Afgespeeld

  • Mes dauphins nagent depuis plus de deux heures autour de Joshua. Les dauphins que j'ai rencontrés ont rarement joué plus d'une quinzaine de minutes avant de continuer leur chemin. Ceux-là resteront plus de deux heures, au complet.

    Quand ils sont partis, tous ensemble, deux d'entre eux sont restés près de moi jusqu'au crépuscule, cinq heures pleines au total. Ils nagent avec l'air de s'ennuyer un peu, l'un à droite, l'autre à gauche.

    Pendant trois heures ils nagent, comme ça, chacun sur son bord, sans jouer, en réglant leur vitesse sur celle de Joshua, à deux ou trois mètres du bateau. Jamais je n'avais vu ça. Jamais je n'ai été accompagné si longtemps par des dauphins. Je suis sûr qu'ils avaient reçu l'ordre de rester près de moi jusqu'à ce que Joshua soit absolument hors de danger.

    Je ne les regarde pas tout le temps, parce que je suis un peu épuisé par cette journée, cette tension énorme qu'on ne sent pas sur le moment, quand on doit mettre toutes ses tripes pour passer dans un nouvel océan.

    Je descends m'étendre un peu, je remonte, je relève l'indication du loch. Mes deux dauphins sont toujours là, à la même place. Je descends porter la dernière distance parcourue sur la carte, je me recouche un moment. Quand je reviens sur le pont et grimpe au mât pour la dixième fois afin de voir plus loin, mes deux dauphins sont encore là, semblables à deux fées dans la lumière qui baisse. Alors je redescends m'allonger un moment.

    C'est la première fois qu'il y a une telle paix en moi, car cette paix est devenue une certitude, une chose qu'on ne peut pas expliquer, comme la foi. Je sais que je réussirai, et je trouve ça absolument naturel, cette certitude absolue où il n'y a ni crainte, ni orgueil, ni étonnement. Toute la mer chante, simplement, sur une octave que je ne connaissais pas encore, et cela me remplit de ce qui est à la fois la question et la réponse.

    La longue route, Bernard Moitessier, 1968

  • Fredrik et son vélo sont deux amis inséparables. Avec près de six mille kilomètres au compteur, ils ont déjà fait une longue route ensemble, dans la région de Stockholm et sur les routes de Suède.

    Dès l’aube, vers six heures, il se réveille, jette un bref coup d’œil par la fenêtre, puis s’habille. Qu’il vente ou qu’il pleuve, c’est en pédalant qu’il ira travailler. Rares sont ceux qui font de même ! Les courageux cyclistes, dans le blizzard, se comptent sur les doigts de la main. La neige, le vent glacial, le verglas ne sont pas des obstacles anodins !

    Quand il y pense, il se dit qu’il est un peu téméraire d’aller affronter des conditions météorologiques pareilles. Il pourrait prendre le bus, c’est vrai. Mais le trajet prendrait beaucoup plus de temps, et puis… Fredrik a le sens de l’aventure. S’il fait deux fois plus froid, qu'à cela ne tienne ! Il mettra deux manteaux, enfilera deux paires de gants et deux paires de chaussettes !

    En ce moment, c’est l’été, le temps est clément. Fredrik en profite, car il sait que l’hiver qui s’approche sera rude…

  • Pour faire le portrait d’un oiseau

    Peindre d’abord une cage

    avec une porte ouverte

    peindre ensuite quelque chose de joli

    quelque chose de simple

    quelque chose de beau

    quelque chose d’utile

    pour l’oiseau

    placer ensuite la toile contre un arbre

    dans un jardin

    dans un bois

    ou dans une forêt

    se cacher derrière l’arbre sans rien dire

    sans bouger…

    Parfois l’oiseau arrive vite

    mais il peut aussi bien mettre de longues années

    avant de se décider

    Ne pas se décourager

    attendre

    attendre s’il le faut pendant des années

    la vitesse ou la lenteur de l’arrivée

    de l’oiseau n’ayant aucun rapport

    avec la réussite du tableau

    Quand l’oiseau arrive

    S’il arrive

    observer le plus profond silence

    attendre que l’oiseau entre dans la cage

    et quand il est entré

    fermer doucement la porte avec le pinceau

    puis

    effacer un à un tous les barreaux

    en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau

    Faire ensuite le portrait de l’arbre

    en choisissant la plus belle de ses branches

    pour l’oiseau

    peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent

    la poussière du soleil

    et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été

    et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter

    Si l’oiseau ne chante pas

    c’est mauvais signe

    signe que le tableau est mauvais

    mais s’il chante c’est bon signe

    signe que vous pouvez signer

    alors vous arrachez tout doucement

    une des plumes de l’oiseau

    et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

    Jacques Prévert, Paroles, 1945

  • Il y a quelques temps, Natsumi m’a envoyé un très gentil message, à la fin duquel elle me propose d’écrire un épisode avec les phrases que j’utiliserais avec un bébé ou un enfant. En effet, elle a un petit bébé et c’est une excellente idée de lui parler en français dès son plus jeune âge.

    Il est temps que je lui réponde enfin, avant que son enfant atteigne la majorité et quitte le foyer familial.

    Les bébés observent et imitent les adultes. Ils reproduisent leurs mouvements et répètent leurs paroles. Donc je leur parle toujours avec beaucoup de respect et d’affection.

    Par exemple, quand vient l’heure de dormir le soir, je lui dis :

    « Petit enfant, cher ami ; j’ai passé une très bonne journée avec toi, j’ai beaucoup aimé courir dans le jardin et cueillir des fleurs, faire des avions en papier et jouer aux billes en ta compagnie. Maintenant, il faut dormir, pour passer une autre belle journée demain. »

    Ensuite, je lui chante une comptine jusqu’à ce que ses yeux se ferment.

  • …, Émile. Oui, je m’appelle Émile, comme mon arrière-grand-père. Je porte ce prénom depuis bien longtemps ; je n’avais que quelques jours quand mes parents se sont penchés sur mon berceau et que je leur ai dit : « Chers parents, bonjour. Je m’appelle Émile. »

    En vérité, mes souvenirs sont flous, je n’ai peut-être pas prononcé ces mots. En général, la grammaire des bébés n’est pas parfaite.

    En parlant de grammaire, ouvrons une parenthèse. C’est amusant, de dire « je m’appelle » en français. On devrait dire : « les gens m’appellent untel, parce que c’est mon nom ». Mais ainsi est la langue, pleine de curiosités et de coutumes qui se perpétuent.

    Revenons à nos moutons. Je m’appelle Émile, et comme c’est un nom qui me va très bien, toute ma famille et mes amis m’appellent Émile.

    Enfin, si vous voulez me souhaiter bonne fête, le 22 mai est la Saint Émile !