Il y a quarante ans, elle était mon idole, celle qui m’embrassait quand je faisais des bêtises, qui soutenait mes rêves de poésie et nourrissait les siens, sans renoncer à rien. Toujours élégante, en tweed ou en basket, avec ses immenses boucles d’oreilles en forme de chat, elle osait tout, vivre seule, balancer les règles et jouir de l’instant. Elle assumait totalement ne pas vouloir d’enfant, à une époque où les normes étaient le mariage, la maison, un garçon puis une fille.
Elle, c’est Tatie, la soeur de ma mère, l’aînée au coeur toujours jeune. Elle avait 22 ans en ‘68, buvait du champagne dans les clubs de jazz bruxellois des années 80, portait cuir rouge et dentelle noire à 40 ans, et à 60 se mariait par amour avec un homme de 15 ans son cadet.
Aujourd’hui, son corps se réduit, sa vie ralentit, autour de ses chats, maîtres du logis, et des infirmières. Mais il y a dans son regard l’étincelle des souvenirs, et un amour infini.
Aujourd’hui encore, elle refait le monde, jette ses mauvais souvenirs au bac, et sourit du soleil qui l’éveille au petit matin. La mort a délicatement frappé à sa porte… Et elle l’a remballée en souriant : “prends ma jambe, et va voir ailleurs si j’y suis”.
Elle est une forteresse fragile, à la fois inspiration et réconfort. Dans son fauteuil roulant, elle veut vivre bien, encore cinq ans, ou dix peut-être. Elle sourit, elle rêve, elle est. Annie.
Un projet de Céline Van Rompaye, nourri par Tatie Annie, réalisé par David - Les Yeux Clos