Afleveringen

  • Si nous devons repenser le fascisme -ses fondements, son histoire et ses mutations-, se repose symétriquement la question de l’antifascisme. C’est une histoire qu’il nous faut sans nul doute redécouvrir et partager, au cœur de celle-ci, il y a bien évidemment la guerre civile espagnole, soit l’émergence et la lutte d’un mouvement ouvrier révolutionnaire et autogestionnaire contre le coup d’état fasciste de Franco en 1936. Pour ce lundisoir, nous avons invité l’historien Pierre Salmon qui vient de publier Un antifascisme de combat - Armer l’Espagne révolutionnaire – 1936-1939 (éditions du Détour). Si son livre s’attaque d’abord à un pan méconnu de la guerre d’Espagne, soit la manière dont les forces révolutionnaires sont parvenues à s’armer et à combattre en s’appuyant sur un réseau international de contrebande et de résistance, il nous permet de nous replonger dans cette période et d’aller y rechercher quelques résonances avec notre actualité. Quels enseignements garder d’aussi courageux et glorieux ancêtres ? Le plus décisif, peut-être : que l’antifascisme ne peut jamais se contenter d’être « anti » et se doit de toujours porter en lui les solidarités à chérir et les mondes à construire. Il n’y a pas l’antifascisme puis la révolution mais toujours l’antifascisme et la révolution.

  • Nous avions reçu Wu Ming I pour Q comme qomplot. Nous recevons Wu Ming II pour OVNI 78. En apparence, pourquoi irions nous nous perdre dans ces histoires d’OVNI ? Ces ufologues de tous les camps politiques cherchant à percer le mystère de la multiplication des objets volant non identifiables dans le contexte historique du rapt d’Aldo Moro (Ancien président du conseil des ministres en Italie) ? À quoi bon nous demander si les extraterrestres sont plutôt communistes ou capitalistes, ou encore toute autre chose, de furtif, d’indiscernable, de non-identifiable ? Parce qu’en nous penchant sur les métaphores et les signes de la culture, nous décryptons le hiéroglyphe du temps présent, le sens des ruptures en cours, l’accélération de la fascisation italienne et française des années 2020, tout cela en réarticulant l’histoire passée à l’action présente. Attention, un OVNI peut en cacher un autre.

  • Zijn er afleveringen die ontbreken?

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  • Eugénie Mérieau, juriste, politiste, constitutionnaliste, enseignante à l’université de Paris 1, a récemment publié deux ouvrages : La dictature, une antithèse à la démocratie ? et Géopolitique de l’état d’urgence. Sous couvert de petits livres sur le droit et les régimes politiques - sujet qui généralement nous échappent par leur formalisme et leur rigorisme tout abstrait -, ce sont peut-être les textes les plus denses, diaphanes et radicaux, les plus heureusement et puissamment critiques de la « tradition libérale-impériale » qu’on ait pu lire depuis bien longtemps. Dans cet entretien, non seulement la démocratie libérale représentative ne nous apparaît plus comme l’antithèse de la dictature mais comme l’une de ses modalités possibles ; mais la dictature même, par l’étude comparative des régimes politiques, se voit revêtue de toutes les propriétés que valorise en réalité le néo-libéralisme économique et ses critères de sanctification.

  • À lire le livre de Marylou Magal & Nicolas Massol, on a le sentiment d’assister à ces chasses nocturnes, ou autres danses macabres, ces bandes de mort-vivants débrayés que l’on disait surgir parfois quand il sonnait minuit à l’horloge de l’histoire. Bref : on entre dans une cave où défilent les principaux portraits des cadres politiques de la droite extrême - cinquante nuances de fafs. Or, du point de vue de sa jeunesse, les différences ne sont pas de nature, mais de degré. Comme dit fièrement Sarah Knafo : « on est tous pareils : tous. » Des souverainistes aux nationaux révolutionnaires (fascistes) en passant par les identitaires, le livre de Magal et Massol porte sur la grande dynamique de décloisonnement des familles de la droite, qui de la Manif pour tous aux dernières législatives, à travers sa jeunesse, s’est convertie à la logique identitaire et civilisationnelle. Dans cet entretien, on traverse la vie banale et ridicule d’un Bardella fils à papa, qui roule en smart parce qu’il a peur du métro, on croise l’existence opportuniste d’une Sarah Knafo fan d’Henri Guaino, et on pose la question de la bollorosphère et de ses trois cartes maîtresses : le lepénisme émancipé de son discours social ; le zemmourisme radicalisé à valeur de Gollum ; et Hanouna, potentiel Trump futur à la française, dernière option des droites extrêmes pour trouver un appui spectaculaire dans le peuple réduit à l’audimat.


  • Michalis Lianos est chercheur et sociologue. Il a beaucoup travaillé sur le contrôle social et la manière dont la peur et la « sécurité » façonnent nos représentations politiques et sociales, c’est-à-dire le monde. Au fil du mouvement des Gilets jaunes, il a publié dans lundimatin ce que nous considérons être la meilleure analyse sociologique du mouvement en cours, auquel il participait. Mais en 2022, M. Lianos nous transmettait un nouvel article, brillant encore mais un peu déprimant : Le tétralemme révolutionnaire et la tentation autoritaire. Pour le résumer vite et mal, l’écrasement et la répression du mouvement des Gilets jaunes poussaient à un repli dans les affects communautaires, réactionnaires... fascistes ? Le 9 juin dernier, une fois les résultats de l’élection européenne connues, Michalis Lianos nous a envoyé un SMS laconique : « comme prévu ». En réponse, nous lui avons proposé cet entretien.

  • Dans leur livre L’illusion du bloc bourgeois,Stefano Palombarini et Bruno Amable citent L’Art de la guerre de Machiavel :« Celui-là est rarement vaincu, qui sait mesurer ses forces et celles de l’ennemi. » À partir de cette prise de position « néoréaliste », essayons de mesurer la dynamique et l’histoire des forces de l’ennemi en dissipant les nuages du chaos apparent. Bruno Latour avait pour axiome : il n’y a pas de rapport de force, il n’y a que des rapports de faiblesse. Cela s’applique bien à une situation actuelle, qui dès 2017 était présentée comme une crise :
    « la France traverse la phase la plus aiguë d’une crise politique ouverte depuis plus de trente ans. Krisis, en grec, signifie « jugement », « décision » ; au risque de prêter à confusion, on pourrait écrire que si la crise dure depuis si longtemps, c’est que la France n’arrive pas à fixer la direction qu’elle veut prendre »
    Or cette crise semble, désormais, se réduire et se résumer dans la « décision » devenue presque arbitraire du président Macron. Elle semble atteindre une forme paroxystique. Voire extatique. Les stratagèmes électoraux du macronisme, devenus inopérants, font place à ce qu’il reste lorsque la stratégie semble morte : le pur pari – l’action votive – le coup de poker. C’est là, peut-être, la pointe la plus extrême du rapport de faiblesse. Car ce qui est en jeu dans cette dissolution, c’est bien tout le paradoxe d’une victoire par deux fois d’un président dont le soutien est une base sociale minuscule, obligé d’essayer de se rallier non seulement le « bloc bourgeois », ni de droite ni de gauche, mais, à terme, le « bloc identitaire » - seul bloc « populaire » encore compatible avec le libéralisme autoritaire. En bref : il y a, depuis 40 ans, une vaste crise d’hégémonie et de dominance sociale et donc, en conséquence, une multiplication violente des rapports de faiblesse.
    Où va le bloc bourgeois ? En quoi le 9 juin est le signe de sa fin ou de sa recomposition identitaire ? Nous essayons d’aborder ces questions ce soir avec Stefano Palombarini.

  • Où se cache « le pouvoir » ? On a pu dire qu’il résidait entre les mains de quelques grands hommes, puis convenir qu’il se diffusait à travers l’économie, on l’a vu traverser les corps et prendre la forme de dispositifs de contrôle, a aussi dit qu’il était désormais dans les infrastructures et qu’il prenait une forme cybernétique. Nelo Magalhães est allé le dénicher dans sa forme la plus homogène et solide, dans la manière dont il a recouvert la planète, imposé ses lignes et constitué l’essentiel de notre environnement humain, trop humain : le béton. Son livre, Accumuler du béton, tracer des routes - Une histoire environnementale des grandes infrastructures (La Fabrique) s’ouvre sur une drôle d’histoire, extraite d’un livre passé inaperçu, la bétonite.Le béton est atteint d’un virus qui l’amène à s’effriter, le virus s’étend à chaque centimètre cube du fameux matériaux et c’est la totalité de l’édifice social qui s’effondre et la vie entière qui doit se donner de nouveaux repères.

  • On dit assez facilement que nos révoltes sont archaïques, dépassées, inadaptées au degré actuel de développement du front de modernisation, que se soulever - sur le mode de l'émeute, de l'insurrection - est chose du passé, d'un autre temps, révolu. Ne sommes nous pas primitifs, rustres, barbares lorsqu'on occupe ronds-points, universités, coins de rue ou place de village ? La politique, après tout, c'est tout ce que vous voulez mais pas "l'ensauvagement", la "décivilisation", l'arriération et le retard dans le développement mature de notre perpétuelle enfance. Des Gilets Jaunes aux Croquants et aux Pieds Nus, des émeutes de quartier aux révoltes contre la Gabelle et aux soulèvements frumentaires, des formes de subjectivité politique qui s'affirment dans la révolution iranienne en passant par la commune indienne et russe (le Mir), Frédéric Rambeau opère une critique de la disqualification de "l'archaïsme" en attaquant deux fronts : 1) le vieux marxisme orthodoxe aveugle aux nuances politiques et asynchrones de Marx lui-même ; 2) l'assimilation de l'archaïque à la réaction. Comment se réapproprier l'archaïque, sans suspendre son ambigüité, quelles sont les bonnes raisons de "retourner le stigmate", de voir dans l'archaïsme, non plus une réaction au présent contre la ligne du temps, mais le principe (arkhè) d'un temps autre, d'un "contre-temps", celui de la Commune. C'est en portant son attention non pas à la place d'une émeute par rapport à son avant et son après, soit son sens dans l'ordre linéaire du temps, mais relativement à elle-même, dans son immanence même, que Rambeau nous permet de saisir en quoi l'émeute est porteuse, plus que d'une réaction et d'une résistance, des fermentations de l'idée révolutionnaire. Si Tiqqun pose l'image d'un communisme sans cesse différé par les dispositifs qui en refoulent la présence ; Rambeau active un originaire paradoxal, un principe d'ancienne nouveauté, une substance émeutière toujours contemporaine aux appareils de répression d'État - au point d'en être, selon Foucault, la véritable origine : l'origine de l'État même, c'est la résistance.

  • Ce lundisoir, on parle du dernier livre de Mark Fisher, Par delà-étrange et familier, dont la traduction vient de paraître aux éditions Sans Soleil. Sans Mark Fisher mais avec lui en esprit, accompagné de Lovecraft, David Lynch, Philipp K. Dick, Vincent Chanson, Guillaume Heuguet, Clémence Agnez et Julian Guazzini, on se demande comment l’imagination peut transformer le réel en y échappant, comment la critique culturelle peut être politique aujourd’hui, et ce qui fait que la science-fiction, le fantastique suscitent un engouement intellectuel ces dernières décennies. C’est aussi l’occasion d’échanger sur les potentialités émancipatrices de la fiction, les pièges et ressources de la nostalgie, le refus de toute clôture dans l’interprétation.

  • Comment agir à la hauteur du désastre écologique ? Où trouver les forces pour tirer le frein d’arrêt d’une civilisation qui œuvre à sa propre destruction ? Comment se donner les moyens d’une bifurcation hors du monde de l’économie ? Certains s’accrochent à capitaliser les petits gestes ou essaient de croire à une transition écologique gouvernementale, d’autres s’enterrent dans le cynisme ou s’abandonnent à la désolation. Depuis trois ans, les Soulèvements de la terre proposent une autre hypothèse : s’organiser pour déployer un mouvement d’action directe de masse, trouver les complicités et forger les alliances qui permettent de penser et d’agir.

    Premières secousses (La Fabrique) est un livre important et qui fera date dans la pensée politique, écologiste, stratégique et révolutionnaire. Il s’agit moins d’un bilan des campagnes écoulées ou d’un programme que d’un rapport d’étape et une tentative de clarification tactique et stratégique. Paradoxalement, sa richesse et son audace, tiennent moins des propositions qu’il contient : désarmer, démanteler, reprendre les terres ; que de l’humilité avec laquelle les tensions, les contradictions et les obstacles rencontrés et à venir sont patiemment dépliés et offerts à la discussion. Trois participants aux Soulèvements sont venus en discuter pour ce lundisoir. La discussion a été longue pour ce format particulier qui ne se partage que derrière un écran mais elle a certainement était trop courte pour que nous puissions aborder et approfondir les points les plus importants et à débattre du livre. Un premier entretien pour de premières secousses.

  • On parle de littérature ce lundisoir avec Phœbe Hadjimarkos Clarke à propos de son dernier roman, Aliène (éditions du sous-sol, 2024). Éborgnée par un tir de LBD, Fauvel part s’occuper d’un chien cloné dans une campagne française isolée où se passent toutes sortes d’éléments bizarres, à la limite du cauchemar. Acclamé par la critique, qualifié d’ « ovni littéraire », Aliène, à tous égards, est un roman bizarre — au sens de Mark Fisher où « le bizarre est ce qui n’est pas à sa place. […] La forme peut-être la plus appropriée au bizarre est le montage — la conjonction de deux choses ou plus qui n’ont rien à faire ensemble. »

    C’est un roman précisément où les voix et les univers se mélangent ; où la peur et le cauchemar naissent d’une impression d’inquiétante étrangeté renforcée par ce fait que tous les éléments étranges et fantastiques arrivent à des personnages tout à la fois impuissants et banals : le fantastique fait partie du décor, mais il n’est la source d’aucun pouvoir, d’aucune puissance. Il est un élément d’un montage qui fonctionne comme un dispositif révélant sous une lumière de film d’horreur ce que notre époque fait à l’intime, au désir, au corps. C’est les effets de ce décalage que nous avons tenté d’explorer avec Phœbe pour interroger les potentialités d’émancipation dont la fiction peut être porteuse — et a fortiori lorsqu’elle met en scène des personnages paradoxalement immobiles qui semblent ne rien faire d’autre que subir la réalité. Suite à l’entretien, revenant sur ces questions qui se refusent évidemment à toute réponse certaine et définitive, Phœbe nous a écrit : « La littérature ne se doit pas d’être exemplaire, justement parce qu’elle n’est pas de la théorie politique. Donc le fait que les personnages soient faillibles et nuls c’est aussi une manière de réfléchir à l’époque qui n’est pas forcément inspirante, certes, mais importante parce que la déception politiques et les traumatismes liés à la répression nous façonnent et façonnent nos vies. »

  • À rebours des aventuriers pompeux arpentant de supposés déserts naturels, mais aussi du monde ultra quadrillé de la Big Carto, que nous racontent nos imaginaires du bout du monde et du nulle part ?
    Les Pétaouchnoks sur lesquels enquête Ricardo Ciavolella sont des vrais lieux, mais flous. Des lieux au nom expressif sur lesquels s’est collé tout un imaginaire de l’ailleurs indéterminé, des noms qui désignent un bout du monde qui riment souvent avec fin du monde.
    Si ces fins du monde et milieu du nulle part sont souvent méprisés, s’ils portent la marque du regard colonial ou des différentes dominations spatiales qui les ont érigés en repoussoir, approcher leur réalité permet de décentrer notre regard et d’éclairer par l’envers, le petit enfer métropolitain. Et puisqu’il reste tant de cartes à tracer : Pétaouchnoks de tous les pays, unissez-vous !

  • Norman Ajari est venu nous présenter son Manifeste afro-décolonial, paru il y a quelques jours. Œuvre dont le sous-titre, Le rêve oublié de la politique radicale noir, annonce quelque chose comme un projet politique de refondation. Il y a un déjà-là de l’autonomie noire, qu’il s’agirait de ranimer. Quelle forme a-t-elle pris, quel visage nouveau pourrait-elle se donner ?

    En 2019, le philosophe annonçait dans l’introduction de La dignité ou la mort. Ethique et politique de la race : « Ce livre fait l’hypothèse qu’il existe – transcendant le partage entre les Afriques et leurs diasporas – une condition noire et une histoire noire essentiellement modernes, définies par une surexposition structurelle à la violence sociale et politique, et par une constante invention contrainte de stratégies de survie. » Dans le Manifeste, il s’agit de « poser les bases d’une nouvelle idéologie panafricaine, sociale et révolutionnaire », destinée à fédérer ces « stratégies de survie » – pour les changer en une politique de l’autonomie noire qui serait à même d’en finir avec l’esclavage, la colonisation, la ségrégation raciale, ces passés qui ne passent pas.

    D’abord, il faut poser un diagnostic à propos de cette violence négrophobe, analysée à partir de trois concepts : aliénation, expropriation, génocide. Puis il faut critiquer les options politiques antiracistes les plus en vue actuellement, qui nourrissent une forme de « libéralisme identitaire ». Et il reste enfin à annoncer les perspectives concrètes d’une politique d’autonomie noire. Celle-ci pourrait-elle véritablement prendre la forme d’un « Etat fédéral panafricain et communiste » ? Le concept de souveraineté peut-il encore connaître un horizon révolutionnaire ? Les politiques de l’identité méritent-elles d’être taxées de libéralisme ? Voilà les questions que nous soumettent la politique radicale noire.

  • L’ouvrage Pas de Transition sans transe. Essai d’écologie politique des savoirs de Jean-Louis Tornatore est une contribution majeure pour affronter les violences de la modernité, qui même dans son déclin, nous laisse en héritage un monde fondé sur des représentations qui ont asséché l’expérience de la communauté.Avec ses traversées dans les corpus de l’anthropologie et de la philosophie, mais aussi du théâtre, il nous invite à renouveler une pensée décoloniale. Or celle-ci ne se laisse pas réduire pas à la convocation d’identités mais se situe résolument dans un pluralisme ontologique qui ouvre des perspectives vers une multiplicité de mondes.
    Partir de la transe c’est alors convoquer la différence comme raison ultime de tout travail d’enquête. Ou des manières de multiplier les autres en nous.
    C’est à cette condition qu’il nous sera possible de pluraliser le temps à venir. Et ceci ne peut pas être dissocié d’un passé qu’il nous faut rendre multiple à son tour. C’est en cela que la question des résurgences est au cœur de ce livre.
    Jean-Louis Tornatore nous propose de reconsidérer les fabriques des savoirs en prenant le risque de passages entre des mondes pour sortir de la monoculture du temps linéaire avec ses catastrophes annoncées.

  • Après avoir travaillé sur les armes et la militarisation de la police dans L’arme à l’oeil et Nous sommes en guerre , Pierre Douillard-Lefevre revient avec un nouveau livre : Dissoudre (Grevis). Il y est évidemment question de cette pratique policière et administrative remise à la mode par le gouvernement : la dissolution des associations et groupements de fait jugés subversifs ou contraire au bonnes mœurs républicaines. Mais pas que... Pierre Douillard-Lefèvre tisse un lien entre ces pratiques répressives ouvertement extra-judiciaires et le projet politique plus global qui vise à atomiser et neutraliser tous les corps collectifs qui pourraient échapper au contrôle et à l’économie. Un lundisoir qui sera exceptionnellement diffusé... mardi soir. En attendant, les bonnes feuilles sont accessibles sur lundimatin par ici.

  • Ce lundisoir, nous essayons de déterminer ce que l’on nous vole. À partir du texte ultra-connu de Proudhon Qu’est-ce que la propriété ? Catherine Malabou nous découvre en quoi nos héritages ne sont précédés d’aucun testaments. En quoi la propriété, c’est le vol. Mais le vol d’abord de la mémoire du fait que nous sommes restés, pour la plupart, des serfs, des aubains, des esclaves.

    Pour cela, il faut partir ou repartir de Proudhon :

    « La propriété est le droit d’aubaine : cet axiome sera pour nous comme le nom de la bête de l’Apocalypse, nom dans lequel est enfermé tout le mystère de cette bête. On sait que celui qui pénétrerait le mystère de ce nom obtiendrait l’intelligence de toute la prophétie, et vaincrait la bête. Eh bien ! Ce sera par l’interprétation approfondie de notre axiome que nous tuerons le sphinx de la propriété. Partant de ce fait si éminemment caractéristique, le droit d’aubaine, nous allons suivre dans ses replis le vieux serpent, nous compterons les entortillements homicides de cet épouvantable ténia, dont la tête, avec les mille suçoirs s’est toujours dérobée au glaive de ses plus ardents ennemis, leur abandonnant d’immenses tronçons de son cadavre. » (Proudhon)

    La Révolution a-t-elle vraiment eu lieu ? La féodalité a-t-elle été, d’un seul coup d’un seul, abolie ? N’y a-t-il pas eu, pendant des siècles, des rémanences, des permanences, des persistances d’Ancien Régime dans un monde moderne, dans un monde nouveau, qui dissimulait, par le déni et l’oubli, tout ce qu’il avait, en réalité, par cette ruse, par ce stratagème, conservé des servitudes des temps passés. Doit-on dire que : « La Révolution a réinstauré à nouveaux frais tout ce qu’elle avait combattu. » (106) ? Alors que, généralement, l’oubli, l’amnésie historique porte sur les grands changements, les grandes ruptures, le fait que l’histoire varie, n’est pas éternelle, est faite de mutations, le fait que ce qui est n’a pas toujours déjà été ; il nous semble que tu nous dis, Catherine Malabou, l’inverse : ce que nous avons oublié, aujourd’hui, c’est que les choses n’ont pas changé. C’est là le stratagème de l’amnésie des persistances. On va voir avec Catherine Malabou quelles sont ces persistances.

  • Alberto Prunetti, l’auteur d’Odyssée lumpen (Lux éditeur), est originaire de Toscane et plus précisément de Piombino où son père, son babbo, était ouvrier métallurgiste. L’amiante a eu sa peau et Alberto a raconté son histoire dans Amiante (Agone), premier volume d’une trilogie dont Odyssée est le deuxième. Dans le haut-fourneau de Piombino les hommes fabriquaient des rails de 108 mètres d’un seul tenant. Ils en étaient fiers mais cela ne les empêchait pas de se montrer offensifs envers les patrons en appliquant « Les dix commandements ouvriers » transmis de génération en génération. Alberto, boulimique de lecture, a choisi d’aller à l’université. Il lui a fallu pour cela convaincre son babbo, rompre avec la tradition ouvrière. Après ses études, Alberto ne trouve pas de travail en Italie. Alors, comme tant d’autres jeunes Italiens, il part à l’étranger pour en trouver. Il choisit l’Angleterre où l’ombre de Thatcher plane toujours. Du travail, au Royaume-Uni, Alberto en trouve à la pelle : il est tour à tour pizzaiolo, nettoyeur de chiottes, cantinier, ramasseur de framboises. D’un boulot de merde à l’autre, il se fait un tas d’amis tout aussi exploités que lui par le néolibéralisme. Des amis pour la vie. Sans pathos, pas larmoyant pour un penny, mêlant récit d’aventure, comédie, fantastique, critique sociale, Prunetti raconte son odyssée. On se marre, on s’émeut, et c’est fucking bien.

    Dans ce lundisoir, Alberto parle de son livre mais aussi de littérature working class et de la lutte des GKN, les ouvriers qui occupent depuis deux ans leur usine menacée de fermeture, et du festival de littérature ouvrière qui s’y tiendra pour la deuxième fois cette année.

  • Un marxiste occidental dit que la philosophie est, en dernière instance, la lutte des classes dans la théorie. Ce même marxiste ajoute que la définition du matérialisme, c’est de « ne pas se raconter d’histoires ». Pacôme Thiellement, lui, nous raconte des histoires (anecdotes des bas-fonds d’internet, de cinéma, de popculture, ou de théologie gnostique), et grâce à elles, porte, pourrait-on dire en pastichant, la lutte des classes, non dans la théorie, mais dans la théoria, θεωρία, c’est-à-dire, en grec, dans le spectacle – dans la sphère spectaculaire. Il porte, avec ses histoires, pourrait-on dire, la lutte des classes dans le spectacle.
    Or, depuis quelques temps, renouant avec le sens originaire du mot propaganda – « propaganda fide », propagation de la foi –, le camp des bolloréens, les bolloroserviles, les laquais et vassaux de Bolloré mènent une offensive théologico-politique, c’est-à-dire nationale-catholique, grâce à CNews, à travers ce même spectacle. Ce camp est en train de théologiser et de christianiser la sphère spectaculaire et, face à cela, Pacôme mène une contre-offensive plutôt maline, très fine, qui, au lieu de vociférer en anticlérical athée d’arrière-garde contre les chrétiens, vient délicatement diviser la division, confronter le christianisme avec lui-même, réveiller ses courants les plus insurrectionnels, les plus hérétiques et les plus anarchistes – les manichéens, les cathares, les gnostiques, qui s’appelaient entre eux, les Bons Hommes, les Sans Roi – et qui se dressent, dans leurs traditions et leurs pratiques, autant contre l’Église catholique que contre l’Empire romain, autant contre la puissance sacrée que la puissance profane. Contre l’hypothèse catho-capitaliste bolloréenne, contre l’Empire qui n’a jamais pris fin, Pacôme Thiellement propose l’hypothèse des Sans Roi.
    C’est cette hypothèse que nous allons explorer dans ce lundisoir.

  • Alors que la vocable de la guerre est désormais sur toutes les lèvres gouvernementales, que nous sommes submergés et bouleversés par ses images provenant d’Ukraine ou de Gaza, nous recevons ce lundi Romain Huët, autour de son dernier livre La guerre en tête (PUF).
    De 2012 à 2023, de la Syrie à l’Ukraine, le chercheur Romain Huët a mené une enquête ethnographique au cœur de ce que l’on appelle communément « la guerre ». Sur les front et à ses abords, il est allé à la rencontre de celles et ceux, hommes et femmes ordinaires, qui du jour au lendemain décident de prendre les armes. Pour appuyer un soulèvement populaire comme au début de la révolution syrienne, pour se défendre de l’anéantissement par le régime là encore en Syrie ou pour repousser une invasion comme dans l’est de l’Ukraine. En s’attachant à la vie quotidienne des combattants et des volontaires, en la racontant depuis le ras du réel, Romain Huët nous parle de la guerre depuis cette dimension toujours négligée : le vécu intime, ses déterminations, ses tiraillements, ses joies et ses écrasements.

    Nous avions interviewé Romain Huët autour de son premier livre Le Vertige de l’émeute, de la ZAD aux Gilets Jaunes, une enquête passionnante et participative au coeur des évènements émeutiers de ces dernières années. Cette interview est disponible ici. Nous l’avions aussi invité à l’occasion d’un lundisoir pour son second livre : De si violentes fatigues, Les devenirs politiques de l’épuisement quotidien une enquête ethnographique et sociologique au long cours au sein d’une association de prévention contre le suicide. La vidéo est peut être vue là.

  • Faut-il en avoir quelque chose à cirer de Sylvain Tesson et du Printemps de la poésie ? Est-il encore imaginable qu’un poème déclenche une émeute ? Est-ce que l’extrême-droite peut tout écrabouiller par sa simple mais puissante bêtise ? Faut-il casser les phrases et les mots comme on casse des vitrines ? Si vous aussi vous vous posez ces questions, rendez-vous lundi 26 février à 19h dans lundisoir.