Afleveringen
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1. Introduction
Dans cet épisode, Michel Onfray explore la notion de sagesse laïque à travers l'œuvre de Pierre Charron, en particulier son ouvrage De la Sagesse (première édition en 1601). Il propose une réflexion sur la naissance d'une pensée morale indépendante des dogmes religieux, qui préfigure les concepts modernes de laïcité et d'immanence.
2. Pierre Charron et l'invention de la sagesse laïque
Une morale autonome
Michel Onfray souligne que De la Sagesse se distingue des écrits théologiques antérieurs de Charron par sa volonté d'établir une morale fondée sur la raison humaine, sans recours aux prescriptions divines. Il identifie dans cet ouvrage une tentative pionnière de créer une sagesse laïque, avant même l'apparition du terme.
La séparation du spirituel et du temporel
Charon défend l'idée que la morale peut exister indépendamment des dogmes religieux. Il s'inscrit dans la lignée de penseurs comme Marsile de Padoue et Machiavel, qui prônaient déjà la séparation entre les sphères spirituelle et temporelle.
3. Influences philosophiques et continuité
Socrate et Montaigne
Onfray met en lumière l'influence de Socrate et de Montaigne sur Charron. Tandis que Montaigne pratique l'introspection pour se connaître lui-même, Charron élargit cette démarche en cherchant à définir ce qu'est l'homme en général, sans se focaliser sur son propre cas.
Synthèse des courants antiques
Charon s'inspire des courants philosophiques antiques comme l'épicurisme, le stoïcisme, le cynisme et le scepticisme pour élaborer sa sagesse laïque. Il propose une vision de l'homme fondée sur l'immanence, en rejetant les conceptions dualistes de l'âme et du corps.
4. L'homme selon Pierre Charron
Un être anatomique et matériel
Pour Charron, l'homme est avant tout un être anatomique et matériel. Il rejette les conceptions dualistes qui séparent l'âme et le corps et adopte une approche matérialiste de la condition humaine.
Une morale fondée sur la nature
Charron préconise une morale fondée sur la nature humaine, accessible par la raison. Cette morale immanente valorise la connaissance de soi et la recherche de la sérénité, en s'inspirant de l'ataraxie épicurienne.
5. Dieu, la nature et la nécessité
Une vision panthéiste
Charon adopte une conception panthéiste de la divinité, où Dieu est assimilé à la nature et à la nécessité. Il ne s'agit plus d'un Dieu transcendant et anthropomorphique, mais d'une force immanente qui structure le réel.
Le fidéisme et la laïcité
Tout en se déclarant catholique, Charron adhère au fidéisme, une position qui sépare foi et raison. Il défend l'idée que la foi relève du domaine personnel et que la raison doit guider les affaires humaines, anticipant ainsi les principes de la laïcité moderne.
💡 Conclusion
Michel Onfray montre comment Pierre Charron, à travers De la Sagesse, jette les bases d'une morale laïque et immanente, affranchie des dogmes religieux. Sa réflexion sur la nature humaine, la morale et la divinité ouvre la voie à des courants philosophiques matérialistes et rationalistes qui marqueront la modernité.
📚 Philosophes mentionnés
* Socrate (env. 470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, figure fondatrice de la philosophie occidentale.
* Platon (env. 428 av. J.-C. – 348 av. J.-C.) — Philosophe idéaliste grec.
* Diogène de Sinope (env. 412 av. J.-C. – 323 av. J.-C.) — Philosophe cynique.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) — Philosophe grec scolastique.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Fondateur de l’épicurisme.
* Marsile de Padoue (1275 – 1342) — Philosophe politique italien, auteur du Défenseur de la paix.
* Machiavel (1469 – 1527) — Philosophe et homme politique italien, auteur du Prince.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe humaniste et sceptique.
* Pierre Charron (1541 – 1603) — Philosophe sceptique et précurseur de la laïcité.
* René Descartes (1596 – 1650) — Philosophe rationaliste.
* Baruch Spinoza (1632 – 1677) — Philosophe rationaliste et panthéiste.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur de La Naissance de la tragédie.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Introduction
Dans cet épisode, Michel Onfray se consacre à la réhabilitation de Pierre Charron, philosophe souvent éclipsé par Montaigne et victime de nombreuses calomnies. Onfray s'attache à démêler les malentendus qui ont entaché la réputation de Charron et à mettre en lumière la richesse de sa pensée.
2. La mauvaise réputation de Pierre Charron
Les calomnies de François Garasse
Pierre Charron a été la cible d'attaques virulentes, notamment par le jésuite François Garasse qui l'accusa de libertinage et d'athéisme. Ces calomnies ont durablement terni sa réputation, reléguant ses œuvres à l'oubli.
Un philosophe incompris
Charron est souvent réduit à un simple disciple de Montaigne, considéré comme un plagiaire ou un penseur secondaire. Onfray s'attache à démontrer que Charron possède une pensée autonome et originale, qui mérite d'être reconnue.
3. La pensée de Pierre Charron
De la Sagesse : une œuvre majeure
Publié en 1601, De la Sagesse est l'ouvrage principal de Charron. Ce texte propose une morale laïque fondée sur la raison, distincte des dogmes religieux. Charron y défend l'idée que la vertu peut exister indépendamment de la foi.
Le scepticisme méthodique
Charron développe un scepticisme méthodique qui influencera Descartes dans l'élaboration de son doute cartésien. Ce scepticisme vise à suspendre le jugement pour atteindre une connaissance plus certaine.
Laïcité et morale indépendante
Charron propose une séparation entre la morale et la théologie, posant ainsi les bases d'une pensée laïque avant l'heure. Il défend l'idée que l'on peut être vertueux sans croire en Dieu, anticipant les débats sur la laïcité.
4. Les influences et l'héritage de Charron
Les liens avec Montaigne
Bien que souvent perçu comme un disciple de Montaigne, Charron développe ses propres idées. Leur relation fut complexe, oscillant entre admiration et influence mutuelle, sans pour autant qu'il y ait de réelle subordination intellectuelle.
Impact sur les philosophes postérieurs
Charron a marqué de nombreux penseurs, de Descartes à Spinoza, en passant par Pascal. Ses idées sur le doute, la morale et la religion ont nourri les débats philosophiques des XVIIe et XVIIIe siècles.
5. Une philosophie de l'immanence et de la liberté
La liberté par le consentement
Inspiré par les stoïciens et les épicuriens, Charron conçoit la liberté comme un consentement à la nécessité. Cette idée influencera des philosophes comme Spinoza, qui développera cette notion dans son éthique.
La sagesse comme art de vivre
Pour Charron, la philosophie doit guider l'existence vers la sérénité et l'ataraxie, en se libérant des passions tristes et des illusions religieuses. Sa pensée s'inscrit dans la tradition des morales antiques tout en s'ouvrant à une modernité laïque.
💡 Conclusion
Michel Onfray restaure la figure de Pierre Charron en mettant en lumière son apport fondamental à la philosophie moderne. Charron apparaît ainsi comme un précurseur de la laïcité et du scepticisme méthodique, injustement marginalisé par l'histoire officielle.
📚 Philosophes mentionnés
* Socrate (env. 470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, figure fondatrice de la philosophie occidentale.
* Platon (env. 428 av. J.-C. – 348 av. J.-C.) — Philosophe idéaliste grec.
* Diogène de Sinope (env. 412 av. J.-C. – 323 av. J.-C.) — Philosophe cynique.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) — Philosophe grec scolastique.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Fondateur de l’épicurisme.
* Sextus Empiricus (env. 160 – env. 210) — Philosophe sceptique.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe humaniste et sceptique.
* Pierre Charron (1541 – 1603) — Philosophe sceptique et précurseur de la laïcité.
* René Descartes (1596 – 1650) — Philosophe rationaliste.
* Blaise Pascal (1623 – 1662) — Philosophe et mathématicien français.
* Baruch Spinoza (1632 – 1677) — Philosophe rationaliste et panthéiste.
* Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770 – 1831) — Philosophe allemand, auteur de La Phénoménologie de l'Esprit.
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Zijn er afleveringen die ontbreken?
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1. Introduction
Michel Onfray ouvre cette cinquième saison de sa contre histoire de la philosophie en s'attaquant au XVIIe siècle, traditionnellement qualifié de "Grand Siècle". Il propose de déconstruire cette vision académique pour révéler un "autre grand siècle", celui des penseurs marginaux, des libertins baroques et des philosophies oubliées.
2. La construction idéologique du "Grand Siècle"
L'historiographie dominante
Onfray critique la manière dont l'histoire du XVIIe siècle a été façonnée, notamment par Voltaire avec son Siècle de Louis XIV. Ce récit met en avant une image monarchiste et catholique du siècle, valorisant Descartes comme figure emblématique de la philosophie française, tout en occultant des penseurs alternatifs.
La fiction d'un siècle unifié
Voltaire aurait ainsi inventé un "grand siècle" autour de figures classiques comme Descartes, Corneille, Racine ou La Fontaine, au détriment de penseurs matérialistes, libertins ou baroques comme Gassendi ou Spinoza. Cette construction aurait servi à magnifier Louis XIV tout en critiquant implicitement Louis XV.
3. Le baroque et les libertins érudits
Définir le libertinage baroque
Onfray se penche sur la notion de "libertin érudit", popularisée par René Pintard. Il distingue ce libertinage intellectuel du simple libertinage des mœurs. Les libertins baroques sont des penseurs qui s'affranchissent des dogmes religieux et prônent une pensée libre, souvent matérialiste et hédoniste.
Le baroque comme philosophie
Il propose de voir dans le baroque non seulement un style artistique, mais aussi une philosophie. Le baroque, avec ses excès, ses contrastes et ses jeux d'ombre et de lumière, incarne une pensée dynamique, opposée à l'ordre apollinien classique. Nietzsche, dans La naissance de la tragédie, sert ici de guide pour opposer l'apollinien et le dionysiaque, deux forces présentes dans le XVIIe siècle.
4. Les penseurs oubliés du XVIIe siècle
Pierre Charron
Auteur de De la Sagesse (1601), Charron est souvent réduit à un simple disciple de Montaigne. Onfray réhabilite son œuvre en soulignant son apport à la pensée laïque et son approche sceptique.
Pierre Gassendi
Philosophe épicurien et chrétien, Gassendi s'oppose à Descartes et défend un matérialisme atomiste. Onfray le présente comme une figure majeure occultée par l'historiographie classique.
François La Mothe Le Vayer
Philosophe sceptique et libertin, La Mothe Le Vayer critique les dogmes religieux et valorise la diversité des cultures, notamment à travers l'étude des mœurs des peuples dits "primitifs".
Savinien de Cyrano de Bergerac
Au-delà du personnage littéraire, Cyrano est aussi un philosophe novateur, précurseur de la science-fiction avec ses États et Empires de la Lune. Onfray souligne son usage de l'anamorphose et du jeu entre réel et imaginaire.
Spinoza et Hobbes
Deux figures majeures ignorées par Voltaire. Spinoza, avec son matérialisme radical et son éthique géométrique, et Hobbes, penseur du politique comme mécanique immanente, sont réhabilités comme piliers de la philosophie moderne.
5. Vers une philosophie baroque
L'épicurisme contre l'aristotélisme
Onfray met en lumière la résurgence de l'épicurisme à travers des penseurs comme Gassendi, en opposition à l'aristotélisme scolastique dominant.
La pensée du clair-obscur
Le baroque, en philosophie comme en art, est marqué par le clair-obscur, cette tension entre ombre et lumière, qui reflète la complexité et la vitalité du réel.
Une philosophie de l'immanence
Les libertins baroques s'intéressent davantage à la vie ici-bas qu'aux spéculations célestes. Leur pensée est hédoniste, matérialiste et sceptique, refusant les dogmes imposés.
💡 Conclusion
Michel Onfray invite à redécouvrir un XVIIe siècle oublié, où les libertins baroques proposent une philosophie dynamique, libre et subversive. Ce siècle, souvent réduit à Descartes et au classicisme, est en réalité traversé par des courants philosophiques riches et variés, qui méritent d'être réhabilités.
📚 Philosophes mentionnés
* Leucippe (5e siècle av. J.-C.) — Philosophe atomiste présocratique.
* Démocrite (env. 460 av. J.-C. – env. 370 av. J.-C.) — Philosophe atomiste.
* Platon (env. 428 av. J.-C. – 348 av. J.-C.) — Philosophe idéaliste grec.
* Diogène de Sinope (env. 412 av. J.-C. – 323 av. J.-C.) — Philosophe cynique.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) — Philosophe grec scolastique.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Fondateur de l’épicurisme.
* Diogène de Smyrne (2e siècle) — Philosophe épicurien.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste et philosophe italien.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste et théologien chrétien.
* Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe humaniste et sceptique.
* Pierre Charron (1541 – 1603) — Philosophe sceptique.
* François La Mothe Le Vayer (1588 – 1672) — Philosophe sceptique.
* Thomas Hobbes (1588 – 1679) — Philosophe politique matérialiste.
* Pierre Gassendi (1592 – 1655) — Philosophe épicurien et matérialiste.
* René Descartes (1596 – 1650) — Philosophe rationaliste.
* Cyrano de Bergerac (1619 – 1655) — Écrivain et philosophe libertin.
* Baruch Spinoza (1632 – 1677) — Philosophe rationaliste et panthéiste.
* Voltaire (1694 – 1778) — Ecrivain et philosophe français emblématique du siècle des Lumières.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur de La Naissance de la tragédie.
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1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray explore comment Montaigne, après sa mort, a été réinterprété par les penseurs libertins français. En analysant l’évolution de sa réception et le rôle central de Marie de Gournay dans la transmission des Essais, Onfray démontre comment Montaigne est devenu une figure ambiguë : à la fois chrétien déclaré et inspirateur des courants matérialistes, sceptiques et libertins du XVIIe siècle.
2. Montaigne : une œuvre ouverte aux interprétations multiples
La théorie du prélèvementOnfray souligne que les Essais de Montaigne sont une œuvre foisonnante, permettant une grande variété d’interprétations :
* Un texte « à ciel ouvert » : Les Essais peuvent être "prélèvés", c’est-à-dire que chacun peut y puiser les idées qui l’arrangent, même en les sortant de leur contexte.
* Montaigne aux multiples visages : Selon les époques et les lecteurs, Montaigne a été interprété comme catholique, athée, matérialiste, idéaliste, conservateur ou progressiste.
Le rôle de Marie de GournayMarie de Gournay joue un rôle central dans la diffusion et l’interprétation des Essais :
* Fille d’alliance : Elle fut la protégée et collaboratrice de Montaigne, et certains suggèrent qu’ils ont eu une relation amoureuse.
* Travail éditorial : Elle a édité et enrichi les Essais après la mort de Montaigne, tout en préservant l’intégrité de l’œuvre.
* Victime de préjugés : Longtemps dénigrée par les historiens, Marie de Gournay a été réhabilitée par les études féministes modernes, mettant en lumière son rôle de philosophe et éditrice indépendante.
3. La postérité libertine de Montaigne
Montaigne mis à l’IndexEn 1626, les Essais de Montaigne sont mis à l’Index par l’Église catholique :
* Œuvre subversive : Bien que Montaigne affirme sa foi catholique, l’Église craint son scepticisme, son relativisme et ses critiques des dogmes religieux.
* Un « chrétien épicurien » : Montaigne est vu comme un chrétien hédoniste, prônant la modération et le plaisir tout en contestant les dogmes stricts.
Le libertinage éruditLes libertins érudits du XVIIe siècle trouvent en Montaigne une figure fondatrice :
* Scepticisme méthodique : Montaigne inspire les libertins par son doute constant et sa remise en question des certitudes.
* Critique de la religion : Les libertins utilisent des extraits des Essais pour critiquer la foi aveugle et promouvoir une morale laïque et matérialiste.
* Figures influencées : Des penseurs comme Théophile de Viau et François de La Mothe Le Vayer reprennent les idées montaigniennes pour nourrir leur réflexion critique sur la religion et la société.
4. Marie de Gournay : une figure féministe et libertine
Une philosophe oubliéeMarie de Gournay est longtemps restée dans l’ombre de Montaigne, mais Onfray insiste sur son importance :
* Féministe avant l’heure : Elle défend l’égalité entre les sexes dans ses ouvrages Égalité des hommes et des femmes et Grief des dames.
* Pensée indépendante : Malgré les critiques misogynes de son époque, elle développe une pensée originale sur l’éducation, la politique et la condition féminine.
* Vie libre et autonome : Célibataire, hédoniste et indépendante financièrement, elle incarne une figure de femme libre dans une société dominée par les hommes.
Le lien avec les libertinsMarie de Gournay fréquente des cercles libertins et contribue à la diffusion de leurs idées :
* Le cénacle libertin : Elle côtoie des penseurs critiques du pouvoir religieux et politique, tout en conservant ses propres convictions chrétiennes.
* Ambiguïté religieuse : Bien qu’elle défende la foi catholique, ses idées sur l’égalité, la liberté et l’éducation des femmes s’inscrivent dans les débats libertins.
5. Le double visage de Montaigne : chrétien et libertin
Un auteur aux interprétations multiplesOnfray insiste sur la richesse des Essais, qui permettent des lectures contradictoires :
* Sur la religion : Montaigne se proclame catholique mais critique les institutions religieuses et les dogmes.
* Sur la politique : Il est à la fois conservateur et progressiste selon les extraits choisis.
* Sur les femmes : Certains passages des Essais sont misogynes, d’autres défendent l’égalité entre hommes et femmes.
La méthode libertineLes libertins exploitent les ambiguïtés des Essais pour justifier leurs positions :
* Prélèvements ciblés : Ils sélectionnent des passages critiques envers la religion ou la morale pour défendre leur scepticisme et leur hédonisme.
* Réinterprétation : Les libertins relisent Montaigne à la lumière de leurs propres convictions, créant un "Montaigne libertin" qui n’existe peut-être pas dans l’œuvre originale.
💡 Conclusion
Michel Onfray montre comment Montaigne, tout en se déclarant catholique, a ouvert la voie aux courants sceptiques et libertins du XVIIe siècle. Grâce au travail éditorial de Marie de Gournay, les Essais deviennent un terrain fertile pour les penseurs critiques du pouvoir religieux et politique. Cette ambiguïté fait de Montaigne une figure complexe, capable d’inspirer aussi bien les croyants que les libres-penseurs.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Socrate (470 – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, figure fondatrice de la philosophie occidentale et du doute méthodique.
* Platon (428/427 – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Phédon sur l’immortalité de l’âme.
* Épicure (341 – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.
* Lucrèce (98 – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.
* Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais.
* Marie de Gournay (1565 – 1645) — Philosophe et féministe française, éditrice des Essais et auteure de Égalité des hommes et des femmes.
* François de La Mothe Le Vayer (1588 – 1672) — Philosophe sceptique et libertin érudit.
* Théophile de Viau (1590 – 1626) — Poète et dramaturge libertin français.
* Pierre Hadot (1922 – 2010) — Philosophe français, théoricien des "exercices spirituels" antiques.
* Michel Foucault (1926 – 1984) — Philosophe français, auteur du Souci de soi et théoricien des pratiques spirituelles.
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1. Introduction
Michel Onfray explore dans cette conférence l'idée des "deux corps" de Montaigne, empruntée à Ernst Kantorowicz et sa théorie des deux corps du roi (le corps physique et le corps politique). Onfray applique ce concept à Montaigne pour illustrer la distinction entre le corps physique du philosophe, soumis aux aléas de la vie et de la mort, et son corps philosophique, incarné par son œuvre, qui survit à la disparition du corps matériel.
2. La mort de Montaigne : entre réalité et symbolisme
Une mort inattendue et paisibleMontaigne meurt le 13 septembre 1592 non pas des douleurs chroniques dues à ses coliques néphrétiques, mais d'une "esquinancie", une angine diphtérique qui l'étouffe progressivement.
* Sérénité face à la mort : Montaigne meurt entouré de ses amis, dans une atmosphère paisible, en demandant l'extrême-onction et en assistant à l'élévation de l'hostie avant de rendre son dernier souffle.
* Philosopher, c'est apprendre à mourir : La manière dont Montaigne aborde sa mort incarne sa philosophie. Fidèle à sa maxime "Philosopher, c’est apprendre à mourir", il meurt sereinement, sans peur ni agitation.
Le corps mortel et ses pérégrinations posthumesAprès sa mort, le corps de Montaigne connaît plusieurs péripéties :
* Le cœur est séparé du corps : Le cœur est placé dans la chapelle Saint-Michel, tandis que le corps repose dans l’église des Feuillants à Bordeaux.
* Pérégrinations du corps : Le cercueil subit plusieurs déplacements, passant par le musée de l'Académie de Bordeaux, un incendie endommageant le sarcophage, et enfin sa réinstallation au musée d'Aquitaine.
* Un sarcophage devenu symbole : Le sarcophage devient même une boîte aux lettres pour la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, illustrant l'ironie du destin du "corps réel" de Montaigne.
3. Le corps philosophique : une œuvre immortelle
Les Essais : un autoportrait éternelMontaigne laisse derrière lui un "corps philosophique", constitué de ses Essais, qui témoignent de sa pensée et lui confèrent une forme d'immortalité :
* Un autoportrait en mouvement : Les Essais sont une œuvre vivante et évolutive, constamment enrichie par Montaigne jusqu’à sa mort.
* La survie de la pensée : Ce "corps philosophique" survit bien au-delà du corps physique, continuant d’influencer des générations de penseurs.
Marie de Gournay : la gardienne du texteAprès la mort de Montaigne, c’est Marie de Gournay, sa "fille d’alliance", qui prend en charge la préservation et la diffusion des Essais :
* Édition posthume : Elle veille à l'édition et à la publication des Essais, assurant leur transmission.
* Travail d’édition : Elle opère des choix éditoriaux, supprime ou ajoute des passages, ce qui suscite des débats sur la fidélité au texte original.
4. Les deux lectures de Montaigne : officiel et libertin
Montaigne officiel : le philosophe consensuelOnfray distingue un Montaigne "officiel", celui des institutions, souvent réduit à une image consensuelle :
* Humaniste tolérant : Ce Montaigne est présenté comme un humaniste équilibré, promoteur de la modération et de la sagesse.
* Lectures académiques : C’est le Montaigne enseigné dans les écoles, souvent édulcoré et dépolitisé.
Montaigne libertin : le philosophe subversifMais Onfray met également en lumière un "Montaigne libertin", plus radical et subversif :
* Scepticisme et relativisme : Ce Montaigne critique les dogmes religieux et philosophiques, prônant un scepticisme méthodique.
* Épicurisme caché : Il dissimule des idées épicuriennes, notamment sur le plaisir, la nature et la mort, sous un vernis chrétien pour éviter la censure.
* Influence sur les libertins : Ce Montaigne inspire les libertins érudits du XVIIe siècle, qui s’approprient ses idées les plus audacieuses.
5. La postérité de Montaigne : entre influences et malentendus
Les penseurs influencés par MontaigneMontaigne a marqué la philosophie européenne, influençant des figures majeures :
* Shakespeare : Certains passages de La Tempête semblent directement inspirés des Essais, notamment du chapitre Des cannibales.
* Philosophes anglais : Locke et Hume sont influencés par l'empirisme et le scepticisme de Montaigne, intégrant ses idées sur la connaissance issue des sens.
* Kant : Bien que très éloigné du style montanien, Kant admire Montaigne pour sa capacité à observer le "moi" et s’en inspire dans son Anthropologie du point de vue pragmatique.
Les critiques : Descartes et PascalMontaigne a également été la cible de critiques acerbes :
* Descartes : Bien qu’influencé par Montaigne, Descartes s’oppose à son scepticisme, en développant le cogito comme fondement indubitable du savoir.
* Pascal : Il reproche à Montaigne son scepticisme et son relativisme moral, le qualifiant de philosophe frivole qui évite les vérités transcendantes.
💡 Conclusion
Michel Onfray propose une lecture nuancée de Montaigne à travers le prisme des "deux corps" :
* Le corps mortel : Celui qui meurt le 13 septembre 1592, mais dont les restes ont connu des péripéties posthumes dignes d'un roman.
* Le corps philosophique : Celui des Essais, qui continue d’inspirer et de susciter débats et réflexions des siècles après sa mort.
Montaigne est ainsi "mort et vivant", à la fois enseveli et perpétué dans son œuvre. Il incarne le philosophe dont le "corps philosophique" transcende la mort biologique, permettant à sa pensée de traverser les siècles.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, modèle du sage acceptant sereinement la mort.
* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Phédon, dialogue sur l’immortalité de l’âme.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et l'absence de crainte face à la mort.
* Lucrèce (98 av. J.-C. – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.
* Lucien de Samosate (125 – 192) — Écrivain satirique grec, célèbre pour ses dialogues critiques des dogmes.
* Giordano Bruno (1548 – 1600) — Philosophe italien, défenseur du panthéisme, brûlé par l’Inquisition.
* René Descartes (1596 – 1650) — Philosophe rationaliste français, auteur du Discours de la méthode.
* Blaise Pascal (1623 – 1662) — Mathématicien et philosophe français, auteur des Pensées et du pari sur l’existence de Dieu.
* John Locke (1632 – 1704) — Philosophe empiriste anglais, auteur de L’Essai sur l’entendement humain.
* David Hume (1711 – 1776) — Philosophe écossais, figure majeure de l’empirisme et du scepticisme.
* Emmanuel Kant (1724 – 1804) — Philosophe allemand, auteur de Critique de la raison pure et Anthropologie du point de vue pragmatique.
* Ernst Kantorowicz (1895 – 1963) — Historien allemand, auteur de Les Deux Corps du roi, concept appliqué ici à Montaigne.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray explore les trois exercices spirituels proposés par Montaigne dans les Essais : l’amitié, l’usage des femmes et l’usage des livres. S'inspirant du concept d’"exercices spirituels" développé par Pierre Hadot et repris par Michel Foucault, Onfray souligne que Montaigne ne se limite pas à théoriser la philosophie mais cherche à l'incarner dans sa vie quotidienne. Ces trois pratiques permettent à Montaigne de cultiver une sagesse hédoniste et tragique, où la quête du plaisir est tempérée par une conscience aiguë de la finitude humaine.
2. L’amitié : un mythe antique revisité
La relation entre Montaigne et La BoétieL'amitié entre Montaigne et Étienne de La Boétie est l'un des mythes fondateurs des Essais. Montaigne la célèbre comme une amitié idéale et parfaite, comparable aux modèles antiques d’Oreste et Pylade. Cependant, Onfray nuance cette image :
* Un mythe construit : Montaigne aurait idéalisé cette relation, la sublimant après la mort précoce de La Boétie.
* Des tensions et des silences : Montaigne passe sous silence certains aspects problématiques, comme son refus d'intégrer le Discours de la servitude volontaire de La Boétie dans les Essais, probablement pour des raisons politiques.
* La raison d’État contre l’amitié : Montaigne privilégie la prudence politique à la loyauté amicale, refusant de publier un texte jugé subversif dans un contexte de guerres de religion.
La philosophie antique de l’amitiéMontaigne puise dans la tradition antique pour penser l’amitié :
* Platon (Lysis) : Idée d’une amitié idéale et spirituelle.
* Épicure : L’amitié comme un bien suprême procurant la sécurité et le plaisir.
* Cicéron (Lælius) : L’amitié vertueuse fondée sur la bienveillance réciproque.
* Sénèque : La véritable amitié ne doit pas être intéressée.
Montaigne adopte ces perspectives tout en soulignant l’exceptionnalité de son amitié avec La Boétie par la célèbre formule : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi ».
3. L’usage des femmes : entre hédonisme et misogynie
La complexité du rapport de Montaigne aux femmesOnfray analyse la vision ambivalente de Montaigne sur les femmes :
* Un regard misogyne : Montaigne reprend des stéréotypes de son époque, décrivant les femmes comme vaniteuses, naïves et insatiables.
* Un féminisme naissant : Malgré ces préjugés, Montaigne défend l’idée que les inégalités entre les sexes ne sont pas naturelles mais sociales, issues de l’éducation et des conventions. Il écrit : « Les mâles et les femelles sont jetés au même moule, sauf l’institution et l’usage ».
L’hédonisme sexuel et la liberté des femmesMontaigne adopte une approche épicurienne du plaisir sexuel :
* Droit au plaisir pour les femmes : Il affirme que les femmes, comme les hommes, ont droit au plaisir et critique les normes morales qui le leur refusent.
* La critique du mariage d’amour : Montaigne considère que le mariage est un contrat social et non une affaire de passion. L’amour véritable est trop instable pour constituer la base solide d’un mariage.
* L’éloge du couple ataraxique : Inspiré de Lucrèce, Montaigne prône un couple équilibré, fondé sur la complicité et la modération des passions.
La relation avec Marie de GournayOnfray évoque également la relation ambigüe entre Montaigne et Marie de Gournay, qu’il désignait comme sa « fille d’alliance ». Bien que certains aient spéculé sur une possible relation amoureuse, Montaigne semble surtout avoir vu en elle une héritière spirituelle, à qui il confia l'édition posthume des Essais.
4. L’usage des livres : entre lecture et écriture
Le rapport hédoniste à la lecturePour Montaigne, les livres sont une source essentielle de plaisir et de connaissance :
* Lecture sélective : Montaigne lit selon ses envies, préférant les auteurs antiques comme Plutarque, Lucrèce et Sénèque. Il avoue qu’après 40 ans, il ne lit plus un livre en entier, mais picore des passages qui l’inspirent.
* La lecture comme conversation : Il conçoit la lecture comme un dialogue avec les auteurs, une manière de "frotter sa cervelle" à celle des grands hommes.
L’écriture des Essais comme exercice spirituelL’acte d’écrire est pour Montaigne une pratique introspective et libératrice :
* Le fagotage des Essais : Il décrit son travail d’écriture comme un « fagotage » de pensées, un assemblage hétéroclite sans plan préétabli.
* L’écriture pour se connaître : Fidèle au précepte socratique « Connais-toi toi-même », Montaigne utilise les Essais pour se peindre et s’explorer, tout en s’interrogeant sur la nature humaine.
* Un autoportrait inachevé : Les Essais restent une œuvre ouverte, constamment enrichie et corrigée, jusqu’à la mort de Montaigne.
5. Les exercices spirituels : entre théorie et pratique
La philosophie comme mode de vieOnfray rappelle que pour Montaigne, la philosophie n’est pas qu’un discours théorique mais un art de vivre, en continuité avec la tradition antique :
* Pierre Hadot : Les exercices spirituels sont des pratiques visant à transformer l’individu.
* Michel Foucault : Le « souci de soi » est central dans la philosophie antique, où il s’agit d’être en accord avec soi-même à travers des exercices de maîtrise et de réflexion.
Les trois commerces : amitié, femmes et livresCes trois domaines sont les terrains où Montaigne exerce sa philosophie au quotidien :
* L’amitié : Un espace d’harmonie et d’élévation spirituelle.
* Les femmes : Un terrain d’expérimentation des plaisirs et des affects.
* Les livres : Un dialogue constant avec les grandes pensées, permettant la construction de soi.
💡 Conclusion
Michel Onfray met en lumière l’approche incarnée de la philosophie chez Montaigne, où la théorie se prolonge dans la pratique quotidienne à travers des exercices spirituels. En explorant l’amitié, l’usage des femmes et l’usage des livres, Montaigne élabore une sagesse hédoniste et tragique, où la quête du plaisir se conjugue avec la conscience de la mort et la recherche de la sérénité. Sa philosophie reste profondément actuelle, invitant à vivre pleinement tout en cultivant la liberté intérieure et la connaissance de soi.
📚 Philosophes mentionnés
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, figure fondatrice de la philosophie occidentale, maître du "Connais-toi toi-même".
* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Lysis, dialogue sur l’amitié.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur de l’Éthique à Nicomaque, abordant les différentes formes d’amitié.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.
* Cicéron (106 av. J.-C. – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, auteur du Lælius, dialogue sur l’amitié.
* Lucrèce (98 av. J.-C. – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.
* Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, auteur des Lettres à Lucilius, réflexions sur l’éthique et l’amitié.
* Étienne de La Boétie (1530 – 1563) — Philosophe et ami de Montaigne, auteur du Discours de la servitude volontaire.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur du concept d’« éternel retour » et défenseur d’une sagesse tragique.
* Pierre Hadot (1922 – 2010) — Philosophe français, théoricien des "exercices spirituels" dans la philosophie antique.
* Michel Foucault (1926 – 1984) — Philosophe français, auteur du Souci de soi, étude des pratiques philosophiques antiques.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray explore la philosophie de Montaigne sous l'angle de la sagesse tragique. Il met en lumière comment Montaigne, à travers les Essais, développe une réflexion hédoniste marquée par une conscience aiguë de la mort. Loin de tout optimisme naïf ou pessimisme désespéré, Montaigne adopte une posture tragique, acceptant la finitude humaine tout en valorisant le plaisir et la sérénité dans l’existence.
2. Montaigne et l'hédonisme tragique
L’accident fondateur et la révélation de la mortUn événement central dans la vie de Montaigne est l'accident de cheval qu'il décrit dans les Essais. Ce moment, où il frôle la mort, agit comme une révélation :
* Il prend conscience de l’omniprésence de la mort dans la vie.
* Loin de craindre la mort, il découvre une forme de paix et de plaisir dans cet abandon à l'inéluctable.
Philosopher, c’est apprendre à mourirMontaigne reprend cette maxime de Cicéron pour souligner que la philosophie doit nous préparer à la mort. Cependant, pour Montaigne :
* Apprendre à mourir, c’est avant tout apprendre à vivre pleinement.
* La mort n’est pas un mal à fuir, mais une composante naturelle de la vie.
3. Une vision tragique et lucide de l’existence
L’acceptation de la finitudeMontaigne adopte une posture tragique :
* Il accepte la mort comme une réalité inévitable et omniprésente.
* Il refuse les illusions religieuses de l’au-delà et se concentre sur la vie présente.
La mort fait partie de la vieMontaigne perçoit la mort non pas comme une rupture, mais comme une continuité :
* Vie et mort sont les deux faces d’une même médaille.
* Cette conscience aiguë de la mort donne plus de valeur et de saveur à la vie.
Ni optimisme, ni pessimisme : la voie tragiqueMontaigne ne verse ni dans l’optimisme naïf ni dans le pessimisme désespéré :
* L’optimiste voit toujours le meilleur dans le réel.
* Le pessimiste anticipe toujours le pire.
* Le tragique, comme Montaigne, accepte le réel tel qu’il est, avec ses joies et ses souffrances.
4. La sagesse hédoniste de Montaigne
Le plaisir comme souverain bienMontaigne s’inscrit dans la tradition épicurienne :
* Le plaisir est le but de l’existence, mais il s’agit d’un plaisir mesuré et réfléchi.
* Il prône un hédonisme lucide, qui prend en compte la souffrance et la mort.
L’ataraxie : la sérénité face à la mortMontaigne cherche à atteindre l’ataraxie, la tranquillité de l’âme :
* Il faut apprivoiser la mort pour vivre pleinement.
* La sagesse consiste à vivre « à propos », en harmonie avec soi-même et le monde.
La critique du dolorisme chrétienMontaigne s’oppose à la valorisation chrétienne de la souffrance :
* Il rejette l’idée que la douleur ait une valeur rédemptrice.
* Pour lui, le bonheur et le plaisir sont des buts légitimes et naturels.
5. Techniques pour apprivoiser la mort
Changer sa représentation de la mortMontaigne, influencé par le stoïcisme et l’épicurisme, recommande de travailler sur nos représentations :
* La mort n’est pas un mal en soi, mais c’est la peur de la mort qui est nuisible.
* Il faut considérer la mort comme un simple retour au néant, identique à l’état avant notre naissance.
Le moment de la mort comme apogée de la vieMontaigne pense que le dernier instant de la vie donne du sens à toute l’existence :
* Il faut mourir comme on a vécu, en cohérence avec ses valeurs et sa vision du monde.
* Une « bonne mort » est celle qui clôt une vie vécue pleinement et sereinement.
Vivre dans le présentL’une des clés de la sagesse tragique est l’ancrage dans le présent :
* Il faut cesser de vivre dans l’angoisse du futur ou les regrets du passé.
* Le moment présent est le seul espace où l’on peut véritablement exister et jouir de la vie.
6. Une philosophie de la liberté et de la sérénité
Éviter les souffrances inutilesMontaigne conseille d’éviter tout ce qui nuit à notre sérénité intérieure :
* Se préserver des passions destructrices, des responsabilités lourdes, et des attachements excessifs.
* Favoriser la simplicité, l’amitié sincère et les plaisirs modérés.
L’éloge de la nature et des animauxMontaigne voit dans les animaux et les peuples dits « sauvages » des modèles de sagesse naturelle :
* Ils vivent en harmonie avec leurs instincts sans les complexités inutiles des hommes civilisés.
* Il admire leur capacité à vivre l’instant présent sans crainte de la mort.
La culture comme moyen de retrouver la natureParadoxalement, Montaigne pense que la culture et la philosophie peuvent aider à retrouver une forme de sagesse naturelle :
* Il faut utiliser la culture non pour s’éloigner de la nature, mais pour mieux y revenir.
* Son idéal est un retour à une simplicité originelle, débarrassée des artifices sociaux et religieux.
💡 Conclusion
Michel Onfray présente Montaigne comme un philosophe de la sagesse tragique, alliant une profonde conscience de la mort à une quête hédoniste du plaisir. Pour Montaigne, la reconnaissance de notre finitude n’est pas un obstacle au bonheur, mais au contraire, ce qui donne toute sa valeur à la vie. En apprenant à mourir, on apprend surtout à vivre pleinement, dans la sérénité et la liberté intérieure. Cette sagesse tragique, loin d’être sombre ou désespérée, est une célébration joyeuse de l’existence humaine dans toute sa complexité.
📚 Philosophes mentionnés
* Héraclite (vers 544 av. J.-C. – vers 480 av. J.-C.) — Philosophe grec du changement perpétuel, célèbre pour la maxime « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ».
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, maître du dialogue et du doute méthodique.
* Platon (428/427 – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, défenseur du dualisme âme-corps.
* Diogène de Sinope (vers 412 av. J.-C. – vers 323 av. J.-C.) — Philosophe cynique, adepte de la vie simple et du rejet des conventions sociales.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.
* Cicéron (106 av. J.-C. – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, auteur de Tusculanes, d’où est tirée la maxime « Philosopher, c’est apprendre à mourir ».
* Lucrèce (98 av. J.-C. – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.
* Épictète (vers 50 – vers 135) — Philosophe stoïcien grec, auteur du Manuel.
* Marc Aurèle (121 – 180) — Empereur romain et philosophe stoïcien, auteur des Pensées pour moi-même.
* Saint Augustin (354 – 430) — Philosophe et théologien chrétien, auteur des Confessions.
* Jean-Jacques Rousseau (1712 – 1778) — Philosophe genevois, auteur du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, défenseur du retour à la nature.
* Jeremy Bentham (1748 – 1832) — Philosophe anglais, fondateur de l’utilitarisme, théoricien du calcul des plaisirs et des peines.
* Arthur Schopenhauer (1788 – 1860) — Philosophe allemand, auteur du Monde comme volonté et comme représentation, penseur pessimiste.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur du Gai Savoir, défenseur de la philosophie tragique et critique du christianisme.
* Sigmund Freud (1856 – 1939) — Neurologue autrichien, fondateur de la psychanalyse, théoricien des pulsions de vie (Éros) et de mort (Thanatos).
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray explore comment Montaigne inaugure la conception moderne du corps à travers son approche autobiographique et philosophique dans les Essais. En refusant le dualisme traditionnel entre corps et âme, Montaigne invente une vision unifiée du corps humain, le libérant de l’héritage chrétien et platonicien. Onfray souligne comment cette pensée marque un tournant majeur dans la philosophie occidentale.
2. Montaigne et l’unité du corps et de l’âme
Refus du dualisme platonicien et chrétienMontaigne rejette la séparation classique entre un corps matériel, mortel et pécheur, et une âme immatérielle et immortelle. Contrairement à Platon et au christianisme, il conçoit l’homme comme un tout unifié :
* Un corps unique : Il refuse l’idée d’un corps dévalorisé par la matière et prône une vision où le corps et l’âme ne forment qu’une seule entité.
* Une âme incarnée : Influencé par Lucrèce et l’épicurisme, Montaigne envisage l’âme comme matérielle et inséparable du corps. Il refuse cependant les atomes épicuriens, adoptant une approche plus intuitive que scientifique.
Une conception post-chrétienne du corpsMontaigne propose une vision du corps affranchie des concepts de péché et de rédemption. Le corps n’est plus le lieu du vice et de la faute, mais un espace d’expérience et de connaissance. Cette approche ouvre la voie à une conception moderne et séculière du corps humain.
3. L’accident de cheval : un hapax existentiel
L’événement fondateurUn moment décisif dans la vie de Montaigne est l’accident de cheval de 1568, qu’il décrit dans les Essais. Cet épisode marque ce que Michel Onfray appelle un hapax existentiel :
* Montaigne, projeté violemment au sol, croit mourir et expérimente une quasi-mort consciente.
* Il décrit la douceur inattendue de ce passage vers la mort, une expérience qui le transforme profondément.
* Cet accident lui révèle l’unité fondamentale du corps et de l’âme et l’existence en lui d’une force inconsciente qui le dépasse.
Une révélation du fonctionnement inconscientDurant cet accident, Montaigne prend conscience de phénomènes qui lui échappent :
* Il prononce des mots et accomplit des gestes sans les contrôler.
* Il réalise que le corps peut fonctionner de manière autonome, indépendamment de la volonté consciente, une intuition préfigurant les concepts freudiens d’inconscient et de refoulement.
4. Montaigne et la préfiguration de la psychanalyse
Un inconscient avant FreudOnfray montre comment Montaigne anticipe certains concepts majeurs de la psychanalyse :
* L’inconscient : Montaigne observe des pensées et des gestes qui échappent à la conscience, pressentant l’existence d’un inconscient psychique.
* Le refoulement : Il décrit comment des souvenirs ou des sensations peuvent disparaître puis réapparaître plus tard, évoquant un processus de refoulement.
* La pulsion de mort : Lors de son accident, Montaigne ressent une attirance douce et apaisée vers la mort, préfigurant l’idée freudienne de la pulsion de mort.
La sublimation et la psychanalyse avant l’heureMontaigne développe également l’idée de la sublimation :
* Il considère que les souffrances et les pulsions peuvent être détournées vers des activités créatrices, comme l’écriture des Essais.
* Il valorise la « purgation de l’âme » à travers l’écriture et la réflexion, processus similaire à la catharsis psychanalytique.
5. Le regard critique de Montaigne sur la médecine
Médecine scolastique et médecine pratiqueMontaigne adopte une position critique envers la médecine de son époque :
* Il considère les médecins comme des sophistes, plus habiles à discourir qu’à soigner.
* Il oppose la médecine théorique et verbeuse aux chirurgiens de guerre, qui pratiquent une médecine concrète et matérielle, ancrée dans le corps.
Éloge d’une médecine préventive et matérialisteMontaigne défend l’idée d’une médecine préventive :
* Il valorise la diététique, l’hygiène et le thermalisme pour préserver la santé.
* Il récuse les explications magiques ou religieuses des maladies et privilégie des causes matérielles et naturelles.
6. L’invention du corps moderne
Un corps “déthéologisé” et unifiéAvec Montaigne, le corps devient :
* Un corps immanent : Il n’est plus perçu comme pécheur ou inférieur à l’âme, mais comme un tout cohérent et autonome.
* Un corps psychique : Il intègre les pulsions, les désirs et les émotions, abolissant la frontière entre le corps et l’esprit.
* Un corps subjectif : Montaigne se prend lui-même pour objet d’étude, inaugurant une réflexion sur le moi corporel qui influencera la pensée moderne.
Une subjectivité construite par l’expérienceMontaigne développe une philosophie du corps ancrée dans l’expérience individuelle :
* Il explore ses sensations, ses maladies et ses plaisirs pour mieux se connaître.
* Son projet autobiographique dans les Essais devient un outil d’introspection, où l’examen du corps mène à la connaissance de soi.
💡 Conclusion
Michel Onfray démontre que Montaigne est le véritable inventeur du corps moderne. En rompant avec le dualisme platonicien et chrétien, il conçoit un corps unifié, où matière et psychisme coexistent sans hiérarchie. Montaigne anticipe également de nombreuses notions de la psychanalyse freudienne, révélant la complexité du psychisme et l’existence d’un inconscient. Cette vision novatrice inaugure une nouvelle façon de penser l’homme, libérée des carcans religieux et métaphysiques, et ancrée dans l’immanence du vécu corporel.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du précepte « Connais-toi toi-même ».
* Hippocrate (460 av. J.-C – 370 av. J.-C.) — Médecin grec, père de la médecine occidentale.
* Platon (428/427 av. J.-C – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, défenseur du dualisme âme-corps.
* Épicure (341 av. J.-C – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et le matérialisme atomiste.
* Lucrèce (98 av. J.-C – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.
* Saint Augustin (354 – 430) — Philosophe et théologien chrétien, auteur des Confessions.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais, explorant l’expérience subjective et le corps.
* Étienne de La Boétie (1530 – 1563) — Ami proche de Montaigne, auteur du Discours de la servitude volontaire.
* Ludwig Feuerbach (1804 – 1872) — Philosophe matérialiste allemand, auteur de L’Essence du christianisme, célèbre pour la formule « L’homme est ce qu’il mange ».
* Sigmund Freud (1856 – 1939) — Fondateur de la psychanalyse, théoricien de l’inconscient, du refoulement et des pulsions.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du dualisme platonicien et du christianisme, auteur du concept de l’« éternel retour ».
* Jean-Paul Sartre (1905 – 1980) — Philosophe existentialiste français, auteur de L’Être et le Néant et théoricien de la psychanalyse existentielle.
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1. Introduction
Michel Onfray explore la relation complexe de Montaigne à la religion dans ses Essais, soulignant l’originalité de sa pensée et sa posture critique face au christianisme institutionnel. Montaigne développe une vision personnelle de la foi, marquée par un catholicisme modéré, un scepticisme profond et une quête de liberté intérieure. Cette conférence révèle comment Montaigne conçoit une « religion immanente », ancrée dans l’expérience humaine et dégagée des dogmes transcendants.
2. Montaigne et sa foi : entre catholicisme et scepticisme
Un catholicisme modéré dans un siècle de violence religieuseMontaigne vit au XVIe siècle, marqué par les guerres de religion entre catholiques et protestants. Bien qu'il se revendique catholique, il adopte une posture modérée :
* Catholique pratiquant : Il assiste à la messe, effectue des pèlerinages et meurt en recevant l’extrême-onction.
* Tolérant envers les autres confessions : Il refuse l’intolérance religieuse et critique les violences des guerres de religion, prônant une coexistence pacifique.
* Sceptique sur les dogmes : Montaigne remet en question les vérités absolues de l’Église tout en maintenant une foi personnelle, refusant de trancher sur l'existence de Dieu.
Critique du fidéisme et de l’athéismeMontaigne adopte une position originale face à la foi :
* Rejet du fidéisme strict : Bien qu’il reconnaisse la foi comme une nécessité, il critique l’idée que la croyance en Dieu doive être aveugle et sans raison.
* Opposition à l’athéisme : Il s’oppose fermement aux athées qu’il qualifie d’« athéistes », tout en admettant que ses doutes pourraient être perçus comme une porte ouverte vers l’athéisme.
3. La religion immanente : une foi ancrée dans l’humain
Un Dieu intérieur plutôt que transcendantMontaigne développe une vision immanente de la religion :
* Dieu comme présence intérieure : Plutôt qu’un Dieu lointain et transcendant, il privilégie l’idée d’un divin présent en chacun, accessible par l’introspection et l’expérience personnelle.
* Critique de la théologie dogmatique : Montaigne se méfie des discours trop conceptuels sur Dieu, préférant une approche basée sur la simplicité et la modestie.
Une morale sans dogmeMontaigne promeut une éthique fondée sur la bonté naturelle de l’homme, indépendamment des doctrines religieuses :
* Justesse et charité : Pour lui, être chrétien, c’est avant tout être juste, charitable et bon, plus que suivre des rituels ou des dogmes.
* Relativisme religieux : Il souligne que les religions sont des constructions humaines, variables selon les cultures et les époques, et que la vérité spirituelle ne peut être monopolisée par une confession unique.
4. Montaigne face aux institutions religieuses
Critique implicite de l’ÉgliseBien qu’il reste catholique, Montaigne critique subtilement l’Église institutionnelle :
* Anticléricalisme modéré : Il dénonce les abus de l’Église sans toutefois la rejeter frontalement.
* Refus des dogmes rigides : Il critique la prétention de l’Église à détenir la vérité absolue, prônant une foi plus personnelle et libre.
La censure ecclésiastique et la diplomatie de MontaigneLors de son voyage à Rome, Montaigne soumet ses Essais au pape Grégoire XIII pour obtenir son approbation :
* Modifications demandées : L’Église demande à Montaigne de remplacer le mot « fortune » par « Dieu » et de supprimer certains passages jugés problématiques.
* Refus subtil : Montaigne ne modifie pas son texte, préférant préserver sa liberté d’expression tout en conservant des relations diplomatiques avec l’Église.
5. L’héritage philosophique de Montaigne : entre épicurisme et christianisme
Un épicurisme chrétienMontaigne s’inscrit dans la lignée du christianisme épicurien, cherchant à concilier foi et plaisir modéré :
* Joie de vivre et spiritualité : Il valorise le bonheur simple et naturel tout en conservant une foi sincère.
* Rejet du dolorisme : Contrairement à la tradition chrétienne doloriste, il refuse de voir la souffrance comme un moyen de se rapprocher de Dieu.
Précurseur de la pensée laïqueMontaigne ouvre la voie à une vision laïque de la foi :
* Séparation entre foi et institution : Il affirme la possibilité d’une foi intime, indépendante des dogmes religieux.
* Tolérance et pluralisme : Il défend la liberté de conscience et la coexistence pacifique entre les différentes confessions religieuses.
💡 Conclusion
Michel Onfray présente Montaigne comme un penseur complexe, oscillant entre foi catholique et scepticisme critique. Sa « religion immanente » témoigne d’une quête de liberté spirituelle, déliée des dogmes et ancrée dans l’expérience humaine. En valorisant la bonté naturelle, la tolérance et la liberté intérieure, Montaigne ouvre la voie à une pensée laïque et humaniste, où la religion devient une affaire personnelle et intime, plutôt qu’une institution coercitive.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Protagoras (vers 490 – vers 420 av. J.-C.) — Philosophe sophiste grec, auteur de la maxime « L’homme est la mesure de toute chose ».
* Platon (428/427 – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du dualisme entre le monde des idées et le monde sensible.
* Épicure (341 – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.
* Lucrèce (vers 98 – vers 55 av. J.-C.) — Philosophe et poète romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme.
* Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, auteur des Lettres à Lucilius.
* Julien l’Apostat (331 – 363) — Empereur romain ayant tenté de restaurer les cultes païens face au christianisme.
* Érasme de Rotterdam (1467 – 1536) — Humaniste et théologien chrétien, auteur de L’Éloge de la folie.
* Martin Luther (1483 – 1546) — Réformateur protestant allemand, initiateur de la Réforme.
* Jean Calvin (1509 – 1564) — Réformateur protestant français, auteur de L'Institution de la religion chrétienne.
* Michel de Montaigne (1533–1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais.
* Giordano Bruno (1548 – 1600) — Philosophe italien, défenseur de l’héliocentrisme et du panthéisme, brûlé par l’Inquisition.
* Blaise Pascal (1623 – 1662) — Mathématicien et philosophe français, auteur des Pensées et du pari de Pascal.
* Voltaire (1694 – 1778) — Philosophe des Lumières, défenseur de la tolérance religieuse et critique de l’intolérance cléricale.
* Ludwig Feuerbach (1804 – 1872) — Philosophe allemand, auteur de L'Essence du christianisme, critique de la religion.
* Léo Strauss (1899 – 1973) — Philosophe politique germano-américain, théoricien de la lecture ésotérique des textes philosophiques.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray analyse la méthode de Michel de Montaigne pour aborder les philosophes antiques et modernes. En utilisant le terme « pilloter », issu de l’apiculture, Onfray décrit comment Montaigne butine dans les œuvres des Anciens pour en extraire le miel, c’est-à-dire les idées qu’il trouve utiles et stimulantes. Cette approche sélective et libre s’inscrit dans la tradition humaniste et marque l’originalité des Essais.
2. Le rapport de Montaigne à l’Antiquité
Un amour précoce pour la culture antiqueMontaigne développe très tôt une fascination pour l’Antiquité. Élevé en latin dès son plus jeune âge, il considère cette langue morte comme sa langue maternelle. Cette immersion influence sa vision du monde et son rapport aux textes antiques, qu’il lit dans leur langue originale ou en traduction.
La bibliothèque de Montaigne : un trésor antique et contemporainSa bibliothèque, riche d’environ 1000 volumes, comprend :
* Auteurs antiques : Platon, Aristote, Sénèque, Épicure, Lucrèce, Diogène Laërce, etc.
* Auteurs contemporains : Machiavel, Luther, Dante, Pétrarque, ainsi que des récits de voyage relatant la découverte des Amériques.
* Poètes et humanistes : Marot, Du Bellay, et des philosophes comme Érasme.
Montaigne grave aussi 57 sentences dans sa bibliothèque, dont 56 issues de l’Antiquité gréco-latine et une seule contemporaine, de Michel de L’Hospital.
3. La méthode du « pillotage »
Butiner sans suivre un système rigideMontaigne refuse de s’enfermer dans un système philosophique unique. Il puise dans divers courants antiques selon ses besoins :
* Stoïcisme pour sa sagesse pratique et son éthique du détachement.
* Épicurisme pour l’éloge du plaisir modéré.
* Scepticisme pour son doute méthodique et sa méfiance envers les vérités absolues.
Cette approche souple lui permet de construire une philosophie personnelle, fondée sur l’expérience et la réflexion individuelle.
Critique des systèmes fermésMontaigne critique les philosophies dogmatiques et les concepts abstraits déconnectés du réel. Il se méfie particulièrement du platonisme et du pythagorisme pour leur dualisme entre le monde sensible et le monde des idées. Il préfère les philosophies centrées sur l’existence concrète, la pratique quotidienne et la recherche du bonheur ici et maintenant.
4. Montaigne et les courants philosophiques antiques
Les stoïciens et les épicuriensMontaigne adopte des éléments des deux écoles sans s’y enfermer :
* Stoïcisme : Il apprécie l’idée de distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous (inspiré d’Épictète) et l’importance de la maîtrise de soi.
* Épicurisme : Il adhère à la quête d’un plaisir simple et naturel, tout en rejetant l’atomisme matérialiste d’Épicure.
Les sceptiquesMontaigne est souvent associé au scepticisme pyrrhonien, mais Onfray nuance ce point. Montaigne pratique un doute méthodique, inspiré davantage de Socrate que de Pyrrhon. Il cherche la vérité sans jamais l’affirmer de manière dogmatique, adoptant la devise socratique : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. »
Les cyniques et les cyrénaïquesMontaigne s’inspire aussi des cyniques (comme Diogène) pour leur critique des conventions sociales et leur vie simple et autonome. Des cyrénaïques, il retient la valorisation du plaisir immédiat, tout en prônant la modération.
5. La critique des Anciens
Contre Platon et PythagoreMontaigne critique :
* Le dualisme platonicien : Il rejette la séparation entre le monde des idées et le monde sensible.
* La métaphysique pythagoricienne : Il refuse l’idée d’une âme immatérielle et immortelle distincte du corps.
La déplatonisation de SocrateMontaigne tente de libérer Socrate de l’image que Platon en a donnée. Il valorise le Socrate historique, celui du doute et du dialogue, et non le Socrate idéalisé et métaphysicien de Platon.
L’indifférence envers AristoteMalgré la place centrale d’Aristote dans la scolastique médiévale, Montaigne l’ignore largement. Il critique l’aristotélisme pour son formalisme excessif et sa complexité inutile, préférant des philosophies plus proches de l’expérience humaine.
6. Montaigne et la modernité de son approche
Un penseur du concret et de l’immanenceMontaigne privilégie les philosophies orientées vers la vie pratique et l’expérience concrète. Il se méfie des abstractions et valorise les savoirs utiles à la conduite de la vie. Son approche pluraliste et tolérante en fait un précurseur des penseurs modernes.
Un humanisme tolérant et critiqueMontaigne adopte une posture de tolérance vis-à-vis des différences culturelles et religieuses. Il critique la barbarie coloniale dans son essai Des cannibales, défend la tolérance religieuse en pleine période de guerres de religion, et remet en question les pratiques de torture et les persécutions des sorcières.
💡 Conclusion
Michel Onfray présente Montaigne comme un philosophe humaniste qui, en « pillotant » les Anciens, construit une pensée personnelle et originale. Refusant les systèmes rigides, Montaigne adopte une méthode souple et critique, puisant dans divers courants antiques pour élaborer une philosophie du concret et de l’immanence. Cette approche fait de lui un précurseur de la pensée moderne, où le scepticisme méthodique, la quête du bonheur et la tolérance occupent une place centrale.
📚 Philosophes mentionnés
* Pythagore (vers 580 – vers 495 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur du pythagorisme, connu pour son dualisme âme-corps.
* Héraclite (vers 544 – vers 480 av. J.-C.) — Philosophe grec du changement perpétuel, auteur de la doctrine du « flux ».
* Parménide (VIe – Ve siècle av. J.-C.) — Philosophe grec, penseur de l’Un et de l’immobilité.
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, maître du dialogue et du doute méthodique.
* Aristippe de Cyrène (vers 435 av. J.-C. – vers 356 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’école cyrénaïque, prônant la recherche du plaisir immédiat.
* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’Académie, auteur du dualisme idées-monde sensible.
* Diogène de Sinope (vers 412 av. J.-C. – vers 323 av. J.-C.) — Philosophe cynique, adepte de la vie simple et du rejet des conventions sociales.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) — Philosophe grec, élève de Platon, théoricien de la logique et des sciences naturelles.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs simples.
* Lucrèce (vers 98 av. J.-C. – vers 55 av. J.-C.) — Philosophe et poète romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme.
* Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, auteur des Lettres à Lucilius.
* Épictète (vers 50 – vers 135) — Philosophe stoïcien grec, auteur du Manuel.
* Marc Aurèle (121 – 180) — Empereur romain et philosophe stoïcien, auteur des Pensées pour moi-même.
* Diogène Laërce (IIIe siècle) — Biographe des philosophes grecs, auteur de Vies et doctrines des philosophes illustres.
* Dante Alighieri (1265 – 1321) — Poète italien, auteur de la Divine Comédie, chef-d'œuvre de la littérature mondiale décrivant un voyage allégorique à travers l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis.
* Guillaume d’Ockham (1285 – 1347) — Philosophe médiéval, défenseur du nominalisme.
* Pétrarque (1304 – 1374) — Poète et humaniste italien, considéré comme le "père de l'humanisme", célèbre pour son Canzoniere, recueil de poèmes dédiés à Laure.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste, théologien et philosophe néerlandais, auteur de L'Éloge de la folie, critique satirique de la société et de l'Église de son temps.
* Nicolas Machiavel (1469 – 1527) — Homme politique et philosophe italien, auteur du Prince, ouvrage fondateur de la science politique moderne.
* Martin Luther (1483 – 1546) — Moine et théologien allemand, initiateur de la Réforme protestante en publiant ses 95 thèses contre les indulgences en 1517.
* Clément Marot (1496 – 1544) — Poète français de la Renaissance, connu pour ses épîtres, élégies et traductions des Psaumes, contribuant au développement de la poésie française.
* Joachim du Bellay (1522 – 1560) — Poète français, membre de la Pléiade, auteur de Défense et illustration de la langue française, plaidoyer pour l'enrichissement de la langue et de la littérature françaises.
* Michel de Montaigne (1533–1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur de Ecce Homo, critique du platonisme et du christianisme.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Introduction
Michel Onfray explore dans cette conférence la manière unique dont Montaigne a composé ses Essais, qu'il qualifie lui-même de « fagotage ». Loin d'un ouvrage rigide et structuré, les Essais sont le produit d'un processus organique où l'auteur se façonne en même temps qu'il écrit. Ce travail de va-et-vient entre la pensée et l'écriture fait des Essais un ouvrage sans équivalent dans l'histoire de la philosophie.
2. Les Essais : un autoportrait en construction
Un livre pour tous et pour personneOnfray compare les Essais au Ecce Homo de Nietzsche : un livre écrit autant pour soi que pour les autres, ou peut-être pour personne. Montaigne affirme que les Essais sont écrits pour ses proches, sans ambition de postérité. Pourtant, le soin apporté à leur composition et leur universalité montrent une volonté plus vaste.
Un autoportrait évolutifMontaigne ne se contente pas de se peindre tel qu'il est ; il se façonne au fil de l'écriture. Ce processus dynamique fait des Essais un autoportrait mouvant, où l'auteur s'explore, se corrige et se complète. L'écriture devient ainsi un acte d'auto-analyse, préfigurant les méthodes introspectives modernes.
3. Le processus de création : entre dictée et oralité
Les Essais dictés, non écritsOnfray révèle un aspect méconnu : Montaigne a dicté ses Essais plutôt que de les écrire. Quatre passages le confirment, où il mentionne qu'il parle ses textes en marchant, pendant qu'un secrétaire les transcrit. Cette oralité confère aux Essais un ton vivant et spontané, proche de la conversation.
Un style libre et digressifLoin des traités philosophiques structurés, Montaigne privilégie un style fluide et libre, marqué par des digressions fréquentes. Il saute d'un sujet à l'autre, illustre ses pensées par des anecdotes et mélange citations antiques et réflexions personnelles. Cette méthode reflète son scepticisme : la vérité est insaisissable, et l'esprit humain doit vagabonder pour tenter de l'approcher.
4. Les silences et les non-dits des Essais
Les absences révélatricesMontaigne, malgré son désir de transparence, laisse des silences troublants dans les Essais. Il omet ainsi des événements majeurs comme la Saint-Barthélemy ou les conflits religieux de son époque. De même, il passe sous silence des aspects de sa vie personnelle :
* Sa mère et ses filles sont presque absentes.
* Son épouse est mentionnée à peine.
* Ses enfants sont évoqués brièvement, sans émotion particulière.
Le roman familial freudienOnfray analyse ces omissions à la lumière du concept freudien du "roman familial". Montaigne magnifie la figure paternelle tout en effaçant la mère, créant un autoportrait idéalisé. Ce processus révèle un désir inconscient de se réinventer et d’échapper à sa propre réalité familiale.
5. Montaigne : lecteur paresseux et penseur original
Un lecteur sélectif et critiqueMontaigne confesse lire peu et mal :
* Il ne lit jamais un livre en entier après ses 40 ans.
* Il préfère les récits plaisants aux traités complexes.
* Il extrait des citations pour nourrir ses propres réflexions, souvent sans lire l'œuvre complète.
Cette lecture fragmentaire nourrit son approche digressive. Plutôt que de suivre un plan préconçu, il butine d’idée en idée, créant un "fagotage" hétéroclite.
Un usage singulier des citationsLes nombreuses citations dans les Essais ne servent pas de simples ornements. Elles agissent comme des points de départ pour ses réflexions personnelles. Onfray compare cette méthode à l'association libre de la psychanalyse : une citation éveille une pensée, qui en entraîne une autre, sans plan préétabli.
6. Les Essais : entre philosophie et littérature
Philosophie expérimentale et sceptiqueMontaigne refuse les dogmes et préfère une approche sceptique et expérimentale. Il ne cherche pas à établir des vérités absolues, mais à témoigner de sa propre expérience. Son fameux "Que sais-je ?" résume cette posture : la connaissance est toujours relative et sujette à révision.
Une œuvre baroque et sans planOnfray insiste sur l’absence de structure rigide dans les Essais. Les chapitres varient en longueur et en ton, alternant sujets graves et légers. Ce chaos apparent reflète la complexité de l’esprit humain. Montaigne privilégie le "flux héraclitéen" (tout est mouvement et changement) plutôt qu’une conception statique de la pensée.
💡 Conclusion
Le fagotage des Essais illustre l’originalité radicale de Montaigne : un philosophe qui se peint lui-même tout en se construisant. Par sa méthode libre et orale, il invente une forme nouvelle, entre littérature et philosophie, préfigurant les pratiques modernes d’introspection. Michel Onfray dévoile ainsi un Montaigne complexe, marqué par ses silences, ses contradictions et sa quête incessante de soi.
Les Essais restent un modèle unique d’auto-analyse et de réflexion sceptique, où l’expérience personnelle devient une matière philosophique universelle.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Héraclite (vers 544 – vers 480 av. J.-C.) — Philosophe grec, penseur du changement et du flux perpétuel.
* Parménide (VIe – Ve siècle av. J.-C.) — Philosophe grec, défenseur de l’immobilité et de l’être.
* Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, auteur des Lettres à Lucilius.
* Plutarque (46 – 125) — Philosophe et biographe grec, auteur des Vies parallèles.
* Marc Aurèle (121 – 180) — Empereur romain et philosophe stoïcien, auteur des Pensées pour moi-même.
* Saint Augustin (354 – 430) — Philosophe et théologien chrétien, auteur des Confessions.
* Guillaume d’Ockham (1285 – 1347) — Philosophe médiéval, initiateur du nominalisme.
* Érasme de Rotterdam (1467 – 1536) — Humaniste et théologien chrétien, auteur de L’Éloge de la folie.
* Étienne de La Boétie (1530 – 1563) — Philosophe et ami proche de Montaigne, auteur du Discours de la servitude volontaire.
* Michel de Montaigne (1533–1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais.
* Jean-Jacques Rousseau (1712 – 1778) — Philosophe et écrivain genevois, auteur des Confessions.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur de Ecce Homo et critique de la morale occidentale.
* Sigmund Freud (1856 – 1939) — Neurologue autrichien, fondateur de la psychanalyse et théoricien du "roman familial".
* Gilles Deleuze (1925 – 1995) — Philosophe français, auteur de Le Pli, réflexion sur le baroque et l’héraclitéisme.
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1. Michel de Montaigne
Michel Onfray explore dans cette conférence la figure complexe de Michel de Montaigne, marquant un tournant dans l’économie de la pensée occidentale. Après avoir étudié le christianisme épicurien chez Érasme, Onfray s’intéresse à Montaigne comme figure clé d’un « épicurisme chrétien » inversé, où l’accent n’est plus sur la foi mais sur l’hédonisme modéré. Cette conférence inaugure une série consacrée à Montaigne, analysé à travers une approche psycho-biographique, mettant en lumière la relation entre son corps, sa pensée et son œuvre.
2. Psycho-biographie et méthode généalogique
L’importance du corps dans la penséeMichel Onfray adopte une méthode psycho-biographique inspirée de Nietzsche et Sartre, considérant que toute philosophie est la confession d’une personne et l’autobiographie d’un corps. Il explore ainsi comment la pensée de Montaigne se construit à partir de son propre vécu corporel, de ses maladies, de ses blessures physiques et morales. Le corps souffrant de Montaigne — marqué par des coliques néphrétiques, des crises de calculs rénaux, et des faiblesses physiques — devient un moteur essentiel dans l’élaboration de sa pensée philosophique.
La quête du "je" et de la subjectivitéOnfray souligne que Montaigne s’interroge profondément sur la nature du "je". Les Essais sont l’occasion pour lui de se découvrir et de se peindre, non par narcissisme, mais pour mieux comprendre qui il est. Cette quête de soi est difficile, car Montaigne doute constamment de sa propre valeur et cherche à s’aimer malgré ses défauts physiques et psychologiques. Il n’écrit pas pour célébrer son ego, mais pour s’en approcher honnêtement.
3. Le portrait physique et moral de Montaigne
Un corps défaillant et souffrantMontaigne dresse lui-même un portrait sans complaisance :
* Physique : Petit, aux membres disproportions et à la santé fragile, il souffre de nombreuses maladies. Il évoque notamment sa perte de cheveux précoce, son visage peu expressif, et ses crises douloureuses dues aux calculs rénaux.
* Sexualité : Il parle librement de ses difficultés sexuelles, évoquant son impuissance et ses frustrations. Cette honnêteté est rare pour son époque.
* Santé mentale : Montaigne confesse des périodes de mélancolie et de profonde anxiété, accentuées par sa conscience aiguë de la mort.
Un esprit inquiet et paradoxalMontaigne se décrit également comme :
* Irrésolu et paresseux : Il avoue une certaine nonchalance et un goût pour le loisir plus que pour l’action.
* Hypersensible : Il est profondément ému par la souffrance des autres, y compris celle des animaux, tout en étant fasciné par la cruauté et les monstres.
* Modeste et sceptique : Son scepticisme s’exprime par la devise "Que sais-je ?", illustrant son refus des dogmes et sa méfiance envers les certitudes.
4. L’éducation et l’influence du père
Un projet éducatif uniqueLe père de Montaigne, inspiré par les idées pédagogiques d’Érasme, mit en place une éducation singulière pour son fils :
* Une immersion latine : Montaigne est élevé dans un environnement où seul le latin est parlé, ce qui fait de lui un "enfant romain" détaché de sa culture natale.
* Une éducation douce et musicale : Il est éveillé chaque matin par de la musique douce et grandit dans un cadre qui privilégie la joie et le plaisir d’apprendre.
Les conséquences psychologiquesCe projet éducatif engendre un décalage profond :
* Montaigne grandit éloigné des enfants de son âge et du monde réel, créant une forme de solitude précoce.
* Ce décalage entre sa formation idéalisée et la réalité du monde accentue son sentiment d’étrangeté à soi-même et aux autres.
5. Montaigne et la quête d’une sagesse hédoniste
De la douleur au plaisir modéréLes souffrances physiques et morales de Montaigne le poussent à chercher un équilibre. Sa philosophie valorise un hédonisme mesuré, où le plaisir doit être recherché, mais toujours dans la modération. Il rejette les excès, qu’ils soient ascétiques ou hédonistes, et prône un art de vivre simple et serein.
L’importance du loisir et du retraitMontaigne se retire dans sa tour pour se consacrer à la lecture, à l’écriture et à la méditation. Ce retrait n’est pas une fuite, mais un choix délibéré pour vivre à son propre rythme et selon ses propres lois. Le loisir ("otium" chez les Romains) devient pour lui une valeur fondamentale, permettant l’épanouissement personnel et la réflexion philosophique.
6. Les Essais : une quête de soi et du monde
Un projet d’écriture uniqueLes Essais sont un projet littéraire sans précédent :
* Montaigne y dicte ses pensées, souvent à haute voix, dans un style libre et digressif.
* Il s’y peint "sans fard ni masque", offrant un autoportrait sincère et complexe.
* Les Essais mêlent réflexions personnelles, citations antiques et observations du monde, créant un dialogue constant entre l’individu et l’universel.
Un équilibre entre scepticisme et hédonismeMontaigne développe un scepticisme tempéré : il doute de tout, y compris de ses propres certitudes, mais il trouve dans cette incertitude une source de liberté et de plaisir. Son hédonisme n’est pas celui des excès, mais celui d’un bonheur simple, fait de petits plaisirs quotidiens et de moments de sérénité.
💡 Conclusion
Michel Onfray présente Montaigne comme une figure fondatrice de la pensée moderne, à la croisée du scepticisme, de l’hédonisme et de l’humanisme. À travers les Essais, Montaigne explore les complexités de l’âme humaine, en se peignant lui-même pour mieux comprendre les autres. Son œuvre témoigne d’une quête de soi profonde, marquée par la douleur et la fragilité, mais orientée vers une sagesse apaisée et un art de vivre simple.
Montaigne apparaît ainsi comme un philosophe de la vie quotidienne, prônant la modération, la tolérance et l’amour de la liberté. Son message reste d’une étonnante actualité : "Le grand et glorieux chef-d'œuvre de l'homme est de vivre à propos."
📚 Philosophes mentionnés
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, figure fondatrice de la philosophie occidentale.
* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Banquet et du Mythe de la caverne.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.
* Horace (65 av. J.-C. – 8 av. J.-C.) — Poète romain, célèbre pour son Carpe Diem et son éloge du loisir (otium).
* Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, auteur des Lettres à Lucilius.
* Plotin (205 – 270) — Philosophe néoplatonicien, auteur des Ennéades.
* Érasme de Rotterdam (1467 – 1536) — Humaniste et théologien chrétien, auteur de L’Éloge de la folie et des Colloques.
* Jean Bodin (1530 – 1596) — Juriste et philosophe français, auteur de La Démonomanie des sorciers.
* Michel de Montaigne (1533–1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur du Guet Savoir, critique de la morale occidentale.
* Jean-Paul Sartre (1905 – 1980) — Philosophe existentialiste français, auteur de L’Être et le Néant.
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1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray explore la notion d'« horticulture transcendantale » à travers l’analyse du Banquet religieux d’Érasme. Il examine comment Érasme conçoit le jardin comme un espace philosophique et spirituel, synthétisant les traditions chrétienne et épicurienne. Ce jardin utopique devient un lieu de méditation, d’éducation, et de contemplation, où se conjuguent plaisir et piété.
2. Le jardin philosophique d’Érasme
Une utopie chrétienne épicurienneÉrasme imagine un jardin à la fois réel et symbolique, inspiré des jardins antiques (comme celui d’Épicure) et du jardin biblique d’Éden. Ce jardin devient un espace de pratique philosophique où se mêlent hédonisme épicurien et spiritualité chrétienne. Michel Onfray qualifie ce lieu de « transcendantal » car il dépasse les simples expériences sensorielles pour accéder à une dimension spirituelle et méditative.
Un espace pédagogique et contemplatifLe jardin d’Érasme est conçu pour nourrir à la fois le corps et l’esprit. On y trouve :
* Un potager : pour une alimentation frugale et saine, symbole d’autonomie et de simplicité.
* Un jardin médicinal : pour soigner le corps et rappeler l’importance du souci de soi.
* Une volière et un verger : qui célèbrent la diversité du vivant et invitent à la contemplation.
* Des fontaines et des canaux : symboles de pureté et de circulation harmonieuse entre les éléments.
Ce jardin est aussi un espace éducatif où chaque plante, arbre ou animal est accompagné d’adages et de panneaux explicatifs, soulignant l’importance de la pédagogie humaniste d’Érasme.
3. Le banquet religieux : entre épicurisme et christianisme
Un repas hédoniste et spirituelLe Banquet religieux décrit par Érasme est une scène emblématique où neuf personnages discutent autour d’un repas simple mais raffiné. Le menu – composé de vins, de légumes du jardin, de fruits et de mets délicats – illustre l’idée d’un plaisir modéré et honnête, fidèle aux principes épicuriens. Ce banquet est aussi un moment de réflexion où les convives débattent de thèmes religieux, philosophiques et éthiques, mêlant allégrement références païennes et chrétiennes.
Le jardin comme métaphore de la vie philosophiqueLe banquet se déroule dans le jardin, qui devient le symbole d’une vie équilibrée, où plaisir et piété cohabitent. Les discussions portent notamment sur :
* La vertu de la sobriété et de la modération.
* L’importance de l’éducation et de la contemplation.
* La critique des excès du clergé et des dépenses somptuaires de l’Église.
Ce jardin devient ainsi un microcosme idéal, un espace utopique où l’homme peut s’élever spirituellement tout en jouissant des plaisirs simples de la vie.
4. Symbolisme et spiritualité du jardin
Le jardin d’Éden réinterprétéMichel Onfray souligne que le jardin d’Érasme est une relecture du jardin d’Éden. Là où le paradis biblique était un lieu de perfection perdu à cause du péché originel, le jardin d’Érasme est un espace de reconquête spirituelle. Il symbolise l’espoir d’un retour à une relation directe et pure avec Dieu, sans passer par l’intermédiaire de l’Église institutionnelle.
L’équilibre entre corps et espritContrairement à la tradition chrétienne doloriste qui méprise le corps et ses plaisirs, Érasme célèbre l’union harmonieuse entre le corps et l’âme. Le jardin est un lieu où les sens sont sollicités (vue, odorat, goût, etc.) mais toujours dans une optique de modération et d’élévation spirituelle.
La maison philosophique : architecture et symbolismeÉrasme imagine également un agencement architectural autour du jardin :
* Une bibliothèque attenante à une chapelle, symbolisant l’équilibre entre savoir et foi.
* Une salle des cartes pour rappeler la vocation universelle du christianisme.
* Un hôpital pour prendre soin des corps et des âmes.
Chaque bâtiment est pensé pour favoriser la contemplation, la méditation et l’élévation de l’esprit.
5. Le message philosophique et politique d’Érasme
Un humanisme pacifisteÉrasme, figure centrale de l’humanisme chrétien, défend une vision pacifiste et tolérante du christianisme. Il s’oppose aux guerres religieuses et prône la paix universelle à travers la pratique évangélique et l’éducation. Son jardin devient ainsi le symbole d’un monde idéal, fondé sur l’amour du prochain, la simplicité et la sérénité.
Critique de l’Église et retour aux sourcesTout au long du Banquet religieux, Érasme critique les excès et la corruption de l’Église institutionnelle, tout en défendant une foi pure et directe, centrée sur le message du Christ. Il invite à une relecture personnelle des Évangiles et à une pratique du christianisme fondée sur la charité, la tolérance et la modération.
💡 Conclusion
Avec Une horticulture transcendantale, Michel Onfray met en lumière la richesse philosophique du Banquet religieux d’Érasme. Le jardin devient un espace utopique, un lieu de réconciliation entre épicurisme et christianisme, entre plaisir et spiritualité. Il symbolise l’espoir d’un monde pacifié, fondé sur l’éducation, la contemplation et la recherche de la sagesse. Ce jardin philosophique incarne ainsi l’idéal humaniste d’Érasme : un monde où l’homme peut s’élever tout en restant fidèle à sa nature terrestre.
📚 Philosophes mentionnés
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, modèle du sage, connu pour sa méthode dialectique.
* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Banquet et du Mythe de la caverne.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.
* Lucien de Samosate (125 – 192) — Écrivain satirique grec, maître du dialogue ironique.
* Diogène Laërce (IIIe siècle) — Biographe des philosophes grecs, auteur de Vies et doctrines des philosophes illustres.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste italien, précurseur du christianisme épicurien.
* Marsile Ficin (1433 – 1499) — Philosophe italien, traducteur de Platon, conciliant platonisme et christianisme.
* Érasme de Rotterdam (1467 – 1536) — Humaniste et théologien chrétien, auteur de L’Éloge de la folie et des Colloques.
* Thomas More (1478 – 1535) — Philosophe humaniste anglais, auteur de L’Utopie.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais.
* Pierre Gassendi (1592 – 1655) — Philosophe et scientifique, défenseur de l’épicurisme chrétien.
* Emmanuel Kant (1724 – 1804) — Philosophe allemand, auteur de La Critique de la raison pure, théoricien du transcendantal.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du christianisme et de la morale occidentale.
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1. Érasme de Rotterdam
Michel Onfray explore la figure d’Érasme de Rotterdam, qu’il qualifie d'« épicure christique », et l’insère dans la lignée des penseurs du christianisme épicurien. Cette conférence met en lumière la tentative d’Érasme d'associer la philosophie d’Épicure à la doctrine chrétienne, en prônant une vision pacifiste, hédoniste et critique de l'Église institutionnelle.
2. Le Christianisme Épicurien
Fusion entre Épicure et le ChristMichel Onfray introduit le concept de christianisme épicurien, amorcé par Lorenzo Valla et poursuivi par Érasme, Montaigne et Gassendi. L'idée centrale est que l'hédonisme d’Épicure et la philosophie chrétienne ne sont pas antagonistes, mais peuvent coexister harmonieusement. Érasme défend ainsi la possibilité de trouver la félicité par une vie simple et modérée, tout en suivant les enseignements du Christ.
L'Éloge de la Folie et l'ironie chrétienneL’Éloge de la Folie est l'œuvre emblématique où Érasme use de l'ironie pour critiquer la société et l'Église. Il y défend l'idée que le véritable christianisme est une forme de folie, non pas déraisonnable mais un acte de foi allant au-delà des limites de la raison. La folie est vue comme une source de liberté intérieure, de joie et d’authenticité spirituelle.
3. Érasme et sa critique de l’Église
Un anticléricalisme modéréBien qu’il soit resté fidèle au catholicisme, Érasme critique ouvertement l’institution ecclésiastique :
* Les excès du clergé : il dénonce la corruption des prêtres, la richesse indécente des papes et la guerre soutenue par l'Église.
* Les pratiques superstitieuses : il remet en question les pèlerinages, le culte des reliques et le dolorisme chrétien, qui valorise la souffrance au détriment du bonheur terrestre.
Une invitation au retour aux sourcesÉrasme appelle à un retour à l'esprit originel du christianisme, fondé sur la lecture directe des Évangiles et l’imitation du Christ. Il prône une foi dépouillée des dogmes et bureaucraties ecclésiastiques, orientée vers une relation intime et personnelle avec Dieu.
4. Philosophie hédoniste et morale chrétienne
Le plaisir modéré comme voie chrétiennePour Érasme, le plaisir n’est pas incompatible avec la foi chrétienne, tant qu'il reste modéré et naturel. Il adopte la vision épicurienne du bonheur, définie comme l'absence de troubles (ataraxie), et l’adapte au cadre chrétien en valorisant la paix intérieure et la conscience tranquille.
Critique de la culpabilité et du dolorismeIl s’oppose fermement à la doctrine de la culpabilité issue du péché originel et rejette la mauvaise conscience imposée par l’Église. Selon lui, le message du Christ est un message de joie et de liberté, et non de souffrance et de culpabilisation.
5. La pédagogie et l’humanisme d’Érasme
L’éducation comme outil d’émancipationÉrasme fut l’un des premiers intellectuels à vivre de sa plume et à promouvoir l’éducation comme voie vers la liberté individuelle. À travers ses Colloques, il développe une méthode pédagogique basée sur le dialogue, l’apprentissage par la pratique et l’éveil de l’esprit critique.
Un humanisme chrétienÉrasme incarne l’humanisme de la Renaissance, où l’homme est vu comme un être perfectible par l’éducation et la raison. Il valorise la dignité humaine, plaide pour la paix et la tolérance, et s’oppose aux guerres religieuses qui déchirent l’Europe de son époque.
💡 Conclusion
Érasme apparaît comme une figure centrale du christianisme épicurien. Tout en restant fidèle au message du Christ, il critique l’institution ecclésiastique et prône un retour aux valeurs originelles du christianisme : la joie, la simplicité, la paix et l’amour. Son œuvre, notamment l'Éloge de la Folie et ses Colloques, est une tentative audacieuse de réconcilier foi et plaisir, raison et foi, tout en offrant une critique lucide et bienveillante du monde de son époque.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l'épicurisme prônant l'ataraxie.
* Paul de Tarse (vers 5 – vers 67) — Apôtre chrétien, principal diffuseur du message chrétien dans l’Empire romain.
* Lucien de Samosate (125–192) — Écrivain satirique grec, maître de l'ironie et du dialogue philosophique.
* Diogène Laërce (IIIe siècle) — Biographe des philosophes grecs, auteur de Vies et doctrines des philosophes illustres.
* Lorenzo Valla (1407–1457) — Philologue italien, précurseur du christianisme épicurien.
* Érasme de Rotterdam (1467–1536) — Humaniste et théologien chrétien, auteur de L'Éloge de la folie et des Colloques.
* Thomas More (1478–1535) — Philosophe et humaniste anglais, auteur de L’Utopie.
* Michel de Montaigne (1533–1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais.
* Pierre Gassendi (1592–1655) — Philosophe et scientifique, défenseur de l'épicurisme chrétien.
* Friedrich Nietzsche (1844–1900) — Philosophe allemand, critique de la morale chrétienne.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Une résistance chrétienne au christianisme
Michel Onfray ouvre sa conférence en soulignant un paradoxe fondamental : il existe une résistance chrétienne au christianisme lui-même. Cette opposition n'est pas une critique extérieure, mais provient de l'intérieur du christianisme, visant l'Église officielle, qui s'est progressivement constituée en institution dogmatique, défendant un idéal ascétique marqué par la haine du corps, des désirs et des plaisirs.
Cependant, Onfray rappelle qu'un autre christianisme était possible, un christianisme non ascétique, voire féministe et hédoniste, opposé au courant dominant misogyne et castrateur. Ce christianisme alternatif s'incarne dans une figure oubliée de la philosophie : Lorenzo Valla (1407-1457), le premier à défendre un christianisme épicurien, conciliant foi chrétienne et recherche du plaisir.
2. Lorenzo Valla : le fondateur du christianisme épicurien
De Voluptate : le manifeste épicurien chrétien
L'œuvre majeure de Valla, De Voluptate (1431), explore la notion de plaisir dans une perspective philosophique et théologique. Composé sous forme de dialogue, le texte met en scène trois personnages représentant trois écoles philosophiques :
* Leonardo Bruni – le stoïcien, défenseur de la vertu comme souverain bien.
* Antonio Beccadelli – l’épicurien, prônant le plaisir comme finalité de l’existence.
* Niccolò Niccoli – le chrétien épicurien, synthétisant les deux positions.
Le dialogue conduit à une synthèse inédite : un christianisme épicurien, où le plaisir est compatible avec la foi chrétienne. Pour Valla, aimer Dieu n’est pas un acte de soumission, mais une source de plaisir suprême.
Une dialectique subtile entre ascétisme et hédonisme
Onfray insiste sur l’importance de la structure dialectique du texte. Le discours stoïcien est présenté comme rigide et ascétique, valorisant la souffrance et la vertu pour elles-mêmes. L’épicurien défend, au contraire, le plaisir corporel et la recherche du bonheur immédiat.
Le chrétien épicurien, figure de synthèse, propose une voie médiane : il conserve la quête du plaisir tout en l’inscrivant dans une finalité spirituelle. Le plaisir devient un moyen d’atteindre Dieu, et la foi est perçue comme une source de joie profonde.
3. Le plaisir comme souverain bien : critique des morales ascétiques
Opposition au stoïcisme
Valla, à travers le dialogue, critique la morale stoïcienne qui valorise l’ascèse et la souffrance. Selon lui, la recherche de la vertu pour elle-même conduit à la frustration et à une tristesse inhérente à l’idéal stoïcien, trop exigeant pour l’être humain.
Onfray souligne la critique implicite du christianisme ascétique dans cette analyse : comme le stoïcisme, le christianisme officiel impose des idéaux inatteignables (amour du prochain, pardon absolu, chasteté) qui génèrent culpabilité et frustration.
Réhabilitation du plaisir corporel
L’épicurien du dialogue, Antonio Beccadelli, défend la valeur du plaisir corporel, non pas dans sa version débauchée, mais comme une quête naturelle et légitime. Il célèbre les plaisirs des cinq sens, y compris la sexualité, tant qu’ils sont fondés sur le consentement et l’amour.
Cette défense du plaisir corporel s’oppose frontalement à la morale chrétienne traditionnelle, qui condamne les désirs du corps. Valla, en prônant un plaisir raisonné et modéré, s’inscrit dans la lignée d’Épicure, tout en adaptant cette philosophie à un cadre chrétien.
4. Un christianisme jubilatoire : foi et plaisir réconciliés
L’amour de Dieu comme source de plaisir
Dans la perspective de Valla, aimer Dieu n’est pas un devoir imposé par crainte du châtiment ou par respect de la loi, mais un acte libre et joyeux. Le plaisir n’est pas opposé à la spiritualité ; au contraire, il en devient le moteur. Onfray insiste sur cette idée révolutionnaire : la religion peut être une source de plaisir, et non de souffrance.
Un paradis terrestre et céleste
Valla conçoit le paradis non seulement comme un lieu céleste après la mort, mais aussi comme une expérience possible sur terre. En cultivant le plaisir et la joie dans le respect des vertus chrétiennes (foi, espérance et charité), l’homme peut goûter à un avant-goût du paradis ici et maintenant.
5. La postérité du christianisme épicurien
Marsile Ficin et Érasme : héritiers de Valla
Onfray souligne que Valla a ouvert la voie à d’autres penseurs humanistes qui tenteront de réconcilier hédonisme et christianisme :
* Marsile Ficin (1433-1499), platonicien de la Renaissance, adopte une approche similaire dans son propre De Voluptate, tout en y intégrant des éléments néoplatoniciens.
* Érasme (1466-1536) poursuit cette tradition en défendant un christianisme joyeux et tolérant, éloigné des rigueurs dogmatiques.
Montaigne et Gassendi : les derniers chrétiens épicuriens
Onfray voit également dans Montaigne et Gassendi des figures tardives du christianisme épicurien :
* Montaigne (1533-1592), dans ses Essais, célèbre les plaisirs simples de la vie tout en cultivant une foi chrétienne modérée.
* Pierre Gassendi (1592-1655), chanoine et philosophe, réhabilite Épicure en tentant de le concilier avec la foi chrétienne.
💡 Conclusion
Un christianisme épicurien met en lumière un courant oublié de la philosophie occidentale : celui qui cherche à réconcilier foi chrétienne et recherche du plaisir. Michel Onfray démontre, à travers l’exemple de Lorenzo Valla, qu’un tel christianisme a existé, bien que marginalisé par l’Église officielle.
Ce christianisme épicurien propose une vision jubilatoire et optimiste de la vie, où le plaisir n’est plus un péché mais un don de Dieu, à savourer avec gratitude. Ce courant invite à repenser la relation entre spiritualité et hédonisme, en refusant les morales ascétiques fondées sur la culpabilité et la souffrance.
📚 Philosophes mentionnés
* Épicure (341 – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme matérialiste et hédoniste.
* Cicéron (106 – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, critique virulent de l’épicurisme.
* Plutarque (env. 46 – 125) — Philosophe grec, critique de l’épicurisme.
* Sénèque (env. 4 av. J.-C. – 65) — Philosophe stoïcien romain, défenseur de l’ascèse morale.
* Saint Augustin (354 – 430) — Père de l’Église, auteur de La Cité de Dieu.
* Dante Alighieri (1265 – 1321) — Poète italien, auteur de La Divine Comédie, critique des épicuriens.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste italien, auteur de De Voluptate, fondateur du christianisme épicurien.
* Marsile Ficin (1433 – 1499) — Philosophe platonicien de la Renaissance, auteur d’un De Voluptate.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste hollandais, défenseur d’un christianisme hédoniste et tolérant.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe et essayiste français, auteur des Essais, influencé par l’épicurisme.
* Pierre Gassendi (1592 – 1655) — Philosophe et prêtre français, réhabilitant Épicure dans une perspective chrétienne.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du christianisme ascétique et défenseur de la transvaluation des valeurs.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Lorenzo Valla, un philosophe oublié
Michel Onfray introduit cette conférence en rappelant l’injustice historique dont est victime Lorenzo Valla (1407-1457), un philosophe humaniste majeur de la Renaissance, souvent méconnu ou mal interprété. Onfray déplore que, malgré l’importance de ses travaux, Valla reste absent des programmes classiques de philosophie, éclipsé par des figures plus célèbres comme Jean Pic de la Mirandole ou Giordano Bruno.
Lorenzo Valla est présenté comme un penseur polymorphe : latiniste puriste, philologue, dialecticien, brillant orateur, mais aussi un philosophe épicurien chrétien, figure paradoxale et unique à la Renaissance.
2. Lorenzo Valla : un humaniste critique et polémiste
Un latiniste puriste et philologue
Valla est reconnu pour son travail sur la langue latine, notamment dans Les Élégances de la langue latine (1435-1444), où il prône le retour à un latin pur, fidèle à Cicéron et Quintilien, en opposition au latin "de cuisine" utilisé par les juristes, théologiens et scolastiques de son époque.
En tant que philologue, il s'inscrit pleinement dans l’esprit scientifique et critique de la Renaissance, participant à l’établissement rigoureux des textes, en remettant en question les versions corrompues par des siècles de copies approximatives.
La donation de Constantin : une bombe intellectuelle
Le travail le plus célèbre de Valla est sans doute sa démystification de la Donation de Constantin (1442), un texte utilisé depuis des siècles par l'Église pour légitimer son pouvoir temporel. Par une analyse philologique minutieuse, Valla prouve que ce document est un faux, rédigé plusieurs siècles après l'époque de Constantin.
Ses méthodes incluent :
* Analyse linguistique : Le latin employé dans le texte est postérieur à l’époque de Constantin.
* Anachronismes : Mention de villes et concepts inexistants au IVe siècle.
* Raisonnement logique et historique : Pourquoi un empereur comme Constantin aurait-il cédé tout le pouvoir temporel à l'Église ?
Cette remise en question choque l'Église et menace Valla de représailles. Il est obligé de fuir Rome et trouve refuge à la cour du roi Alphonse d'Aragon.
Un esprit polémique et provocateur
Onfray souligne le caractère explosif de Valla : colérique, hypersensible, et toujours prêt à la polémique. Il accumule les inimitiés, même parmi ses proches collaborateurs, et n’hésite pas à se fâcher pour des détails linguistiques.
Pour Onfray, cette agressivité dialectique n’est pas anodine : elle fait partie intégrante de la démarche philosophique de Valla, qui cherche toujours à remettre en question les vérités établies, y compris au prix de sa propre réputation.
3. Un chrétien épicurien : l’oxymore philosophique
Lorenzo Valla est souvent présenté sous un angle réducteur : soit comme un épicurien non chrétien, soit comme un chrétien non épicurien. Michel Onfray démonte ces lectures simplistes et propose une vision plus nuancée : Valla est chrétien et épicurien, un oxymore qui, selon Onfray, ouvre la voie à un humanisme singulier.
De Voluptate : du plaisir chrétien
Dans De Voluptate (1431), Valla explore la notion de plaisir à travers un dialogue en trois temps :
* Stoïcien : Valorisation de la vertu et du dépassement des désirs.
* Épicurien : Défense du plaisir comme bien suprême.
* Chrétien : Synthèse des deux, où le plaisir est concilié avec la foi chrétienne.
Valla y défend un hédonisme chrétien : le plaisir est un don de Dieu, et chercher le plaisir (y compris corporel) n’est pas contradictoire avec la foi. Cette thèse subversive conduit certains à l’accuser de libertinage ou de dissimulation, mais Onfray insiste sur la sincérité de cette tentative de concilier les deux traditions.
Fidélité au christianisme : le dialogue sur le libre-arbitre
Dans son Dialogue sur le libre-arbitre, Valla adopte une posture profondément chrétienne, défendant la foi contre les prétentions de la raison à tout expliquer. Il soutient un fidéisme radical :
* La foi doit primer sur la raison.
* Il faut croire sans chercher à démontrer, car certains mystères (comme la volonté divine) sont inaccessibles à l’intellect humain.
* L’humilité est une vertu supérieure au savoir.
Onfray souligne ici la tension dialectique chez Valla : il est capable d’une critique acerbe de l’Église tout en restant fidèle au cœur du message chrétien.
4. La critique des institutions : Église, scolastique et monachisme
Déconstruction de la scolastique
Valla s’attaque aussi à la philosophie scolastique, dominée par l’aristotélisme, qu’il juge rigide et stérile. Pour lui, la philosophie doit revenir à une forme vivante et directe, inspirée des dialogues antiques, plutôt que s’enfermer dans des jeux dialectiques artificiels.
La critique des moines et du monachisme
Dans De la profession religieuse (1440), Valla dénonce l’hypocrisie des moines et la corruption des ordres religieux. Il critique leur prétendue supériorité spirituelle, souvent contredite par des comportements licencieux et matérialistes.
Défense d’un christianisme primitif
Valla milite pour un retour aux sources évangéliques : un christianisme centré sur les pauvres, les opprimés et les sans-grades, en opposition au christianisme institutionnel et corrompu du Vatican. Cette volonté rappelle le programme d’autres réformateurs comme Érasme et préfigure en partie les thèses protestantes.
5. Libre-arbitre et prédestination : un dilemme théologique
Dans ses réflexions sur le libre-arbitre, Valla tente de concilier la préscience divine et la liberté humaine. Il propose une solution dialectique :
* Dieu sait tout ce que les hommes vont faire.
* Mais cette prescience n'annule pas la liberté des hommes.
* Dieu prévoit, mais ne prédétermine pas les actes humains.
Cette position, proche du fidéisme, évite les impasses du déterminisme total tout en préservant l’idée de responsabilité morale, essentielle au christianisme.
💡 Conclusion
Enfin Lorenzo Valla vint met en lumière la complexité et la richesse d’un philosophe trop souvent mal compris. Michel Onfray montre que Lorenzo Valla incarne la tension créatrice entre deux traditions a priori inconciliables : l’épicurisme et le christianisme.
Loin d’être un simple provocateur, Valla apparaît comme un penseur profond, engagé, et pionnier d’une critique lucide des institutions religieuses, tout en demeurant fidèle à une foi sincère et épicurienne.
Sa tentative de réconcilier le plaisir et la foi ouvre la voie à une humanité affranchie, où la quête du bonheur n’est plus en contradiction avec la spiritualité.
📚 Philosophes mentionnés
* Épicure (341 – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme matérialiste et hédoniste.
* Cicéron (106 – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, critique de l’épicurisme.
* Quintilien (env. 35 – env. 96) — Rhéteur latin, auteur de L'Institution oratoire.
* Saint Augustin (354 – 430) — Père de l’Église, défenseur du fidéisme et du péché originel.
* Thomas d'Aquin (1225 – 1274) — Philosophe scolastique, théoricien de la conciliation entre foi et raison.
* Poggio Bracciolini (1380 – 1459) — Humaniste italien, découvreur du De natura rerum de Lucrèce.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste italien, auteur de La donation de Constantin et De Voluptate.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste hollandais, défenseur d’un christianisme épicurien.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe et essayiste français, influencé par l’épicurisme.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du christianisme et théoricien de la transvaluation des valeurs.
* Léo Strauss (1899 – 1973) — Philosophe politique, auteur de La persécution et l'art d'écrire.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Une contre-histoire de la philosophie
Michel Onfray ouvre cette conférence en rappelant son projet de proposer une contre-histoire de la philosophie, c’est-à-dire une lecture alternative et critique des récits officiels, souvent écrits par les vainqueurs et marqués par un tropisme idéaliste et spiritualiste. Dans cette perspective, il s’intéresse aux philosophies matérialistes, notamment l’épicurisme, marginalisées par la tradition dominante.
Onfray pose la question centrale : « Mais où sont passés les épicuriens ? », cherchant à comprendre pourquoi et comment la pensée épicurienne, pourtant si influente dans l'Antiquité, a été occultée ou déformée par l’histoire officielle.
2. Épicure : héritier des matérialistes antiques
Épicure est présenté comme le point de convergence des courants matérialistes de l’Antiquité. Michel Onfray retrace la filiation philosophique menant à Épicure :
* Leucippe et Démocrite avec leur matérialisme atomiste, qui posent les bases d’une cosmologie sans finalité divine.
* Les sophistes comme Antiphon, pour qui la philosophie est une thérapie visant à libérer l’individu du mal de vivre.
* Les cyniques tels que Diogène de Sinope, qui prônent une vie en accord avec la nature, rejetant les conventions sociales.
* Les cyrénaïques comme Aristippe de Cyrène, défenseurs du plaisir immédiat.
Épicure synthétise ces courants pour élaborer un système philosophique matérialiste et hédoniste, centré sur la quête du plaisir (au sens de l’ataraxie, l'absence de troubles) et la libération de la peur des dieux et de la mort.
3. La disparition des épicuriens : persécution et effacement
Michel Onfray analyse les raisons de la disparition progressive de l’épicurisme :
* Persécutions chrétiennes : Le christianisme, en devenant religion d'État, s'est érigé en pouvoir totalitaire, interdisant les écoles philosophiques païennes et détruisant systématiquement les textes matérialistes.
* Destructions volontaires et contingences matérielles : De nombreuses œuvres épicuriennes ont été perdues à cause de la fragilité des supports (papyrus, codex) et des autodafés religieux. Sur les 300 volumes d’Épicure, seuls quelques fragments nous sont parvenus.
* Mauvaise réputation : L’épicurisme a été déformé et caricaturé par ses détracteurs, notamment Cicéron et Plutarque, qui ont présenté Épicure comme un débauché hédoniste prônant une jouissance vulgaire. L’image du « pourceau d’Épicure » devient un stigmate.
* Survie clandestine : Malgré ces obstacles, l’épicurisme a survécu grâce à quelques sources, notamment le Livre X de Diogène Laërce (Vies et doctrines des philosophes illustres), qui a conservé les lettres et les maximes d’Épicure.
4. L’opposition radicale entre épicurisme et christianisme
Onfray oppose les valeurs de l’épicurisme à celles du christianisme :
* Matérialisme vs spiritualisme : Épicure défend un univers purement matériel, sans finalité divine, tandis que le christianisme impose la croyance en un monde transcendant et en des arrière-mondes (paradis, enfer).
* Hédonisme vs pulsion de mort : L’épicurisme célèbre la vie, le plaisir et l’absence de troubles, alors que le christianisme valorise la souffrance, le sacrifice et la culpabilité (péché originel).
* Immanence vs transcendance : Épicure prône une sagesse terrestre, centrée sur l’ici et maintenant, en opposition aux promesses chrétiennes d’une vie éternelle après la mort.
* Liberté vs soumission : L’épicurisme invite à se libérer des peurs et des croyances aliénantes, là où le christianisme prône l’obéissance aux dogmes et aux autorités religieuses.
5. La survie souterraine de l’épicurisme au Moyen Âge
Bien que persécutée, la pensée épicurienne a survécu sous des formes détournées :
* Les Goliards : Entre le XIe et le XIIIe siècle, ces étudiants et clercs vagabonds écrivent des poèmes païens et hédonistes, célébrant Bacchus (le vin) et Vénus (l’amour charnel). Les Carmina Burana sont un témoignage majeur de cette culture épicurienne populaire.
* Les Frères et Sœurs du Libre-Esprit : Courant mystique et libertaire prônant la liberté totale, la jouissance et l’abandon des dogmes.
* La Divine Comédie de Dante : Bien qu’opposée à l’épicurisme, elle témoigne de sa persistance. Dante place Épicure et ses disciples dans le sixième cercle des enfers, réservés aux hérétiques, dénonçant leur négation de l’immortalité de l’âme.
6. La redécouverte de l’épicurisme à la Renaissance
La Renaissance marque un tournant décisif pour la redécouverte d’Épicure :
* L’imprimerie (XVe siècle) facilite la diffusion des textes antiques.
* La redécouverte de Lucrèce : En 1417, Poggio Bracciolini retrouve un manuscrit du De natura rerum, chef-d'œuvre épicurien qui décrit l’univers atomiste et matérialiste.
* Lorenzo Valla, Marsile Ficin, Érasme et Montaigne intègrent des éléments épicuriens dans leur pensée, donnant naissance à un christianisme épicurien paradoxal.
7. L’épicurisme : une philosophie toujours subversive
Onfray conclut en soulignant que l’épicurisme reste une philosophie subversive car :
* Elle refuse les illusions métaphysiques et religieuses.
* Elle prône une sagesse basée sur la connaissance de soi et la quête du plaisir mesuré.
* Elle offre une alternative matérialiste et immanente à la vision du monde chrétienne, valorisant l’ici et maintenant.
L’épicurisme, bien qu’occulté et persécuté, n’a jamais disparu. Il réapparaît à travers les siècles comme une philosophie de la liberté, défiant les dogmes et célébrant la vie.
💡 Conclusion
Mais où sont passés les épicuriens ? révèle l’histoire complexe et mouvementée de l’épicurisme, depuis sa marginalisation par le christianisme jusqu’à sa redécouverte à la Renaissance. Michel Onfray démontre que l’épicurisme, loin d’être une philosophie de la débauche, est un art de vivre centré sur la quête du plaisir mesuré, la liberté individuelle et la libération des peurs métaphysiques.
En retraçant cette histoire, Onfray poursuit son projet de contre-histoire de la philosophie, donnant voix aux courants marginalisés et réhabilitant la richesse et la profondeur de la pensée épicurienne.
📚 Philosophes mentionnés
* Leucippe (Ve siècle av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur du matérialisme atomiste.
* Protagoras (env. 490 – 420 av. J.-C.) — Sophiste grec, auteur de la maxime « L’homme est la mesure de toute chose ».
* Démocrite (env. 460 – 370 av. J.-C.) — Philosophe grec, théoricien de l’atomisme.
* Antiphon le sophiste (Ve siècle av. J.-C.) — Sophiste grec, défenseur d’une philosophie thérapeutique.
* Aristippe de Cyrène (env. 435 – 356 av. J.-C.) — Fondateur de l’école cyrénaïque, défenseur du plaisir immédiat.
* Diogène de Sinope (env. 412 – 323 av. J.-C.) — Philosophe cynique prônant la vie simple et la liberté totale.
* Épicure (341 – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme.
* Lucrèce (env. 94 – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur du De natura rerum.
* Diogène Laërce (IIIe siècle) — Historien grec, auteur de Vies et doctrines des philosophes illustres.
* Cicéron (106 – 43 av. J.-C.) — Orateur et philosophe romain, critique virulent de l’épicurisme.
* Plutarque (env. 46 – 125) — Philosophe et moraliste grec, adversaire de l’épicurisme.
* Irénée de Lyon (env. 130 – 202) — Père de l’Église, auteur de Contre les hérésies.
* Tertullien (env. 155 – 220) — Père de l’Église, critique de l’épicurisme.
* Dante Alighieri (1265 – 1321) — Poète italien, auteur de La Divine Comédie, où il place les épicuriens en enfer.
* Poggio Bracciolini (1380 – 1459) — Humaniste italien, redécouvreur du De natura rerum de Lucrèce.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste italien, défenseur d’un christianisme épicurien.
* Marsile Ficin (1433 – 1499) — Philosophe platonicien de la Renaissance, influencé par l’épicurisme.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste hollandais, promoteur d’un christianisme épicurien.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe et essayiste français, influencé par l’épicurisme.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du christianisme et défenseur d’un matérialisme affirmatif.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Explorer un Moyen Âge libertin
Michel Onfray débute cette conférence en s’appuyant sur l’expression « l’innocence du devenir » empruntée à Nietzsche pour explorer un Moyen Âge méconnu et paradoxal : celui des courants libertins et hédonistes. Plutôt que de s'attarder sur l'image d'un Moyen Âge sombre et rigoriste, il met en lumière les Frères et Sœurs du Libre-Esprit, un mouvement qui défiait l’ordre moral chrétien en prônant l’hédonisme, la transgression et la liberté totale.
Onfray évoque la rareté des sources sur ces courants marginaux, souvent documentés uniquement par les procès inquisitoriaux ou les récits de leurs détracteurs, mais dont la philosophie révèle une audace radicale dans la contestation des dogmes chrétiens.
2. Figures majeures du Libre-Esprit : du panthéisme à l’hédonisme radical
Willem Cornelisz d'Anvers (XIIIe siècle) : Anarchisme et critique sociale
* Défenseur de la pauvreté volontaire, Cornelis critique la richesse ecclésiastique et défend un anarchisme primitif. Il prône le droit au vol des riches par les pauvres, justifié par la nécessité.
* Il étend cette logique à la sexualité : les pauvres, n’ayant aucun bien matériel, peuvent disposer librement de leur corps et de leur sexualité sans péché, car la grâce divine leur est acquise par leur pauvreté.
Bentivenga de Gubbio (XIIIe siècle) : L’amor fati médiéval
* Philosophe panthéiste, il élabore une pensée similaire à l’amor fati nietzschéen, prônant l’amour du destin et le consentement total à la nécessité.
* Il rejette l’idée de péché et de libre arbitre : tout est déterminé par Dieu, qui est immanent au monde. Il défend également la négation de l’enfer et affirme que chaque action humaine est une manifestation divine.
Jean de Brno (XIVe siècle) : Nihilisme et amoralité
* Jean pousse à l’extrême la philosophie du Libre-Esprit en développant un nihilisme intégral : il n’y a ni bien ni mal, et l’homme est libéré de toute contrainte morale.
* Il justifie les actes les plus transgressifs (vol, meurtre, infanticide) comme des manifestations de la nécessité divine, sans culpabilité. Onfray voit en lui un précurseur des philosophies amorales de Sade et de Max Stirner.
Walter de Hollande (XIVe siècle) : Parodie mystique et orgies rituelles
* Auteur du Bréviaire du Libre-Esprit, perdu aujourd'hui, Walter organise des cérémonies mystiques parodiques où les sacrements chrétiens sont détournés lors de banquets orgiaques, en exaltant la liberté totale et la jouissance.
* Ces pratiques visent à retrouver l’innocence édénique, en dépassant la culpabilité chrétienne liée au plaisir.
Aylvigge de Bratislava (XIVe siècle) : Mystique païenne et ascèse transgressive
* Elle développe une ascèse païenne et mystique, combinant privations et excès pour atteindre l'extase. Par des pratiques d’humiliation du corps suivies d’orgies mystiques, elle défend l'idée que la transgression conduit à la pureté spirituelle.
* Cette dialectique entre ascèse et transgression fait écho aux réflexions de Georges Bataille sur l’érotisme et la part maudite.
Wilhelm von Hilderwissen (XVe siècle) : Tantrisme médiéval et sexualité mystique
* Wilhelm élabore une sexualité mystique inspirée du tantrisme, prônant la jouissance sans éjaculation afin de sublimer l'énergie sexuelle.
* Sa vision s’apparente aux réflexions du dernier Michel Foucault sur les pratiques sexuelles comme voies de connaissance et de dépassement du corps.
Éloi de Prinstic (XVIe siècle) : L’hédonisme comme impératif moral
* Il prône un impératif catégorique hédoniste : « Fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse. » Cette maxime renverse la morale chrétienne et propose une éthique jubilatoire fondée sur le plaisir réciproque.
* Éloi rejette l'idée d’enfer et prône une lecture des Écritures qui valorise la raison individuelle comme Saint-Esprit, une vision qui anticipe des critiques de la religion formulées par les Lumières.
Voir le livre de Raoul Vaneigem : Le mouvement du Libre-Esprit : généralités et témoignages sur les affleurements de la vie à la surface du Moyen Age, de la Renaissance et, incidemment, de notre époque.
3. Thèmes centraux : Panthéisme, transgression et abolition des valeurs
* Panthéisme radical : Les Frères et Sœurs du Libre-Esprit voient Dieu comme immanent au monde. Il n’existe aucune séparation entre le divin et le réel, justifiant ainsi toutes les actions humaines comme des manifestations de Dieu.
* Négation du libre arbitre : L’homme ne choisit pas ses actions, tout est déterminé par la nécessité divine. Cette idée conduit à la suppression de la responsabilité individuelle et à l’amoralité totale.
* L’innocence du devenir : En adoptant la perspective nietzschéenne, les membres du Libre-Esprit embrassent la nécessité du monde sans culpabilité. Le devenir est innocent car il n’obéit à aucun jugement moral.
* Liberté sexuelle et sociale : Le mouvement revendique une liberté sexuelle totale, défendant l’idée que le plaisir est une voie d’élévation spirituelle. Cette libération des corps s’accompagne d’une critique sociale radicale (égalité des sexes, rejet de la hiérarchie).
* Pratiques transgressives : Les membres du Libre-Esprit expérimentent des pratiques extrêmes (orgies rituelles, inversion des sacrements, ascèses corporelles) pour abolir les frontières entre le pur et l’impur, le sacré et le profane.
💡 Conclusion
L’innocence du devenir explore les courants libertins et hédonistes du Moyen Âge à travers les Frères et Sœurs du Libre-Esprit. Michel Onfray révèle un Moyen Âge alternatif, loin de l’image monolithique d’une époque sombre et rigoriste. Ces courants subversifs défient l’ordre moral chrétien en prônant la liberté totale, l’hédonisme radical et la transgression.
En mettant en lumière ces figures oubliées, Onfray souligne la permanence des pensées hédonistes et libertaires, traversant les siècles jusqu'à influencer des penseurs modernes comme Nietzsche, Bataille ou Foucault. Ce courant souligne l’audace philosophique de ces marginaux, qui, au péril de leur vie, ont osé imaginer un monde libéré du joug moral et religieux.
📚 Philosophes mentionnés
* Pythagore (env. 570 av. J.-C. – env. 495 av. J.-C.) — Philosophe et mathématicien grec, initiateur de doctrines mystiques et numérologiques.
* Platon (env. 428 av. J.-C. – 348 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur du dualisme corps/âme.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme matérialiste et hédoniste.
* Paul de Tarse (5 – 67) — Apôtre du christianisme, promoteur du christianisme paulinien.
* Plotin (env. 205 – 270) — Philosophe néoplatonicien, développe l’idée des émanations divines.
* Jean Scot Érigène (env. 815 – env. 877) — Philosophe irlandais, précurseur du panthéisme médiéval.
* Amaury de Bène (mort en 1207) — Philosophe français, promoteur du panthéisme et du Libre-Esprit.
* Georges Bataille (1897 – 1962) — Philosophe français, auteur de La Part maudite et L’Érotisme, explorant les liens entre transgression, sacré et érotisme.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur de Ainsi parlait Zarathoustra, théoricien de l’amor fati et de la transvaluation des valeurs.
* Michel Foucault (1926 – 1984) — Philosophe français, auteur de L’Histoire de la sexualité, explorant les liens entre pouvoir, corps et désir.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Le contexte du Moyen Âge et l’émergence du Libre-Esprit
Michel Onfray situe la constellation du Libre-Esprit dans le contexte austère et répressif du Moyen Âge, où la philosophie hédoniste est marginalisée. Il souligne l'importance de contextualiser cette période marquée par l'émergence de l'islam, les conquêtes territoriales et les guerres incessantes. Le christianisme domine alors l'Occident par la force, avec l'Inquisition comme outil majeur de répression intellectuelle.
L'époque est caractérisée par une absence quasi totale de pensée philosophique indépendante. Onfray décrit cette période comme un "électroencéphalogramme plat" de la philosophie, où la réflexion autonome est presque inexistante, étouffée par les dogmes religieux.
2. Les Frères et Sœurs du Libre-Esprit : une pensée hédoniste et hérétique
Le courant du Libre-Esprit, émergé au XIIe siècle, est présenté comme la continuité des gnoses hédonistes, prônant une philosophie de la liberté totale. Ses adeptes rejettent l’autorité ecclésiastique, les dogmes et les sacrements, affirmant que chaque être humain est déjà sauvé grâce au sacrifice du Christ. Par conséquent, il n’y a plus de péché, et la morale chrétienne devient caduque.
Les Frères et Sœurs du Libre-Esprit revendiquent un panthéisme radical, identifiant Dieu au monde et aux hommes. Selon eux, si Dieu est partout, il est en chacun, et donc l’homme est divin. Cette vision entraîne une libération totale des contraintes morales, puisque chaque acte, même le plus transgressif, est considéré comme une manifestation divine.
3. L’inversion des valeurs chrétiennes et l’hédonisme radical
Les adeptes du Libre-Esprit renversent les valeurs chrétiennes traditionnelles. Là où l’Église prêche la pauvreté, la chasteté et l’obéissance, les Frères et Sœurs du Libre-Esprit valorisent la richesse, la jouissance corporelle et la liberté absolue.
Cette transvaluation des valeurs s’exprime notamment dans leur conception du corps et du plaisir. Le corps n’est plus perçu comme un fardeau ou une source de péché, mais comme un vecteur d’émancipation et de jouissance. Les pratiques sexuelles libérées deviennent des moyens d’exprimer cette liberté totale, en opposition directe avec la morale chrétienne.
4. Les figures majeures du Libre-Esprit
Michel Onfray évoque plusieurs figures emblématiques du Libre-Esprit, notamment Amaury de Bène, ou Amaury de Chartres, philosophe du XIIIe siècle, qui prônait l’union mystique entre Dieu et l’homme. Selon Amaury, chaque homme est une incarnation divine, ce qui rend la hiérarchie ecclésiastique et les sacrements inutiles. Il est condamné pour hérésie, et ses ossements seront même exhumés et brûlés après sa mort.
Onfray souligne également l’importance de Joachim de Flore, théologien mystique qui développe une théorie des trois âges :
* L’âge du Père (Ancien Testament)
* L’âge du Fils (Nouveau Testament)
* L’âge du Saint-Esprit (l’ère future de la liberté totale et de l’amour universel)
Les Frères et Sœurs du Libre-Esprit considèrent qu’ils vivent dans cet âge du Saint-Esprit, période de grâce où les lois et les dogmes deviennent obsolètes.
5. La répression et la clandestinité
Les Frères et Sœurs du Libre-Esprit vivent dans la clandestinité pour échapper aux persécutions. L’Inquisition traque ces "hérétiques", les condamnant souvent au bûcher. Le mouvement se répand pourtant à travers l’Europe, notamment en France, en Allemagne, en Bohême et en Espagne.
Onfray insiste sur la difficulté d’étudier ces courants, car la plupart des sources proviennent d’auteurs hostiles, comme les manuels des inquisiteurs de Bernard Gui ou Nicolas Emmerich, qui décrivent ces sectes pour mieux les réprimer.
6. Le panthéisme et l’athéisme en germe
Le panthéisme des Frères et Sœurs du Libre-Esprit marque un tournant majeur dans l’histoire de la pensée occidentale. En identifiant Dieu au monde, ils abolissent la distinction entre le divin et le terrestre. Cette vision prépare le terrain pour l’athéisme moderne, en remettant en question l’existence d’un Dieu personnel et transcendant.
Onfray souligne l’influence future de ces idées sur des penseurs comme Spinoza, qui développera un panthéisme radical dans son Éthique, ou Nietzsche, avec son concept de la "mort de Dieu" et la transvaluation des valeurs.
💡 Conclusion
La constellation du Libre-Esprit explore un courant hédoniste et libertaire méconnu, qui défie les dogmes chrétiens et prône la liberté absolue. Michel Onfray met en lumière ces figures occultées par l’histoire officielle, révélant une tradition souterraine de pensée radicale, panthéiste et hédoniste.
Les Frères et Sœurs du Libre-Esprit proposent une philosophie du plaisir et de la liberté, où l’homme devient divin et affranchi de toute morale imposée. Ce courant préfigure les grandes révoltes philosophiques contre l’ordre établi, du panthéisme de Spinoza à la critique de la morale chrétienne par Nietzsche.
📚 Philosophes mentionnés
* Protagoras (env. 490 av. J.-C. – env. 420 av. J.-C.) — Sophiste grec, auteur du principe : "L’homme est la mesure de toute chose".
* Platon (env. 428 av. J.-C. – 348 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur du dualisme corps/âme et de l’idéalisme.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de la logique formelle et de l’éthique à Nicomaque.
* Paul de Tarse (5 – 67) — Apôtre du christianisme, promoteur de la morale ascétique chrétienne.
* Irénée de Lyon (env. 130 – 202) — Père de l’Église, auteur de Contre les hérésies.
* Plotin (env. 205 – 270) — Philosophe néoplatonicien, développe l’idée des émanations divines.
* Jean Scott Érigène (env. 815 – env. 877) — Philosophe irlandais, auteur de De la division de la nature, précurseur du panthéisme.
* Amaury de Bène (env. 1150 - 1207) — Philosophe français, promoteur du panthéisme et figure majeure du Libre-Esprit.
* Joachim de Flore (1135 – 1202) — Moine et mystique italien, théoricien des trois âges de l’humanité.
* Maître Eckhart (env. 1260 – 1328) — Théologien et mystique allemand, influencé par le panthéisme.
* Spinoza (1632 – 1677) — Philosophe rationaliste néerlandais, auteur de L’Éthique, fondateur du panthéisme moderne.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur de Ainsi parlait Zarathoustra, théoricien de la transvaluation des valeurs.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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1. Le défi de penser la gnose
Michel Onfray introduit cette dernière séance consacrée au gnosticisme en soulignant la difficulté de saisir un corpus diffus, fragmentaire et souvent transmis par des sources hostiles, notamment les Pères de l’Église. Il affirme cependant la valeur philosophique de ces courants, en insistant sur leur dimension hédoniste et licencieuse, souvent occultée dans les récits officiels.
Il aborde la pensée gnostique à travers huit figures emblématiques, chacune incarnant une idée majeure : la grâce, le déterminisme, la transgression, le féminisme, l’immanence, l’anarchisme, l’indifférentisme et la vitesse des ascèses.
2. Simon le magicien : la grâce et la prédestination
Simon de Samarie, connu sous le nom de Simon le Magicien, est une figure centrale du gnosticisme. Il élabore une théorie de la grâce et de la prédestination qui influencera plus tard des penseurs comme Saint Augustin, Pascal ou Calvin. Selon lui, la grâce divine détermine le salut indépendamment des actions humaines, remettant en question la notion de libre arbitre.
Simon est aussi célèbre pour sa relation avec Hélène, une ancienne prostituée qu'il élève au rang de divinité. Ce couple incarne une inversion des valeurs chrétiennes : la réhabilitation de la chair et du féminin sacré. Sa mort, entourée de légendes métaphoriques (chute du ciel, ensevelissement volontaire), illustre la tension entre spiritualité et matérialité dans la pensée gnostique.
3. Basilide : l’indifférentisme et le docétisme
Disciple de Simon, Basilide développe une philosophie de l’indifférence, où le salut ne dépend pas des œuvres, mais d’une connaissance intérieure. Il est connu pour sa version radicale du docétisme, une hérésie affirmant que Jésus n’a pas réellement souffert sur la croix, mais que Simon de Cyrène l’aurait remplacé à son insu. Jésus, selon Basilide, observait la scène en riant depuis les cieux.
Cette pensée aboutit à une forme de relativisme moral : si le monde est une illusion créée par un démiurge imparfait, alors le bien et le mal deviennent des constructions arbitraires.
4. Valentin : le déterminisme et l’élection spirituelle
Valentin propose une vision du monde où les âmes humaines sont divisées en trois catégories :
* Les hyléniques (purement matériels, voués à la destruction)
* Les psychiques (intermédiaires, encore sauvables)
* Les pneumatiques (spirituels, prédestinés au salut)
Ce déterminisme strict pose la question du libre arbitre et du consentement. Valentin suggère que l'adhésion consciente à la gnose est une preuve d’élection divine, créant un paradoxe entre déterminisme et liberté apparente.
5. Carpocrate et Épiphane : anarchisme et vitesse des ascèses
Carpocrate prône une philosophie libertaire où la transgression des lois sociales et morales devient un chemin vers la libération. Il enseigne que toutes les âmes doivent expérimenter pleinement le mal pour se purifier et atteindre le plérôme (le monde divin). Plus la transgression est intense, plus le salut est rapide, d’où la notion de "vitesse des ascèses".
Son fils Épiphane, décrit comme un "Rimbaud gnostique", radicalise ces idées en prônant l’abolition de la propriété privée et des hiérarchies sociales. Il développe une critique acerbe des institutions et de la famille, anticipant certaines idées anarchistes modernes.
6. Sérinthe : le salut dans l’immanence
Sérinthe défend l'idée d'un salut immanent : la libération spirituelle ne se trouve pas dans un au-delà céleste, mais dans le monde matériel lui-même. Il enseigne qu'un nouvel âge d'or terrestre est possible, marqué par l’abondance et la jouissance sans limites.
Cette pensée s’oppose radicalement au christianisme, qui valorise la souffrance et la promesse d’un paradis après la mort.
7. Marc : le féminisme gnostique
Marc se distingue par la place centrale qu’il accorde aux femmes dans ses cercles gnostiques. Contrairement à la tradition chrétienne patriarcale, il valorise le féminin sacré et permet aux femmes de devenir des thaumaturges (faiseuses de miracles).
Le féminisme de Marc s’exprime aussi dans ses rituels, où les femmes jouent un rôle actif dans les initiations et les pratiques mystiques. Il remet en question les hiérarchies de genre et promeut une égalité spirituelle entre hommes et femmes.
8. Nicolas : la transgression absolue
Nicolas incarne la figure du transgresseur ultime. Il prône une sexualité libre et collective, allant jusqu’à légitimer l’inceste et les pratiques rituelles extrêmes. Ses rituels incluent des banquets orgiaques, des consommations symboliques de sperme, de sang menstruel et même de fœtus, interprétés comme des métaphores de l'union avec le divin.
Pour Nicolas, la transgression est un moyen d’accéder à la libération spirituelle. En brisant tous les tabous, l’individu se libère des chaînes morales imposées par la société et les religions dominantes.
9. La transvaluation des valeurs : au-delà du bien et du mal
Michel Onfray conclut en soulignant que les gnostiques opèrent une véritable "transvaluation des valeurs", au sens nietzschéen du terme. Ils renversent les hiérarchies morales établies :
* Ce que le christianisme considère comme péché devient vertu.
* La transgression devient un acte sacré.
* Le corps, souvent méprisé par les religions, est célébré comme un vecteur de libération.
Les gnostiques défendent une éthique relative où le bien et le mal sont des constructions arbitraires créées par des entités inférieures (les archontes). Cette philosophie subversive pose les bases d’une pensée alternative, valorisant l’hédonisme, la liberté et l’immanence.
💡 Conclusion
La transvaluation gnostique révèle un pan méconnu et subversif de la philosophie antique. Michel Onfray met en lumière un courant qui défie les dogmes chrétiens, valorise la transgression, la jouissance et l'usage libératoire du corps. En inversant les valeurs morales établies, les gnostiques offrent une alternative radicale au christianisme dominant, défendant une philosophie hédoniste, anarchiste et libertaire.
Cette exploration des gnoses hédonistes s’inscrit dans le projet plus large d’Onfray : une contre-histoire de la philosophie, dévoilant les courants marginalisés et occultés par la tradition dominante.
📚 Philosophes mentionnés
* Pythagore (env. 570 av. J.-C. – env. 495 av. J.-C.) — Philosophe et mathématicien grec, initiateur de doctrines mystiques et numérologiques.
* Platon (env. 428 av. J.-C. – 348 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur du dualisme corps/âme et de l’idéalisme.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, doctrine matérialiste et hédoniste.
* Paul de Tarse (5 – 67) — Apôtre du christianisme, promoteur du christianisme paulinien.
* Irénée de Lyon (env. 130 – 202) — Père de l’Église, auteur de Contre les hérésies, critique virulent du gnosticisme.
* Plotin (env. 205 – 270) — Philosophe néoplatonicien, développe l’idée des émanations divines.
* Mani (216 – 276) — Fondateur du manichéisme, philosophie dualiste influencée par le gnosticisme.
* Spinoza (1632 – 1677) — Philosophe rationaliste, auteur de L’Éthique, défenseur du déterminisme.
* Arthur Schopenhauer (1788 – 1860) — Philosophe allemand pessimiste, auteur du Monde comme volonté et comme représentation.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur de Par-delà le bien et le mal et du concept de "transvaluation des valeurs".
* Émile Cioran (1911 – 1995) — Philosophe roumain, auteur de De l’inconvénient d’être né, influencé par le pessimisme gnostique.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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