la date du 15 décembre fixée pour l’enregistrement dans les murs de l’Institut du monde arabe à Paris, quand un fragile cessez-le-feu au Liban rouvrit l’espace aérien et permit des vols vers la France, l’heureuse surprise syrienne est intervenue, cette chute d’un des pires régimes de la région, la dictature des Assad, dont le Liban fut aussi la proie. À la fin de l’entretien, Dominique Eddé raconte la joie, à l’annonce de cette nouvelle, des réfugiées syriennes qu’elle soutient dans un atelier de tissage beyrouthin. Mais elle-même reste prudente, hantée depuis tant d’années par « la cohabitation de la beauté et de l’horreur ».
« La joie de comprendre vous maintient en vie. Elle est plus puissante que celle d’avoir raison » : tout au long de cet entretien, Dominique Eddé illustre cette conviction qui l’anime depuis toujours, aussi bien dans ses engagements constants pour l’émancipation des populations du monde arabe que dans son œuvre littéraire où alternent romans et essais. Il s’agit, dit-elle encore, de toujours chercher à « établir des ponts par-dessus les pouvoirs ».
« L’Europe s’est très mal comportée », confie-t-elle aussi, soulignant sobrement combien « la Palestine a été abandonnée de tous ». À la fin de son roman Kamal Jann (Albin Michel, 2012), dont la dictature syrienne est le théâtre dans une métaphore des monstruosités que peut engendrer notre espèce, Dominique Eddé rappelle que notre mot « mascarade » vient de l’arabe. Et c’est alors qu’elle fait dire à l’un de ses personnages : « L’Occident, n’est-ce pas la mascarade moins la conscience que c’en est une ? »
Distribué par Audiomeans. Visitez audiomeans.fr/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
-
Deux citations introduisent Universaliser (Albin Michel), le nouvel essai de Souleymane Bachir Diagne. L’une de Léopold Sédar Senghor : « Mesurer l’orgueil d’être différent au bonheur d’être ensemble » ; l’autre de Jean Jaurès : « Vers ce grand but d’humanité, c’est par des moyens d’humanité aussi que va le socialisme. »
Tourné au Musée national de l’histoire de l’immigration à Paris, ce premier numéro de « L’échappée », la nouvelle émission de Mediapart présentée par Edwy Plenel, revisite le parcours de ce philosophe singulier, né le 1er novembre 1955 à Saint-Louis (Sénégal), devenu aujourd’hui l’une des voix africaines contemporaines les plus respectées. Son dernier livre synthétise la réflexion qui l’a conduit à élaborer le concept d’un universel « latéral ou horizontal » qui soit « à même d’embrasser le pluriel du monde », ce pluriel du monde nié par le colonialisme, qui « vise à ramener l’ensemble du monde au même ».
L’originalité de cette pensée est qu’elle invite au décentrement en s’appuyant sur les philosophies africaines et islamiques. Souleymane Bachir Diagne revendique en effet un islam rationaliste ancré dans la tradition soufie. Il a raconté son itinéraire de vie dans Le Fagot de ma mémoire (Philippe Rey) et, plus récemment, dans Ubuntu (éditions EHESS).
Distribué par Audiomeans. Visitez audiomeans.fr/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.