Afleveringen

  • En France, en 2022, l’ancien patron de Peugeot CitroĂ«n, Philippe Varin, a rendu un rapport sur les mĂ©taux critiques : il montre que le pays dĂ©pend Ă  prĂšs de 100% de l’extĂ©rieur pour ses approvisionnements en mĂ©taux nĂ©cessaires Ă  la transition Ă©nergĂ©tique. Comme bien des pays dĂ©veloppĂ©s, la France a progressivement fermĂ© ses mines et abandonnĂ© la filiĂšre miniĂšre pour des raisons Ă  la fois Ă©conomiques - coĂ»ts plus Ă©levĂ©s que la concurrence - et environnementales. Certes, les ressources du sous-sol français sont limitĂ©es mais c’est aussi la filiĂšre du raffinage qui fut abandonnĂ©e. Lorsqu’un industriel a besoin de mĂ©taux, il utilise des minerais qui ont dĂ©jĂ  subi une premiĂšre transformation. Entre le produit extrait de la mine et le produit fini, se situe l’étape du raffinage qui a pour but d’extraire le prĂ©cieux mĂ©tal de la quantitĂ© de terre et d’autres roches avec lequel il est amalgamĂ©. Le processus de sĂ©paration nĂ©cessite beaucoup d’énergie, d’eau et est potentiellement source de grandes pollutions. Ainsi, alors que, dans les annĂ©es 1980, le groupe français RhĂŽne-Poulenc purifiait dans son usine de La Rochelle prĂšs de 10 000 tonnes de terres rares soit la moitiĂ© du marchĂ© mondial, cette activitĂ© a Ă©tĂ© pourtant progressivement abandonnĂ©e pour des raisons environnementales (des rejets radioactifs) et de coĂ»ts. Il Ă©tait bien plus commode d’importer de Chine.

    Aujourd’hui, aprĂšs le rapport Varin, le gouvernement cherche Ă  reprendre la main. Le code minier a Ă©tĂ© simplifiĂ©, une nouvelle cartographie du sous-sol est en cours par le BRGM, le service gĂ©ologique national, et plusieurs projets industriels sont en dĂ©veloppement. Du cĂŽtĂ© de l’extraction, le groupe Imerys souhaite ouvrir une mine de lithium dans l’Allier tandis que le français Eramet et ElectricitĂ© de France veulent exploiter du lithium issu d’eau gĂ©othermale en Alsace. C’est bien une filiĂšre qu’il faut mettre en place, ainsi dans le cas de l’Allier, le projet se dĂ©cline en trois Ă©tapes, l’extraction Ă  EchassiĂšres , un site de stockage Ă  une quinzaine de kilomĂštres et une usine de conversion pour le raffinage Ă  Montluçon Ă  une cinquantaine de kilomĂštres. Et l’on reparle d’ouvrir Ă  La Rochelle, avec le groupe belge Solvay, une usine de recyclage pour rĂ©cupĂ©rer des terres rares. Mais, pour aboutir, ces projets doivent surmonter deux Ă©cueils : celui du financement d’abord, car ils sont toujours trĂšs coĂ»teux (1 milliard d’euros pour le projet de l’Allier) ; celui ensuite du dĂ©bat public qui rĂ©vĂšle la vigueur d’oppositions diverses liĂ©es Ă  la fois aux possibles consĂ©quences environnementales et Ă  l’utilitĂ© rĂ©elle du projet. L’Etat lui a choisi, il considĂšre le projet dans l’Allier d’ « intĂ©rĂȘt national majeur », insistant ainsi sur l’aspect gĂ©opolitique de la question.

    S’intĂ©resser aux matiĂšres premiĂšres, c’est donc prendre en compte une question majeure de notre siĂšcle. Le pĂ©trole a Ă©tĂ© l’or noir du XXe siĂšcle. Le XXIe siĂšcle sera donc mĂ©tallique : dopĂ©e par la transition verte et la numĂ©risation de l’économie mondiale, la demande en minerais s’envole. Or la production aujourd’hui ralentit, les dĂ©couvertes de nouveaux gisements se rarĂ©fient. Les États se livrent donc Ă  une compĂ©tition fĂ©roce pour sĂ©curiser leurs approvisionnements.
    Les ressources prĂ©sentes sur terre sont-elles suffisantes pour faire face Ă  l’explosion des besoins ? Peut-on les exploiter sans dĂ©truire la planĂšte ? Cette manne financiĂšre profite -t-elle rĂ©ellement aux Etats producteurs ou sont-ils condamnĂ©s Ă  la « malĂ©diction des matiĂšres premiĂšres », un concept mis en valeur dĂ©jĂ  il y a plusieurs dĂ©cennies ? Les Occidentaux pourront-ils rattraper leur retard sur la Chine dans la sĂ©curisation de leur filiĂšre miniĂšre ?

  • Les diagnostics posĂ©s sur l’état du Liban sont souvent dramatiques. En dĂ©cembre 2020, le ministre des affaires Ă©trangĂšres français, Jean-Yves Le Drian, exprimait par cette boutade son sentiment « Pour moi, disait-il, c’est le Titanic sans orchestre ».

    Dans l’ouvrage paru en 2022, l’historien et politologue Pierre – Jean Luizard n’hĂ©site pas Ă  parler Ă  propos du Liban d’un pays en voie de disparition. Aux cĂŽtĂ©s de Syrie, Irak, YĂ©men, Libye, il le range dans la catĂ©gorie des États faillis, que l’on peut dĂ©finir comme des États qui ne remplissent pas leurs missions auprĂšs de leur population tant dans les domaines rĂ©galiens (justice, sĂ©curitĂ©, monnaie, contrĂŽle du territoire) que dans la fourniture de services Ă©conomiques et sociaux Ă  leur population. En un demi-siĂšcle, le pays a connu guerre civile, offensives et occupation israĂ©lienne et syrienne, attentats et assassinats politiques en sĂ©rie, vacance du pouvoir politique et multiples formes d’ingĂ©rence Ă©trangĂšres.

    Or ce pays dans les annĂ©es 1950 ou 1960 apparaissait comme un Ăźlot de prospĂ©ritĂ© et de coexistence rĂ©ussie, on le qualifiait de Perle du Moyen-Orient, de Suisse orientale, Beyrouth Ă©tait parfois surnommĂ©e le Paris du Moyen-Orient
 Quoi qu'on pense de ces qualificatifs d’ailleurs, le constat est lĂ . Le Liban va mal, et la guerre qui l’accable fait plonger un peu plus le pays dans la nuit. Pourquoi ?

    Si l’État ne fonctionne pas, serait-ce parce qu’il n’existe pas ? qu’il n’y a pas vraiment eu d'État nation libanais ? Ce pays n’est-il pas une crĂ©ation artificielle, coloniale qui n’a pas rĂ©ussi Ă  souder la communautĂ© de ses habitants ? Cette explication facile fait fi des fragilitĂ©s internes, comme des enjeux rĂ©gionaux et des interventions Ă©trangĂšres dans ce pays souvent perçu comme un État tampon, hier entre l’Europe et le monde ottoman, aujourd’hui entre IsraĂ«l et l’Iran. La rĂ©alitĂ© est plurielle et complexe.

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  • Le 18 septembre dernier, un triste fait divers a accru les tensions entre le Japon et la Chine. Un enfant japonais de 10 ans a
    été tué, poignardé sur le chemin de son école à Shenzhen, la grande métropole technologique et industrielle du Sud Est de la
    Chine. Celle-ci parle d’un incident isolĂ©, mais cette attaque a eu lieu le jour anniversaire du dĂ©but de l’invasion de la
    Mandchourie par le Japon en 1931 et survient 3 mois aprùs l’attaque en juin d’un autre enfant japonais et de sa mùre à un
    arrĂȘt de bus.

    Elle s’insĂšre dans un climat de dĂ©gradation des relations entre les deux pays. Le sentiment antijaponais en Chine
    a toujours Ă©tĂ© vivace, nourri de l’hĂ©ritage de la Seconde guerre mondiale. Depuis un an on observe un regain des tensions et,
    le 26 aoĂ»t dernier, pour la premiĂšre fois un avion de reconnaissance de l’ArmĂ©e chinoise est entrĂ© dans l’espace aĂ©rien
    japonais. Il est vrai que le rapport de force entre les deux Etats a considĂ©rablement changĂ© en Âœ siĂšcle : Ă  la fin des annĂ©es
    1960 le Japon Ă©tait la troisiĂšme puissance Ă©conomique mondiale – derriĂšre Etats-Unis et URSS, grĂące Ă  une croissance
    Ă©conomique spectaculaire, deux fois plus rapide que celle des autres pays occidentaux. À l’époque la Chine Ă©tait un pays
    fermé, vivant au rythme des révolutions maoïstes, isolé dans la communauté internationale et dont les habitants vivaient
    pauvrement. En 2010 le PIB de la Chine a dépassé celui du Japon alors N°2.

    Depuis, la Chine ambitionne d’ĂȘtre numĂ©ro 1 dans tous les domaines, dĂ©veloppant des ambitions maritimes, elle inquiĂšte le Japon, surtout depuis l’arrivĂ©e de Xi Jingping au pouvoir en 2013 menant une politique plus autoritaire et plus agressive. Que peut faire le Japon ?

    Dans sa Nouvelle histoire du Japon, l’historien Pierre François Souryi Ă©crit en 2023 : « MĂ©prisĂ© par son principal alliĂ© les Etats-
    Unis, Ă  peu prĂšs ignorĂ© par les EuropĂ©ens, incapable de s’entendre avec son voisin russe sur une frontiĂšre communĂ©ment
    admise, suscitant toujours autant d’antipathie chez son voisin sud-corĂ©en et menacĂ© de ses fusĂ©es par Pyongyang, tenu Ă 
    distance par une Chine prompte Ă  raviver les cicatrices de la guerre, le Japon est pour ainsi dire inaudible sur les grands
    problÚmes du monde contemporain ».

    Le bilan est-il vraiment aussi accablant ? pour un pays qui possĂšde pourtant maints critĂšres de puissance ? Revenons Ă 
    l’actualitĂ©.

  • Nous autres, EuropĂ©ens, vivons une pĂ©riode dĂ©stabilisante. Nous sommes sans doute le continent le plus prĂ©servĂ© des soubresauts politiques, Ă©conomiques et sociaux par la stabilitĂ© de nos institutions, par la protection offerte par l’Union EuropĂ©enne, par le niveau de vie et la couverture sociale que nous avons construits depuis les dĂ©cennies de l’aprĂšs-guerre. Nous avons fortement contribuĂ© Ă  proposer au monde un mode de rĂšglement des conflits ou de gestion des biens publics mondiaux basĂ© sur le dialogue, le multilatĂ©ralisme, l’édification de rĂšgles communes.

    Or depuis quelques annĂ©es, ce monde semble en train de s’effondrer. Il est vrai que la guerre s’étend et semble toujours plus proche de nous. A moins de 5 h d’avion de Paris, des combats dĂ©chirent l’Est europĂ©en, le Caucase, le Proche-Orient, ou le Nord Sahel. Ce sentiment d’un monde qui s’effondre s’explique aussi par la panne du multilatĂ©ralisme : le dialogue, la recherche de compromis nous ont permis de vivre en paix au sein de l’Union EuropĂ©enne or cette capacitĂ© Ă  dialoguer entre grandes puissances semble au point mort. Enfin, c’est tout simplement notre place dans le monde qui est aujourd’hui remise en cause lorsque nos tentatives pour proposer des solutions via des normes, des valeurs ou des actions est rejetĂ©e.
    Le monde en 2024 se résume -t-il alors à une géopolitique du désordre ?

    Tout converge pour donner cette impression : l’extension de la guerre (guerres chaudes et meurtriĂšres, guerres froides porteuse de tensions plus grandes encore), la contestation des dĂ©mocraties, le regain des protectionnismes, la multiplication des accidents climatiques 
 Il est donc urgent de chercher l’intelligibilitĂ© du monde. Nous savons que nous vivons des crises multiples et que celles-ci sont la traduction du passage d’un monde ancien Ă  un nouveau monde qui est en train de naĂźtre. Mais au-delĂ  du recours Ă  cette analyse (inspirĂ©e par Gramsci), ne peut-on dĂ©crypter les dĂ©sordres ambiants comme une phase mettant en place de nouveaux acteurs et aussi de nouvelles rĂšgles... dessinant un nouveau monde que nous aurions intĂ©rĂȘt Ă  prendre en compte, Ă  intĂ©grer le plus rapidement possible pour y trouver notre place.

    Peter Drucker, l’un des pĂšres du management, disait : « le plus grand danger dans les moments de turbulence, n’est pas la turbulence ; c’est d’agir avec la logique d’hier. » Aussi, mettons-nous au temps prĂ©sent.

  • En avril dernier, les Ă©lections prĂ©sidentielles organisĂ©es en Slovaquie aboutissaient Ă  la victoire de Peter Pellegrini, candidat
    alliĂ© au premier ministre nationaliste et populiste Robert Fico. Cette victoire s’est largement jouĂ©e sur le thĂšme de la guerre
    en Ukraine, le nouveau prĂ©sident affirmant qu’il Ă©tait le candidat de la paix tandis que son adversaire pro-europĂ©en allait
    précipiter son pays dans la guerre par son soutien aux Ukrainiens. La Slovaquie se retrouve ainsi dirigée par un duopole
    populiste et nationaliste aprĂšs la victoire de Robert Fico aux lĂ©gislatives d’octobre 2023. Son gouvernement qui vient par ex
    en mars d’annoncer la suppression de l’instance judiciaire chargĂ©e de lutter contre la corruption, s’annonce illibĂ©ral. La
    Slovaquie rejoint ainsi la Hongrie de Orban à la fois dans la complaisance vis-à-vis du régime de Vladimir Poutine et le refus
    d’aider l’Ukraine, et dans la critique de l’action de l’UE et la remise en cause de l’Etat de droit.
    Qu’en penser ? 20 ans aprĂšs son entrĂ©e dans l’Union, l’Europe de l’Est semble gĂ©nĂ©rer des Etats qui freinent la
    construction européenne et qui rejettent un certain nombre de ses valeurs. Pourquoi ?

    Mais de qui parle-t-on ? L’Europe centrale et orientale a-t-elle encore une identitĂ© spĂ©cifique ? L’attaque russe sur l’Ukraine
    en février 2022 et la guerre qui dure depuis plus de deux ans apparaßt comme un révélateur des divisions au sein de cette
    Europe de l’est. L’euroscepticisme militant des dĂ©mocraties illibĂ©rales (Pologne avant 2023, Hongrie, Slovaquie aujourd’hui)
    contraste avec l’ europhilie des Etats baltes ou aujourd’hui de la Pologne. Dans ce pays, vous vous en souvenez peut-ĂȘtre les
    Ă©lections au printemps 2023 ont conduit Ă  la victoire de Donald Tusk Ă  la tĂȘte d’une coalition centriste et pro-europe qui
    s’attache depuis Ă  rĂ©tablir l’Etat de droit dans le pays.

    Comment comprendre ces Ă©volutions et ces disparitĂ©s ? Les spĂ©cificitĂ©s de l’Europe centrale se sont-elles diluĂ©es en entrant
    dans l’Union ou bien cette intĂ©gration a-t-elle conduit Ă  une rĂ©affirmation de leur identitĂ© propre ? Certes aucun Etat entrĂ© il
    y a 20 ans ne souhaite quitter l’Union, car tous savent ce qu’elle leur apporte. Mais la question est posĂ©e : Peut-on passer
    d’une identitĂ© socialiste Ă  une identitĂ© europĂ©enne facilement, en faisant l’économie d’une affirmation nationale ?
    Pour le dire brutalement, leur volontĂ© affirmĂ©e clairement il y a 20 ans n’était -elle qu’un trompe l’Ɠil masquant l’appĂąt du
    gain ? en l’occurrence les aides europĂ©ennes ?

  • Le 26 janvier 2024, Emmanuel Macron Ă©tait l’invitĂ© d’honneur de Narendra Modi pour la fĂȘte nationale indienne, qui commĂ©more l’entrĂ©e en vigueur de la Constitution en 1950. Macron Ă©tait un second choix pour Modi, qui avait dans un premier temps conviĂ© Joe Biden, mais le prĂ©sident amĂ©ricain s’était finalement dĂ©sistĂ© tardivement en dĂ©cembre. Que rĂ©vĂšle l’évĂ©nement ? d’une part que Modi courtise les Occidentaux, tout en les critiquant et en refusant de condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie ; d’autre part que le prĂ©sident français, en connaissance de cause et en dĂ©pit de l’évolution autoritaire du rĂ©gime indien, a souhaitĂ© entretenir cette relation privilĂ©giĂ©e avec un partenaire stratĂ©gique, qui non seulement a le mĂ©rite d’ĂȘtre un client de l’industrie de dĂ©fense française, mais apparaĂźt comme une puissance d’équilibre dans un monde en pleine recomposition. C’est d’ailleurs pour ces mĂȘmes raisons que Modi avait Ă©tĂ© l’invitĂ© d’honneur des cĂ©rĂ©monies du 14 juillet dernier Ă  Paris. Alors l’Inde, une puissance indispensable ?

  • Il fut un temps pas si lointain, la fin du XXe siĂšcle, oĂč l’on envisageait sereinement l’avĂšnement de sociĂ©tĂ©s post-industrielles, oĂč la diminution spectaculaire des emplois industriels dans nos sociĂ©tĂ©s occidentales nous semblait inĂ©vitable et peu dommageable. C’était un signe de modernitĂ© alors que nous vivions de plus en plus dans une sociĂ©tĂ© de services. Certes, il s’agissait d’une dĂ©sindustrialisation relative, car la valeur de l’industrie mondiale a doublĂ© entre 1980 et 2005. Mais les emplois partaient ailleurs : entre 2000 et 2004 par exemple, La Chine gagnait 7 millions d’emplois industriels, l’OCDE, les Ă©conomies dĂ©veloppĂ©s occidentales en perdaient le mĂȘme nombre. Il y avait clairement des gagnants et des perdants en termes d’emplois, mais la baisse des prix des produits industriels laissait Ă  penser que tout le monde s’y retrouvait. Cette thĂ©matique d’un monde post-industriel laissait croire Ă  la fin de l’industrie. Quelle erreur dommageable ! Ce temps n’est plus.
    On dĂ©finit classiquement l’industrie comme l’ensemble des activitĂ©s Ă©conomiques qui ont pour objet la production d’énergie et de produits manufacturĂ©s, qu’il s’agisse de produits semi-finis ou de biens de consommation. De plus en plus la sĂ©paration entre activitĂ©s industrielles et de services n’est pas facile Ă  opĂ©rer et devient artificielle. C’est ce qui explique le jugement de Pierre Veltz en 2017 dans « la sociĂ©tĂ© hyper-industrielle » « En rĂ©alitĂ© nous ne vivons pas la fin de l’industrie mais l’accouchement d’une nouvelle forme de sociĂ©tĂ© industrielle trĂšs diffĂ©rente de la forme dominante du siĂšcle passĂ©... Je l’appelle Hyper industrielle pour marquer Ă  la fois sa nouveautĂ© et la continuitĂ© avec l’histoire longue de l’industrialisation
 L’industrie manufacturiĂšre, les services, les entreprises du numĂ©rique font dĂ©sormais partie d’un mĂȘme ensemble, et sont de plus en plus Ă©troitement imbriquĂ©s. »

    Le slogan en vigueur aujourd’hui est celui de la rĂ©industrialisation, en France, comme aux Etats-Unis, ou de l’industrialisation dans les pays du Sud. L’industrie en dĂ©pit de ce que l’on avait pu penser est bien le nerf de la guerre de l’économie, de l’emploi mais aussi et c’est un constat plus nouveau de la puissance. C’est une question qui concerne au premier chef l’Europe qui est prise en Ă©tau entre l’essor des puissances Ă©mergentes et la volontĂ© de rĂ©industrialisation US marquĂ©e par l’ inflation rĂ©duction act de l’administration Biden en 2022. .
    Cependant pour l’automobile comme pour d’autres exemples, il est clair que la compĂ©tition entre puissances est rĂ©elle. La Chine est considĂ©rĂ©e comme la premiĂšre puissance industrielle mondiale depuis 2010. La domination chinoise sur l’industrie mondiale est-elle pour autant dĂ©jĂ  actĂ©e et dĂ©finitive ?

  • Fin dĂ©cembre, Jacob Zuma, prĂ©sident de l’Afrique du Sud entre 2009 et 2018, qui dut quitter le pouvoir aprĂšs des accusations de corruption, a annoncĂ© qu’il ne soutiendrait pas l’ANC aux Ă©lections de 2024, affichant clairement son opposition au prĂ©sident Cyril Ramaphosa . Zuma, 81 ans, annonça dans la foulĂ©e la crĂ©ation d’un nouveau parti politique, il accuse le prĂ©sident d’ĂȘtre un traĂźtre Ă  la cause de l’ANC et d’ĂȘtre vendu « aux intĂ©rĂȘts capitalistes blancs ». Cette initiative inquiĂšte, car Jacob Zuma conserve ses supporters notamment dans sa province du KwaZulu-Natal, cherche Ă  rĂ©cupĂ©rer les déçus du gouvernement, manie facilement l’insulte (il a qualifiĂ© le gouvernement actuel de gouvernement « de collaborateurs de l’apartheid » ). Personne n’a oubliĂ© que les pires troubles de l’Afrique du Sud depuis 30 ans ont eu lieu en 2021, aprĂšs l’emprisonnement pour outrage au tribunal de Zuma : les violences firent 350 morts et plus d’un milliard d’euros de dĂ©gĂąts. Tout cela laisse augurer une annĂ©e difficile et tendue jusqu’aux Ă©lections qui doivent se tenir entre mai et aoĂ»t. Et il est vrai que la situation sociale difficile - le chĂŽmage touche 32 % de la population active - donne des arguments aux opposants. «Nous allons poursuivre notre lutte contre la criminalitĂ© et la corruption pour renouveler notre pays qui reste le plus inĂ©galitaire au monde » a promis Cyril Ramaphosa dans un meeting en janvier. Les Ă©lecteurs lui en laisseront-ils la possibilitĂ© ?

    Étudier l’Afrique du Sud aujourd’hui, c’est se demander ce que sont devenues les promesses de la Nation arc en ciel ? Et d’abord , parler d’une Nation Sud-africaine a-t-il un sens aujourd’hui ? En 1999, le successeur de Mandela, Thabo Mbeki affirmait dans son discours d’investiture : « le XXIe siĂšcle sera africain » . Il portait au nom de son peuple le rĂȘve d’une Renaissance africaine. Dans cette idĂ©e d’une renaissance africaine, il y avait l’espoir d’un renouveau du continent en termes de dĂ©mocratisation ainsi que de dĂ©veloppement Ă©conomique et culturel. En mĂȘme temps, ce concept permettait Ă  l’Afrique du Sud et son nouveau dirigeant de se projeter sur la scĂšne internationale, d’affirmer son africanitĂ© et de rĂ©pondre Ă  ceux qui estimaient que le gouvernement avait fait trop de concessions Ă  la minoritĂ© blanche. Cette promesse de Renaissance africaine Ă©tait l’espoir d’une dynamique propre Ă  l’Afrique, impulsĂ©e par elle Ă  l’heure de la fin de la guerre froide, dans un contexte favorable car les cours des matiĂšres premiĂšres Ă©taient orientĂ©s Ă  la hausse du fait de la forte demande chinoise. Thabo Mbeki, se devait aprĂšs Mandela d’imprimer sa marque, il choisissait de refuser l’afro-pessimisme, affirmait la volontĂ© de l’Afrique de tenir toute sa place dans la mondialisation. L’Afrique du Sud, mise au ban des nations africaines pendant l’apartheid et qui n’avait rejoint l’Organisation de l’UnitĂ© Africaine qu’en 1994, pouvait, du fait de son rang – elle Ă©tait alors premiĂšre puissance Ă©conomique du continent-, prĂ©tendre Ă  un leadership.

  • Fin dĂ©cembre 2023, le parquet de Paris annonçait qu’un avion d’une compagnie aĂ©rienne roumaine Legends Airlines et devant relier les Emirats arabes unis au Nicaragua Ă©tait bloquĂ© sur un aĂ©roport français Ă  Vatry dans la Marne. A son bord, 303 passagers indiens. Pourquoi avoir stoppĂ© lĂ  cet avion qui ne faisait qu’une escale technique pour son carburant ? La police française avait anonymement Ă©tĂ© informĂ©e que ces passagers Ă©taient susceptibles d’ĂȘtre victimes de traite des ĂȘtres humains. Deux hommes Ă  bord de l’avion ont Ă©tĂ© d’abord arrĂȘtĂ©s, ils avaient en leur possession une forte somme d’argent et les passeports de tous les passagers. L’enquĂȘte montra qu’il s’agissait d’un projet groupĂ© d’immigration illĂ©gale aux Etats-Unis formĂ© par des Indiens qui, pour partie, travaillaient aux Emirats et qui passaient par l’AmĂ©rique centrale oĂč ils avaient des facilitĂ©s de visas. AprĂšs 3 jours d’enquĂȘte, le 25 dĂ©cembre, la quasi-totalitĂ© des passagers sont repartis en Inde, 25 ont demandĂ© l’asile politique en France.

    Cette histoire de NoĂ«l illustre parfaitement l’ampleur et la complexitĂ© du fait migratoire aujourd’hui, mais elle est d’abord celle d’individus ballotĂ©s d’un pays Ă  l’autre, de passeurs Ă  d’autres et qui cherchent prioritairement Ă  amĂ©liorer leurs conditions d’existence.

  • L’AmĂ©rique latine a disparu largement de nos horizons dans une actualitĂ© chargĂ©e. En Ă©lisant le 19 novembre dernier un Ă©tonnant trublion Javier Milei, celui que l’on surnomme le Trump de la Pampa, celui qui se surnomme lui-mĂȘme « El Loco » le fou, l’Argentine a surpris, choquĂ© voire dĂ©couragĂ© plus d’un observateur averti pour qui le pays semble tomber de Charybde en Sylla, aller de mal en pis.
    Et pourtant, en 1910 lorsque l’Argentine cĂ©lĂ©brait le centenaire de son indĂ©pendance, elle recevait des dĂ©lĂ©gations du monde entier venu admirer la modernisation accĂ©lĂ©rĂ©e de ce pays qui accueillait des immigrants europĂ©ens venant chercher fortune. Elle exportait grains et viande pour sa prospĂ©ritĂ©, construisait des villes, des chemins de fer. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, l’Argentine Ă©tait considĂ©rĂ©e comme un pays riche, elle Ă©tait la 10e puissance Ă©conomique mondiale. En 1986, lorsque le gĂ©ographe Yves Lacoste fixait sur un planisphĂšre la limite Nord/Sud, isolant les pays dĂ©veloppĂ©s et les pays sous-dĂ©veloppĂ©s, il prenait soin de dĂ©tacher l’Argentine du reste de l’AmĂ©rique Latine et de le classer dans les pays dĂ©veloppĂ©s.

    Depuis, les derniĂšres dĂ©cennies auront Ă©tĂ© le temps des dĂ©sillusions, du dĂ©clin. L’Argentine a rejoint l’AmĂ©rique latine en quelque sorte dans une histoire ponctuĂ©e de crises financiĂšres, politiques, de mal dĂ©veloppement. Si la dĂ©mocratie a tenu depuis 40 ans, l’élection de Milei qui entend dynamiter le systĂšme traduit une immense colĂšre de la population. Pourquoi ? Comment en est-on arrivĂ© lĂ  ?

    Visiblement, la dĂ©cision des BRICS menĂ©e par la Chine, en aoĂ»t dernier de faire entrer l’Argentine dans le groupe des BRICS + Ă  partir de janvier 2024 n’a pas pesĂ© pour les Argentins. En appartenant Ă  ce groupe restreint de 11 puissances du Sud global, le pays trouvait pourtant lĂ  une reconnaissance, mĂȘme si, il faut l’avouer ce choix surprit tant le pays Ă©tait largement sorti des radars des journalistes. L’Argentine compte-t-elle sur la scĂšne internationale ?

    Au soir de son Ă©lection, Javier Milei annonçait « Aujourd’hui, nous adoptons le modĂšle de la libertĂ© pour redevenir une puissance mondiale ». Et pourtant, l’un des points clĂ©s de son programme est l’abandon de la monnaie nationale au profit du dollar : est-ce cohĂ©rent ? mais vouloir bĂątir une puissance en confiant totalement sa politique monĂ©taire Ă  un autre Etat n’est pas la seule surprise du programme du nouveau prĂ©sident argentin.

  • Le 13 janvier prochain se dĂ©roulent Ă  Taiwan les Ă©lections prĂ©sidentielles. Le vice-prĂ©sident, membre du parti progressiste indĂ©pendantiste, l’emportera-t-il au risque de froisser la Chine ? Taiwan est une question cruciale, l’Alsace Lorraine du XXIe siĂšcle disait la politologue ThĂ©rĂšse Delpech, une province chinoise aux yeux de PĂ©kin qui doit revenir dans le giron de la Chine populaire. Mais quand ? À quel point Xi Jinping est-il prĂȘt Ă  aller Ă  l’affrontement ? Maintenant que la Chine a atteint la puissance, maintenant que Xi est le maĂźtre incontestĂ© du pays ayant Ă©tabli d’une main de fer la dictature omniprĂ©sente du parti communiste, (nous l’avions Ă©voquĂ© dans un ancien podcast), interrogeons-nous sur ses projets et ses ambitions.

    La puissance, pourquoi faire ? Peut-on encore croire le discours chinois officiel prĂ©sentant la Chine comme une puissance pacifiste, n’ayant jamais recherchĂ© ni accompli par le passĂ© de conquĂȘtes militaires ? Pourquoi un tel effort pour moderniser l’ArmĂ©e Populaire de LibĂ©ration si ce n’est pour s’en servir un jour prochain ? Alors la Chine est-elle une puissance impĂ©rialiste ?

  • Les ocĂ©ans recouvrent 72 % de notre planĂšte, justement surnommĂ©e la planĂšte bleue. Cette partie du monde a longtemps
    Ă©chappĂ© aux emprises des États ; c’est sur terre que les États exerçaient leur souverainetĂ©, fixaient des frontiĂšres,
    Ă©tablissaient leur population. D’une certaine maniĂšre, on pourrait dire que les mers Ă©taient spontanĂ©ment anarchiques : les
    activitĂ©s humaines s’y dĂ©ployaient loin du contrĂŽle des gouvernants, laissant beaucoup d’initiatives aux hommes.

    Aujourd’hui, les ocĂ©ans reprĂ©sentent de multiples enjeux : ils sont dĂ©terminants pour la circulation des marchandises, des
    hommes – migrants- comme des informations – cĂąbles sous marins - ; ils recĂšlent des ressources indispensables, exploitĂ©es –
    pĂȘches, hydrocarbures offshore – ou prometteuses - mĂ©taux rares - ; ils jouent un rĂŽle dĂ©terminant dans les Ă©quilibres
    climatiques planĂ©taires, enfin ils sont le lieu de confrontation stratĂ©gique et oĂč s’expriment vivement des rivalitĂ©s entre
    puissances.

    Avec de tels enjeux, on assiste Ă  une banalisation gĂ©opolitique des mers et ocĂ©ans. Qu’est-ce que cela veut dire ? Au fond,
    qu’ils deviennent des territoires comme les autres, que les États s’efforcent de borner, d’exploiter, de surveiller et qui
    rĂ©vĂšlent l’aristocratie des puissances. Mais, et c’est cela qui est intĂ©ressant aussi Ă  Ă©tudier, nous sommes aujourd’hui dans
    une pĂ©riode clĂ© oĂč s’expriment une tension forte entre d’un cĂŽtĂ© les ambitions des États pour mieux contrĂŽler et exploiter
    ces Ă©tendues marines et de l’autre cĂŽtĂ© la rĂ©sistance de la communautĂ© internationale, d’ONG qui, par des traitĂ©s nĂ©gociĂ©s,
    cherchent à les protéger. Les mers deviendront-elles des territoires comme les autres ?

  • DĂ©but 2023, les relations israĂ©lo- palestiniennes semblaient s’inscrire dans une « guerre de cent ans » interminable, qui devenait au fil du temps de plus en plus favorable Ă  IsraĂ«l, en dĂ©pit de l’absence de perspective de paix avec les Palestiniens, peuple privĂ© de tout droit Ă  l’autodĂ©termination et Ă  un État. Le chercheur Alain Dieckhoff propose le terme de guerre de Cent ans, pour qualifier les relations israĂ©lo-palestiniennes, mĂȘme si le conflit est surtout visible depuis la crĂ©ation d’IsraĂ«l le 14 mai 1948. Il prend ici comme point de dĂ©part l’annĂ©e 1922, date Ă  laquelle le Royaume Uni obtient un mandat sur la Palestine confĂ©rĂ© par la SociĂ©tĂ© des Nations. Les Britanniques avaient la charge en Palestine de respecter leur promesse faite par le ministre Balfour en 1917 de crĂ©er un foyer national juif en Palestine tout en respectant les droits de tous les habitants alors majoritairement arabes. Une conciliation qui s’avĂ©ra impossible. Un siĂšcle plus tard, au terme de cette « guerre de cent ans » moderne, l’annĂ©e 2023 semblait consacrer l’effacement de la question palestinienne dans un Moyen-Orient en pleine recomposition. Certes, dans les territoires occupĂ©s de Cisjordanie, des heurts violents entre factions palestiniennes et armĂ©e ou colons israĂ©liens faisaient entre janvier et septembre plus de 220 victimes dont 190 Palestiniens. Mais l’opinion internationale s’était accoutumĂ©e Ă  ces troubles pĂ©riodiques. L’attaque du Hamas le samedi 7 octobre dernier a donc Ă©tĂ© un coup de tonnerre, humiliant IsraĂ«l, et rappelant au monde l’impossible refoulement de la question palestinienne.

  • La troisiĂšme saison de la pause gĂ©opolitique dĂ©bute comme l'an passĂ© par un Ă©pisode spĂ©cial, sous forme d'interview, afin de balayer non pas un sujet comme habituellement, mais bien tous les faits marquants de cet Ă©tĂ© 2023 et de la rentrĂ©e. L'actualitĂ© gĂ©opolitique y a Ă©tĂ© particuliĂšrement riche. En prenant un peu de recul, on peut y dĂ©celer des tendances de fond, Ă©mergeantes ou dĂ©jĂ  structurantes dans les rapports de force Ă  l'Ă©chelle du globe.

  • La gĂ©opolitique implique l’art de dĂ©centrer son regard et de questionner les reprĂ©sentations des diffĂ©rents acteurs. Ces interrogations sont donc plus que lĂ©gitimes dans l’Union europĂ©enne, forte de 27 États. Cette organisation unique au monde, objet politique non identifiĂ© comme le disait Jacques Delors, a traversĂ© depuis le dĂ©but du XXIᔉ siĂšcle des crises rĂ©pĂ©tĂ©es. La crise des subprimes en 2009, puis la crise de l’euro surmontĂ©e en 2015, la premiĂšre crise ukrainienne avec l’annexion de la CrimĂ©e en 2014, la crise des migrants en 2015, la pandĂ©mie en 2020-2021... Et dĂ©sormais, la guerre russo-ukrainienne.

    Chaque fois, la solidaritĂ© et l’unitĂ© des États membres ont Ă©tĂ© sollicitĂ©es et mises en tension. Et l’Union europĂ©enne en est sortie consolidĂ©e. Mais cette derniĂšre crise n’est pas comme les autres. Elle constitue un dĂ©fi gĂ©opolitique d’une tout autre ampleur. C'est un tournant historique, car elle oblige l’Union europĂ©enne Ă  se penser comme un acteur gĂ©opolitique mondial, Ă  exprimer sa puissance. Mais en est-elle capable ?

  • Il y 100 ans, le 29 octobre 1923, l’officier Mustafa Kemal, brillant chef de guerre devenu un charismatique leader politique, proclamait la naissance de la RĂ©publique de Turquie, aprĂšs l’abolition du sultanat l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente et le dĂ©part en exil du dernier sultan Mehmed VI. Kemal en devenait le premier PrĂ©sident et il gouverna son pays jusqu’à sa mort, en 1938. Sous sa prĂ©sidence autoritaire, le pays fut complĂštement transformĂ©, modernisĂ©, dĂ©barrassĂ© selon son souhait de l’emprise des forces clĂ©ricales obscurantistes et l’AssemblĂ©e du peuple le nomma officiellement en 1934 “PĂšre de la nation”, AtatĂŒrk.

    80 ans plus tard, en 2003, Erdogan, accĂšde au poste de premier ministre : il est le confondateur en 2001 du parti de l’AKP, parti Justice et dĂ©veloppement, qui se prĂ©sente comme un parti musulman conservateur. Aujourd’hui, 100 ans aprĂšs la proclamation de la RĂ©publique, 20 ans aprĂšs l’accession au pouvoir d’Erdogan, quel est le visage et la puissance de la Turquie ? Alors qu’ Erdogan a rĂ©gnĂ© plus longtemps sur le pays qu’AtatĂŒrk, a -t-il transformĂ© la Turquie comme son prĂ©dĂ©cesseur l’avait fait ? Un double rĂȘve l’animait : marquer la Turquie de son empreinte, afin de surpasser AtatĂŒrk dans le cƓur des Turcs, et redonner Ă  la Turquie la place, l’influence, l’aura qu’elle avait au temps de l’Empire Ottoman.

    Il est vrai que la Turquie bĂ©nĂ©ficie d’une position gĂ©ostratĂ©gique cruciale ; pont entre l’Europe et l’Asie elle est au carrefour de rĂ©gions politiquement souvent instables : Proche-Orient, Caucase, Balkans. IndĂ©niablement, la Turquie depuis 20 ans a fait une irruption remarquĂ©e sur la scĂšne internationale mais c’est un pays difficile Ă  cerner, passĂ© maĂźtre dans le jeu de balancier entre pays. Pays d’un nationalisme ombrageux, obnubilĂ© par la dĂ©fense de son unitĂ© et de son intĂ©gritĂ© territoriale, il a surpris ces derniĂšres annĂ©es par un activisme nouveau en matiĂšre de politique Ă©trangĂšre, Ă  360°, comme il dit, c’est-Ă -dire dans toutes les directions, activant la carte musulmane chĂšre Ă  son prĂ©sident.

    Alors, aprĂšs 20 ans de pouvoir, le rĂȘve ottoman d’Erdogan de replacer la Turquie au cƓur du jeu gĂ©opolitique mondial est-il atteint ?

  • L’anthropologue Claude Levi-Strauss, dĂ©cĂ©dĂ© en 2009, dĂ©clarait en 2005 : « La question qui domine vĂ©ritablement ma pensĂ©e depuis longtemps et de plus en plus, c’est que quand je suis nĂ©, il y avait un milliard et demi d’habitants sur la terre ; quand je suis entrĂ© dans la vie active
il y en avait deux milliards, ; et maintenant il y a six milliards et il y en aura 8 ou 9 dans quelques annĂ©es. Eh bien Ă  mes yeux, c’est çà le problĂšme fondamental de l’avenir de l’humanitĂ©, et je ne peux pas avoir d’espoir pour un monde trop plein ». Faut-il partager ce pessimisme ? Il y a d’emblĂ©e deux maniĂšres d’apprĂ©hender l’évolution dĂ©mographique. Soit l’on prend en compte l’évolution en valeur absolue et effectivement le milliard d’humains supplĂ©mentaires en 11 ans inquiĂšte, soit l’on regarde la croissance relative (mesurĂ©e en %) et l’on constate une dĂ©cĂ©lĂ©ration remarquable. Elle Ă©tait au plus fort dans les annĂ©es 1960 (plus de 2 % par an) ; ce taux ne cesse de diminuer depuis pour atteindre en 2022 1 % . Bref, si la terre gagne encore environ 240 000 hab. supplĂ©mentaires par an, le gros de la croissance dĂ©mographique est derriĂšre nous.

    La division de la population de l’ONU est la principale source d’information statistique, elle produit des scĂ©narios pour le futur avec des estimations basses, mĂ©dianes ou hautes. Il y a peu de marge d’erreur d’ici Ă  2050 car la majoritĂ© des hommes et des femmes qui vivront sont dĂ©jĂ  nĂ©s et l’on peut prĂ©voir assez bien leurs comportements ; prĂ©dire l’évolution ensuite est plus difficile. Les chiffres que je vous donne dans ce podcast proviennent des statistiques onusiennes et Ă©galement de l’Institut national des Ă©tudes dĂ©mographiques (INED) et concernent les annĂ©es 2021 ou 2022. Dans leurs derniĂšres prĂ©visions mĂ©dianes, les dĂ©mographes des Nations Unies estiment que le pic de population sera atteint vers 2080, avec environ 10, 4 mds d’hab. ce qui, d’une certaine maniĂšre, ne fait « que » deux milliards de plus en un bon demi-siĂšcle
D’autres instituts font des projections un peu diffĂ©rentes, comme l’institut viennois (IIASA) qui prĂ©voit au maximum 9, 8 mds en 2070/80 selon leur scĂ©nario mĂ©dian. Bref, retenons qu’au XXIe siĂšcle, la population mondiale va connaĂźtre son pic Ă  10 milliards ou un peu moins et aura commencĂ© sans doute Ă  dĂ©croĂźtre Ă  la fin du siĂšcle. Mais ce n’est pas le seul bouleversement Ă  attendre : l’urbanisation est l’autre fait marquant avec l’essor des mĂ©gapoles. Si 13 % de la population Ă©tait urbaine en 1900, 1/3 en 1960, nous sommes dĂ©sormais plus urbains que ruraux Ă  plus de 55 %. Enfin les migrations seront affectĂ©es par cette croissance, mĂȘme s' il y a moins de migrants dans le monde aujourd’hui en proportion qu’en 1900, fait trop peu connu


  • Le 6 fĂ©vrier dernier, Amira Bouraoui , journaliste et activiste franco-algĂ©rienne qui avait rĂ©ussi Ă  fuir son pays pour la Tunisie a pu embarquer dans un avion Ă  destination de la France, Ă©chappant Ă  l’expulsion et l’arrestation en AlgĂ©rie. Ce faisant, la France a heurtĂ© l’AlgĂ©rie qui a rappelĂ© son ambassadeur, et cet Ă©niĂšme coup de froid entre les deux pays intervient alors que Paris et Alger avaient cherchĂ© Ă  l’étĂ© 2022 Ă  relancer leur coopĂ©ration. DĂ©cidĂ©ment, la France a bien des difficultĂ©s Ă  avoir une relation apaisĂ©e et confiante avec ses anciennes possessions d’Afrique du Nord, d’autant que Maroc et AlgĂ©rie sont des frĂšres ennemis et que tout pas vers l’un fĂąche l’autre. Ces pays entendent montrer qu’ils sont souverains et les liens se distendent, tandis que ces Etats sont Ă©galement sollicitĂ©s par d’autres partenaires.

    Au-delĂ  de l’Afrique du Nord, c’est toute la place de la France en Afrique qui est aujourd’hui en question. La realpolitik aujourd’hui menĂ©e par la France, Emmanuel Macron Ă©voquant un nouveau partenariat Afrique-France en mars, peut-elle masquer le fait que nous sommes Ă  l’heure du divorce. Mais Ă  quoi correspond-t-il ? Est-ce simplement un moment de l’histoire qui fait de la France le bouc Ă©missaire de situations de crise ou la rupture est-elle plus grave ? Ce divorce est -il simplement la fin ultime de la dĂ©colonisation ou s’apparente-t-il Ă  un divorce pour faute liĂ©e aux comportements nĂ©o-coloniaux de la France ? Est-il une simple dĂ©cision africaine ou une manipulation des Africains par des puissances Ă©trangĂšres au premier rang desquelles la Russie et la Chine ?

  • Nous allons consacrer ce numĂ©ro Ă  un triste anniversaire. FĂ©vrier 2023, depuis un an, la guerre sĂ©vit Ă  l’est du continent. L’agression russe contre l’Ukraine a changĂ© le cours de l’histoire, Ă©conomiquement en provoquant Ă  court terme crise Ă©nergĂ©tique, alimentaire et inflation, gĂ©opolitiquement en accentuant la reconfiguration du paysage mondial, revitalisant l’OTAN mais augmentant le fossĂ© Nord-Sud, piĂ©tinant les principes de la Charte des Nations Unies et faisant de l’usage de la force le nouveau dĂ©terminant des relations internationales. Beaucoup a Ă©tĂ© dit et Ă©crit sur ce conflit. Je vous propose aujourd’hui de nous concentrer sur la Russie et sa politique de puissance.

    En reprenant l’histoire de la Russie, ancienne et rĂ©cente, interrogeons-nous sur l’incapacitĂ© de la Russie Ă  se penser autrement qu’en puissance impĂ©riale Ă  la tĂȘte d’un Empire qui n’a cessĂ© de connaĂźtre des fluctuations dans ses frontiĂšres (notamment Ă  l’ouest), mais dont l’État central n’a jamais renoncĂ© Ă  l’usage de la force militaire pour retrouver les territoires perdus. À cette aune, la guerre en Ukraine est pour la chercheuse Anne de Tinguy, une guerre nĂ©o-impĂ©riale et de civilisation, nourrie par l’obsession de la grandeur de Vladimir Poutine. Il y a ainsi une malĂ©diction impĂ©riale russe, Ă  la fois pour les territoires et les peuples qu’elle assujettit contre leur grĂ© mais aussi pour la Russie elle-mĂȘme, incapable d’imaginer de nouveaux ressorts de puissance alors qu’elle n’est pas dĂ©pourvue d’atouts et qu’elle va sortir affaiblie du conflit, quelle qu’en soit l’issue.

  • IntĂ©ressons-nous aujourd’hui au vaste sujet de la gouvernance mondiale. Le monde est aujourd’hui une mosaĂŻque de prĂšs de 200 États. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la communautĂ© internationale n’en comptait qu’une cinquantaine seulement, puisqu’à l’époque les Empires coloniaux Ă©taient Ă  peu prĂšs intacts. C’est pendant cette guerre que les États-Unis ont proposĂ© aux alliĂ©s de fournir un cadre au futur systĂšme international permettant des relations ouvertes, fondĂ©es sur l’égalitĂ© de droit entre tous les États et conduisant Ă  une gouvernance partagĂ©e, des rĂšgles communes, des accords concertĂ©s.

    Ce multilatĂ©ralisme institutionnalisĂ© est devenu d’autant plus indispensable que le nombre d'États a connu une nette inflation et en gĂ©opolitique l’on parle d’une balkanisation du monde pour dĂ©signer cet Ă©miettement des structures Ă©tatiques. Je vous propose aujourd’hui de faire le point sur ce dialogue multilatĂ©ral, alors que les questions Ă  traiter sont de plus en plus cruciales et que l’état des relations internationales ne cesse d’inquiĂ©ter.

    Centrons-nous sur l’organisation pivot de ce multilatĂ©ralisme, l’Organisation des Nations Unies objet aujourd’hui de vives critiques : est-elle en effet impuissante face aux crises voire inutile ou simplement paralysĂ©e par la vigueur du nationalisme des Etats ?

    Ce podcast est proposé par Major-Prépa et Anne Battistoni, ancienne professeur de géopolitique en classe préparatoire.